Après une première phase de travail de binômes député-chef d'entreprise, le ministre de l'Économie Bruno Le Maire a enclenché mi-janvier une consultation publique qui doit mener à la future loi PACTE (Plan d'action pour la croissance et la transformation des entreprises) réformant le statut de l'entreprise. Parmi les propositions soumises aux internautes, «assouplir les obligations pour les entrepreneurs créateurs d'entreprises», «simplifier l'accès des PME aux marchés boursiers» ou encore «ouvrir le collège et le lycée à la connaissance des entreprises». Mais l'un des enjeux de fond semble également être de donner aux entreprises des responsabilités sociales et même écologiques qu'elles n'avaient pas auparavant, voire de leur transférer certaines compétences de la puissance publique.
Pour éplucher ce dossier, Jacques Sapir et Clément Ollivier reçoivent Claude Rochet, ancien haut fonctionnaire au ministère de l'Économie et des Finances, spécialiste en philosophie politique et professeur honoraire de politique publique à l'université de Versailles-Saint-Quentin, et Jean-Michel Naulot, ancien banquier et ancien régulateur à l'Autorité des marchés financiers.
Claude Rochet déplore le fait que cette réforme ne mette en avant ni l'innovation ni la notion de territoire: «La valeur du territoire manque totalement dans cette approche. On considère, c'est l'idéologie dominante de l'économie néoclassique, que le territoire est une valeur neutre… Or un territoire, c'est porteur de capital social et de traditions. Il y a de nombreux exemples où la culture du territoire et les réseaux locaux recréent une industrie. En Suisse par exemple, l'industrie horlogère devait disparaître devant l'offensive des montres digitales, mais cette industrie a créé des passerelles avec d'autres mondes de la micromécanique comme celui de la prothèse de hanche. Ça a redynamisé le territoire, ça a restimulé l'innovation, et ça a donné la Swatch!» Les méthodes du «nouveau monde» annoncé par Emmanuel Macron ne convainquent donc pas l'ancien haut fonctionnaire de Bercy: «Au fond, ce ne sont que des mesures de simplification administrative…»
Jean-Michel Naulot, en tant que spécialiste de la finance, regrette que Bruno Le Maire souhaite orienter les PME vers la bourse: «C'est le modèle anglo-saxon qui est imposé, et on risque de le regretter en cas de crise financière. J'ai le souvenir de la fin des années quatre-vingt-dix, où l'on avait déjà joué cette carte, et on a vu au moment de l'effondrement des marchés en 2001 que les introductions en bourse se passaient souvent très mal. Beaucoup d'entreprises ont fait faillite en quelques mois après avoir été introduites en bourse.» Il faudrait plutôt, selon l'ancien banquier, revenir sur les accords de Bâle de 2004, ce qui n'est pas à l'ordre du jour: «Cette norme a révolutionné l'allocation des financements par les banques. Aujourd'hui, quand vous êtes banquier et que vous consentez un crédit, mettons, de 10 millions à une très grosse entreprise bien notée ou à une PME, vous ne déclarez plus au régulateur ce crédit de 10 millions comme avant 2004; maintenant, s'il s'agit d'une multinationale, vous ne déclarez qu'1,5 million environ, alors que c'est six ou sept fois plus pour une petite entreprise. C'est ce qu'on appelle la pondération des risques.»
En définitive, pour Jacques Sapir, la consultation en cours pourrait bien n'être qu'un écran de fumée: «C'est toujours la méthode Macron, "vous consultez, nous décidons!" Grosso modo, c'est ça le slogan… Mais le problème qui est derrière, c'est qu'on ne parle que des entreprises dans leur forme légale traditionnelle. Mais il y a d'autres formes légales tout à fait possibles: par exemple, les SCOP. Or dans cette fameuse loi PACTE et dans les discussions qu'elle engendre, on n'en parle pas du tout, des SCOP. Je crois que c'est la preuve que cette discussion est là essentiellement pour amuser la galerie, et que les décisions sont déjà en partie réfléchies, si ce n'est déjà prises…»