Le Cameroun face au spectre de nouvelles "émeutes de la faim"
15:08 16.02.2022 (Mis à jour: 00:42 18.02.2023)
© Sputnik . Anicet SimoScène de vie au marché de Yaoundé, Cameroun
© Sputnik . Anicet Simo
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Depuis peu, les prix de certaines denrées de première nécessité ont augmenté au Cameroun. Dans les marchés et les rues, les consommateurs se plaignent de plus en plus de la cherté de la vie. Une inflation qui fait craindre une grogne sociale dans un pays où 40% de la population vivent en dessous du seuil de pauvreté.
À l’ombre de son parasol, qui la protège d’un soleil accablant, ce 15 février, Sandrine K, commerçante au marché de Bonamoussadi à Douala tente de capter l’attention des clients de passage. Face à elle, ce midi-là, une acheteuse marchande depuis quelques minutes le prix des tas de tomates, espérant une remise.
"Ce que ma cliente ne comprend pas c’est que les prix ne dépendent pas de moi. Il y a des jours où nous achetons le cageot de 5.000 FCFA [sept euros] à 10.000 FCFA [15 euros] pratiquement. Donc on est obligé de modifier les coûts au détail", explique-t-elle au micro de Sputnik.
© Photo NimbusUne vue du marché Bonamoussadi à Douala
Une vue du marché Bonamoussadi à Douala
© Photo Nimbus
Non loin de son comptoir, Adeline T, ménagère, a de la peine à remplir son panier. Face à un vendeur d’huile de palme, elle ne cache pas sa déception: "Tout a augmenté au marché. C’est de plus en plus difficile de s’en sortir. Figurez-vous que la bouteille d’huile végétale que je consomme est passée de 1.200 FCFA [1,8 euro] à 1.500 FCFA [2,3 euros]. Pendant ce temps, les salaires n’ont pas changé", se désole-t-elle. Dans les marchés de la capitale économique, la situation est quasi-similaire. Les consommateurs sursautent presque toujours, face aux nouveaux prix des aliments qu’ils découvrent le temps d’une course.
© Photo NimbusUne vendeuse de tomate en détail installée au marché de Bonamoussadi
Une vendeuse de tomate en détail installée au marché de Bonamoussadi
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Une inflation généralisée
Depuis la fin 2021 dans les marchés du pays, les prix des denrées de première nécessité comme le riz, l’huile végétale ou le poisson ont connu des hausses significatives. Sur les étals et selon les marques, le prix de 25 kilogrammes de riz est par exemple passé de 13.500 FCFA (20,6 euros) à 14.500 FCFA (22,1 euros), le sac de 50 kilogrammes de riz blanc de 13.000 (19,8 euros) à 21.000 (32 euros), le bidon d’huile de palme de 16.000 FCFA (24,4 euros) à 24.500 (37,4 euros).
#Vie_chère#Pénurie#inflation
— Angelo TOUELI (@AngeloToueli) February 15, 2022
Augmentation des Prix des produits de premières nécessités...
Les consommateurs sont en pleures au #Cameroun de @PR_Paul_BIYA
Vivement notre mobilisation, nous membres des organisations des consommateurs et acteurs...#MNC#pourunmondeprevoyant pic.twitter.com/rlDIGMZfbv
Au rayon des pâtes alimentaires, le paquet de 500 grammes est passé, selon les marques de 375 francs CFA à 425 francs CFA (de 0,57 à 0,65 euro) ou encore de 500 à 650 francs CFA (de 0,76 à 0,99 euro). Une inflation due, souligne Max Owona économiste, "à la hausse des prix des matières premières sur les marchés mondiaux, suite à la crise la sanitaire mondiale".
© Photo NimbusDes vendeuses de poisson attendent impatiemment des clients au marché de Bonamoussadi
Des vendeuses de poisson attendent impatiemment des clients au marché de Bonamoussadi
© Photo Nimbus
"Et vous le savez, l’économie camerounaise est trop extravertie. Chaque fluctuation des prix sur le marché international se répercute rapidement sur le plan local, car nous importons le plus gros de nos denrées de grande consommation", explique le spécialiste à Sputnik.
Début févier par exemple, le groupement des industries meunières du Cameroun, représentant 70% de la filière, a menacé de suspendre toute livraison de blé sur l’ensemble du territoire. Selon le communiqué de ces professionnels, cette "mesure prise à contrecœur vise à limiter la portée des pertes que ces entreprises enregistrent depuis trois mois à cause de l’augmentation ininterrompue et sans précédent du cours du blé, leur matière première". Malgré les multiples discussions avec le gouvernement, les meuniers jugent insuffisantes les mesures, notamment des allègements fiscaux, prises jusqu’ici pour soutenir la filière. Ces derniers réclament l’autorisation aux pouvoirs publics d’augmenter de 3.000 francs CFA (4,58 euros) le sac de farine de 50 kilogrammes vendu actuellement 19.000 francs CFA (29 euros) sur le marché. Une augmentation qui aurait à coup sûr des répercussions sur le coût de la baguette: "Il ne faudrait pas qu'on arrive à cela", prévient Alphonse Ayissi Abena, président exécutif de la fondation camerounaise des consommateurs.
"Le pain est une denrée très consommée. Si les Camerounais n'ont plus accès au pain de qualité et à meilleur prix, les Camerounais vont mourir de faim et on risque d’avoir des émeutes de la faim comme en 2008. Le pouvoir d'achat des Camerounais est déjà très affecté et cette inflation est véritablement asphyxiante", déplore-t-il au micro de Sputnik.
Des risques de crise sociale?
En 2008, la hausse des prix de denrées alimentaires avaient entraîné plusieurs jours d’émeutes dans le pays. Les violences auraient fait 24 morts selon le gouvernement, plus de 100 selon des ONG, et plus de 1.500 arrestations dans les grandes villes camerounaises. Dans un pays où 40% de la population vivent en dessous du seuil de pauvreté, beaucoup d’analystes craignent de voir ce scénario se répéter: "Il faut craindre une grogne sociale côté consommateurs. Si l’inflation continue à ce rythme, surtout pour ce qui est d’un produit de grande consommation comme le pain, nous allons faire entendre notre courroux en descendant dans la rue et inviter le gouvernement à nous donner à manger", fulmine Alphonse Ayissi Abena.
Cependant, tempère Max Owona, "il me semble difficile de voir, dans ces tensions sur le marché des produits de première nécessité, des signes annonciateurs d'une crise sociale similaire à celle de 2008".
"Seulement, il est constant qu'une stagnation du pouvoir d'achat combinée à une inflation galopante détériore les conditions de vie et poussent des centaines de ménages anonymes dans la pauvreté. Et c'est la jeunesse qui en est la première victime: l'insécurité alimentaire la fragilise, créant le lit lointain des futures crises sociopolitiques", poursuit l’économiste.
Dans son projet de loi de finances 2022, le gouvernement camerounais a projeté une baisse de l’inflation de 0,4% en glissement annuel. "S’agissant des prix, l’inflation est projetée à 2% en 2022, contre 2,4% estimée en 2021, soit en deçà du seuil de 3% de la Communauté économique et monétaire de l'Afrique centrale", avait indiqué le ministère des Finances.