Loin des JO, un Russe triomphe en ski extrême (Vidéos)

Alors que les Jeux de Pyeongchang battent leur plein, en ski c’est dans une discipline non olympique qu’un Russe quasi autodidacte se fait remarquer cette saison: la coupe du monde de hors-piste. Sans fédération et sans entraineur, mais avec derrière lui des milliers de fans, Ivan Malakhov défie les stars du circuit mondial.
Sputnik

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Les noms d’Aurélien Ducroz, de Reine Barkered ou du regretté Shane McConkey ne disent rien à la plupart des téléspectateurs qui suivent les Jeux olympiques, et pourtant ce sont de véritables idoles dans le milieu du ski hors-piste et dans la «communauté» pas si restreinte qui, aux quatre coins de la planète, suit leurs aventures.

Un monde dans lequel le Russe Ivan Malakhov fait son chemin depuis plusieurs années, jusqu’à créer la surprise cet hiver avec une première victoire historique sur une étape de coupe du monde, après une troisième place dans les jours précédents. À la mi-saison, le voilà en tête du classement général, alors que jamais avant lui un Russe n’avait foulé le podium du Freeride World Tour.

Le freeride, anglicisme chic pour désigner le hors-piste, c’est tout simplement le ski à l’état brut. Celui qu’homo sapiens pratique depuis la nuit des temps, bien avant l’apparition des dameuses ou des remontées mécaniques, comme en atteste la plus vieille trace archéologique de skis en bois, datant de plusieurs milliers d’années et retrouvés en Russie. À ne pas confondre avec le freestyle, qui consiste à faire des figures à partir de tremplins, et qui est, lui, récemment devenu un sport olympique.

«Belle glisse»

À des années-lumière des gros sous du sport-business et de la surpolitisation des Jeux olympiques, le Freeride World Tour, c’est avant tout une bande de passionnés. Un circuit international qui met aux prises l’élite de la discipline en cinq étapes étalées sur l’hiver à travers le monde, rassemblant une cinquantaine de participants répartis en quatre catégories (ski homme et femme, snowboard homme et femme), pour s’achever chaque année avec le traditionnel grand finale sur le légendaire Bec des Rosses à Verbier, dans les Alpes suisses. C’est d’ailleurs à travers le Freeride World Tour que le public occidental avait découvert Sotchi plusieurs années avant les JO de 2014.

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Si cette compétition passe souvent, auprès d’un certain public «sérieux», pour un show à l’américaine mettant en scène des casse-cous inconscients, elle n’a en fait jamais, malgré de fréquents accidents, connu de mort sur un événement. Contrairement, hélas, à bon nombre de disciplines olympiques. Son prestige, elle le doit à un système d’évaluation qui met plus à l’honneur la «belle glisse» que la prise de risque inutile. Surtout, ici pas de chrono ou de figures imposées: une face naturelle, sécurisée mais non-préparée, un portique de départ au sommet, une ligne d’arrivée en bas… skiez jeunesse.

Les compétiteurs sont notés par des juges, à l’instar, dans un tout autre style bien sûr, du patinage artistique ou de la gymnastique. Les critères de notation, parmi lesquels figurent la fluidité, la maîtrise, le choix de la ligne (l’itinéraire étant libre) ou la qualité des sauts, permettent de laisser s’exprimer une grande diversité de styles de glisse, de profils physiques et de parcours sportifs différents.

Pour mieux comprendre la logique et la précision de l’exercice, un court débrief du run victorieux et déjà culte d’Ivan Malakhov, en caméra embarquée:

Le Freeride World Tour est bien une entreprise privée qui fait du profit et brasse de juteux sponsorings, mais son système rigoureux de qualification lui a donné au fil des ans une crédibilité supérieure à la plupart des autres compétitions extrêmes «d’exhibition» qu’organisent des marques sur invitation. Dans un circuit dominé par les Français, les Scandinaves et les Nord-Américains, rien ne prédisposait celui qu’on surnomme «Mad Malakhov» à tutoyer ainsi la crème de la crème.

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Originaire de Smolensk, à l’ouest de la Russie non loin de la frontière biélorusse, c’est un enfant de la plaine. Dans le plat pays qui est le sien, la neige ne manque pas mais c’est plutôt le ski de fond qu’on pratique en masse. «Moi, dès le plus jeune âge, j’avais envie de sensations fortes, je voulais dévaler des pentes», confie-t-il à Sputnik. «Alors je faisais de la descente avec des skis de fond aux pieds, c’est tout ce que j’avais. Les moyens du bord quoi… Les collines qu’il y a dans mon coin, elles ne font au maximum qu’une cinquantaine de mètres de haut, mais elles me semblaient énormes à l’époque!» Très vite, malgré la précarité de son matériel, il prend plaisir à faire des sauts dès qu’il croise une bosse: «Ce qui m’intéressait, ce n’était pas le chrono. Aller vite, oui! Mais pas pour faire la course.»

