Mardi 13 février, à l'invitation de l'Association de la presse présidentielle, Emmanuel Macron a réitéré devant un parterre de journalistes son attachement au respect de la «ligne rouge» sur l'emploi d'armes chimiques en Syrie: La France «frappera» en cas de «preuves avérées».
Des preuves qui ont justement fait défaut jusqu'à présent, avouait James Mattis, Secrétaire à la Défense des États-Unis, début février. Une manière détournée de dire que la France ne compte pas intervenir unilatéralement?
«On a l'impression qu'on est dans le déclaratif et la communication pure», réagit à notre micro Richard Labévière, consultant international et rédacteur en chef de l'Observatoire de la Défense et de la Sécurité.
Il pointe du doigt des «dysfonctionnements» entre le Quai d'Orsay et l'Élysée, qui «ne disent pas la même chose». D'une part, le Président de la République affirme qu'il ne faut pas «individualiser, personnaliser le conflit sur Bachar al Assad» et participer aux avancées internationales. Une «lucidité», selon l'auteur de «Terrorisme, face cachée de la mondialisation» (Éd. Pierre-Guillaume de Roux, 2016), en contradiction avec les «déclarations droits-de-l'hommistes» du Ministère de l'Europe et des Affaires étrangères, qui plaide pour une ligne dure vis-à-vis du dirigeant syrien et n'entend pas rouvrir d'Ambassade à Damas:
«On a l'impression d'un dysfonctionnement répétitif entre la cellule diplomatique de l'Élysée, sinon la parole présidentielle elle-même et celle de Jean-Yves le Drian et des déclarations du Quai d'Orsay.»
C'est donc la ligne élyséenne qui prévaut donc, une ligne qui renvoie selon le géopolitologue au discours de Dominique de Villepin, en février 2003 contre les projets d'intervention militaire des Anglo-saxons en Irak.
«Pour un pays comme la France, qui est membre du Conseil de Sécurité, c'est de rester dans l'application du droit international et que toute intervention militaire dans un pays étranger doit avoir l'aval du Conseil de Sécurité.»
Autre cas de figure, rappelle Richard Labévière, une intervention étrangère peut se faire à la demande de l'Etat concerné, comme la France au Mali… ou la Russie en Syrie. Mais au-delà des questions de légitimité, Emmanuel Macron garde sans doute en tête le risque de manipulation, de provocation d'un tiers.
On se souvient ainsi qu'en 2013, la France était prête à attaquer la Syrie après l'attaque au gaz à la Ghouta. Pourtant, en 2014, le Massachusetts Institute of Technology (MIT) démontrait qu'elle provenait des rebelles. Quatre mois plus tard, Seymour Hersh, célèbre journaliste d'investigation américain, révélait les soupçons du renseignement américain vis-à-vis d'Ankara, qui auraient trempé dans l'affaire afin de pousser l'Occident à s'engager: «On nous tend un piège, ici» aurait indiqué les services britanniques à leurs homologues américains, tous deux sachant que des unités rebelles développaient des armes chimiques.
«Les renseignements britanniques avaient obtenu un échantillon de sarin utilisé dans l'attaque du 21 août et l'analyse a démontré que le gaz utilisé ne correspondait pas aux lots connus dans les armes chimiques de l'arsenal de l'armée syrienne»,
détaille le journaliste (selon la traduction du général (2S) Pinatel), expliquant que ce faisceau d'éléments aurait été à l'origine de la brutale volte-face de Barack Obama sur ses projets d'intervention militaires en Syrie.
Des scrupules que n'aura pas Donald Trump, qui enverra une cinquantaine de missiles de croisière contre une base aérienne syrienne juste après l'attaque au gaz de Khan Cheikhoun, en avril 2017, avant même l'ouverture de toute enquête sur le drame.
Des attaques à l'arme chimique sur lesquelles revient également notre intervenant, évoquant les rapports, «dont aucun n'est conclusif et ont donné lieu à des contre-rapports», rappelant qu'un organe onusien est dédié à ces questions, l'Organisation pour l'interdiction des armes chimiques (OIAC), basée à La Haye. Des experts, qui comme le relatait 20 Minutes en avril 2017, avaient été conviés par Damas pour enquêter après l'attaque de Khan Cheikhoun. L'organisation onusienne avait alors à juste titre mis en avant les difficultés d'accès au site de l'attaque en raison du conflit. Mais pour Richard Labévière, cela ne suffit pas à expliquer l'absence d'enquêteurs indépendants sur le terrain:
«Les États-Unis font obstacle pour qu'on n'ait pas recours aux experts indépendants de l'OIAC. […] Cette organisation a été décapitée par John Bolton, à l'époque ambassadeur des États-Unis au Conseil de Sécurité de l'ONU, quand le patron de l'OIAC, le Brésilien José Bustani a voulu dépêcher ses enquêteurs en Irak pour montrer qu'il n'y avait pas d'armes de destruction massive.»
Relevons aussi que les déclarations d'Emmanuel Macron interviennent le jour même de la visite du porte-parole des Casques blancs à l'Assemblée nationale et à l'Élysée. Un habitué des lieux, celui-ci ayant déjà été convié par Élisabeth Guigou en octobre 2016.
«On nous ressort les Casques blancs aujourd'hui, comme on nous l'avait fait durant la bataille d'Alep, car on assiste à deux batailles qui vont se terminer et sonner la fin des groupes d'Al-Qaïda en Syrie. C'est la poche d'Idlib, à l'ouest d'Alep et la neutralisation des derniers réduits et sanctuaires djihadistes dans la grande banlieue de Damas: la Ghouta, Jobar, Jaramana, au nord-est et Douma au sud-ouest.»
«Je vous rappelle et c'est une information d'origine militaire, confirmée, que les forces spéciales américaines recyclent des djihadistes, des terroristes, de l'État islamique pour reconstituer des unités antigouvernementales syriennes en Syrie.»
Une présence indirecte qui s'affirme dans le nord et nord-est du pays, Kobané, Lattaquié et Deir-ez-Zor. Des zones, nous explique Richard Labévière, que les Américains et les Saoudiens désignent comme le «couloir chiite», mais qui rassemblent surtout les importantes réserves syriennes d'hydrocarbures et seront donc appelées à jouer un rôle majeur dans la reconstruction économique du pays.
«Durant ces deux réunions, sur lesquelles quelques informations ont filtré, il a été décidé par David Satterfield, le secrétaire d'État adjoint américain chargé du Proche et Moyen-Orient, qu'il s'agissait de poursuivre une campagne de communication sur deux thèmes récurrents, à savoir les bombardements russes sur des cibles civiles et l'usage des bombardements chimiques quelle que soit leur origine […] qui sensibilisent et impactent beaucoup l'opinion publique internationale.
[…]
Les choses sont parfaitement claires, il s'agit, comme ce fut le cas lors de la guerre d'Irak, d'utiliser principalement la presse et les grands médias […] pour mettre en condition l'opinion, pour justifier une intervention militaire.»
Des déclarations d'autant plus inquiétantes que le Centre russe pour la réconciliation des parties en conflit en Syrie a mis en garde le 13 février dernier sur la possibilité d'une préparation d'une nouvelle provocation à base d'attaques au gaz.