La question du retour des réfugiés divise, que la guerre soit finie ou non. Lundi 5 février, plusieurs organisations, dont le Conseil norvégien pour les réfugiés (CNR) et CARE International, ont mis en garde les pays accueillant des réfugiés syriens au Moyen-Orient et en Occident contre le retour forcé de ces derniers en Syrie, voire la simple discussion de mesures en ce sens. La majorité d'entre eux a trouvé refuge dans les pays voisins, tels que la Turquie, le Liban et la Jordanie, mais que disent les pays concernés, par exemple le Liban?
«Ils ont totalement raison», estime Albert Abi Azar, président de l'ONG Alpha, «peut-on reconstruire alors que les obus tombent encore un peu partout en Syrie?»
Le responsable de cette ONG libanaise n'imagine pas, pour l'heure, de retour des déplacés. Il souligne néanmoins une donnée absente du rapport:
«Le problème que les ONG n'ont pas relevé, c'est de dire pourquoi le gouvernement libanais est obligé de faire des retours forcés.»
«Alors que la situation militaire changeait en Syrie, et que le contexte se prêtait davantage à une rhétorique et des politiques anti-réfugiés à travers le monde, les gouvernements ont commencé en 2017 à envisager ouvertement le retour des réfugiés dans leur pays», souligne le rapport des ONG. Une «rhétorique» qui s'est suivie d'une baisse des aides promises? Selon le gouvernement libanais, le pays n'a reçu en 2017 que 27% des promesses d'aides financières promises par la communauté internationale.
«La responsabilité des réfugiés au Liban n'incombe pas au gouvernement libanais tout seul, mais à la communauté internationale, qui a diminué son aide pour les réfugiés syriens au Liban.»
Le gouvernement libanais est lui-même divisé. Le Premier ministre Saad Hariri veut conditionner le retour des réfugiés à la chute du régime du président syrien Bachar al-Assad, tandis que le chef de l'État, Michel Aoun, plaide pour un retour des réfugiés syriens sans condition… Mais cela nécessiterait de composer avec le régime en place, d'où le rapport des ONG, selon Albert Abi Azar:
«C'est une controverse, et pas seulement pour le gouvernement libanais, mais pour l'Europe: est-ce que, aujourd'hui, on pactise avec le régime? […] Les Européens non plus ne sont pas clairs sur l'attitude à adopter face au régime syrien de Bachar Al Assad. D'un côté, il le dénigre, théoriquement, et d'un autre, ils essaient de pactiser avec lui sur le terrain»,
note l'humanitaire, avant de poursuivre:
«Et ils obligent les associatifs, les humanitaires locaux et internationaux, à normaliser leur relation avec Bachar al Assad. C'est contre cela qu'il y a eu cet advocacy [plaidoyer, ndlr] de Care, de CTC, etc.»
«Je pense que les ONG ne mesurent pas bien la situation sur le terrain», estime de son côté François Costantini, docteur en Sciences politiques, et professeur associé à l'université Saint-Joseph de Beyrouth, pour qui le Haut-Commissariat ne remplit pas ses fonctions, tout d'abord financières:
«Les ONG ne jouent pas le jeu, aidé en cela par le nouveau secrétaire général des Nations-Unie, M. Guteres, qui en tant que haut-commissaire aux réfugiés, avait totalement galvaudé son rôle. Le destin des réfugiés, c'est de rentrer dans leur pays».
Certes, «la situation est très loin d'être stabilisée en Syrie», concède François Costantini, mais «on peut comprendre la position du Liban, qui pâtit de cette présence»:
«Que cela plaise ou non, il y a aujourd'hui un gouvernement syrien qui a retrouvé des marges de manœuvre, qui a retrouvé également la maîtrise d'une bonne partie de son territoire […] Je ne vois pas comment l'ONU pourrait faire autrement que de négocier et d'organiser leur rapatriement sans passer par des négociations avec le gouvernement syrien, encore que son autorité est encore très faible», conclut le politologue.