«En fait, j’étais déjà freerider dans l’âme sans même savoir que le freeride existait. C’étaient les années quatre-vingt-dix, il n’y avait pas internet, je n’étais même pas vraiment au courant qu’autre part dans le monde, il y avait de vraies stations de ski! Je faisais ça parce que ça me plaisait, sans me sentir limité par les circonstances.»

À force de casser de vieilles paires de skis de fond avec sa pratique, disons, peu «orthodoxe», il finit par dégoter une paire d’alpins et découvre qu’il existe un unique club de ski à Smolensk, dont la poignée de membres a flanqué un tire-fesses artisanal sur une butte légèrement plus haute que les autres. «J’ai pris mon premier cours de ski à 17 ans, poursuit-il. Au club, on me grondait toujours parce que j’allais tout droit et très vite.»

Skier au milieu des poubelles

Aujourd’hui, personne ne lui reprochera de faire ce qu’on appelle dans le jargon des straight lines… De véritables cours de ski, il n’en prendra au final que quelques uns, et reste donc essentiellement autodidacte. Comble de l’esprit «punk» (ou cosaque, c’est au choix), il fait ses armes de freerider au milieu des poubelles:

«Le plus amusant, c’est que les pentes les plus raides de Smolensk, elles étaient à la décharge publique. C’est là que je préférais skier, sur les flancs de cette fosse à déchets qui puait et qui était régulièrement brûlée…»

Avec cette persévérance et cette détermination dont les Slaves ont le secret, Ivan parvient progressivement dans les années 2000 à faire ses saisons d’hiver dans les Alpes et à participer à des compétitions locales avec l’aide de maigres sponsorings. Avec un tel parcours, ce n’est évidemment pas le skieur le plus technique qui soit: il «ne skie pas comme un moniteur», comme disent les montagnards en guise de compliment ironique. Son succès, il le doit plutôt à la créativité de ses lignes et de ses choix de sauts, très originaux et osés, que les autres coureurs ne repèrent pas toujours.

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À 38 ans, il est maintenant basé à Courmayeur, au pied du Mont Blanc côté italien: «Ça m’a énormément fait progresser d’être ici. En plus, c’est moins cher que de l’autre côté, à Chamonix. J’ai un visa Schengen délivré par la France, les Français ont été super avec moi, mais je n’ai le droit de passer que 90 jours par tranche de six mois à l’intérieur de l’espace Schengen, donc je dois adapter mon calendrier en prévoyant des moments hors d’Europe… C’est assez contraignant», regrette l’athlète. Avec plusieurs sponsors qui le soutiennent, il a les moyens de faire ce qu’il aime, mais ne pourrait par exemple pas se payer un coach. De toute façon, il n’en voudrait pour rien au monde:

«Pour quoi faire, un entraineur? Mon meilleur coach, c’est moi-même! Ma préparation est assez simple: skier le plus possible et continuer d’accumuler de l’expérience pour pouvoir me dépasser.»

Si la presse sportive commence timidement à couvrir la discipline, le freeride de compétition reste largement méconnu du grand public, malgré le potentiel télévisuel évident de ses images à couper le souffle. Reste à savoir si cela ne dénaturerait pas le sport…

Pas un kopeck d’argent public

Mais ce qu’Ivan Malakhov regrette surtout, lui qui est une star chez les fans de glisse russes, c’est de ne recevoir aucun soutien de la part des institutions sportives de son pays: «Ce serait formidable si l’on pouvait avoir quelques financements publics de l’État russe. Bien sûr, il n’y a pas que la Russie, aucun pays ne finance le freeride. Mais quand vous venez d’un endroit qui a une véritable tradition du ski comme la France, vous avez beaucoup plus de chances de devenir un bon freerider», avance-t-il. Et de développer: «Enfant, si vous grandissez à la montagne, vous avez à portée de main des infrastructures, des clubs de ski, où vous pouvez faire du slalom ou du ski de bosses. C’est très formateur, et après vous allez pouvoir passer au freeride dans les meilleurs conditions.»

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Même sans un kopeck d’argent public, il se revendique patriote, très humblement, et glisse régulièrement des dédicaces à sa ville natale. Cet hiver, ne cherchez donc pas le drapeau russe aux Jeux olympiques, puisque la délégation participe sous bannière neutre suite à un scandale de dopage. Là où vous le trouverez, c’est sur la manche de la doudoune d’Ivan Malakhov, qui aime l’afficher en toute simplicité dans les aires d’arrivée en fin de run, le sourire jusqu’aux oreilles, et qui revendique fièrement de représenter son pays dans une compétition où les athlètes ne courent en principe qu’en leur nom propre.

Prochaine étape du Freeride World Tour à suivre en ligne entre le 1er et le 7 mars (selon les conditions météorologiques) en Andorre dans les Pyrénées, en espérant voir Ivan Malakhov confirmer son beau début de saison!

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