Explosion des overdoses et de la détresse psy, le coût caché de la pandémie au Québec
© Photo Flickr/ VaxjoDrapeau du Québec
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Au Québec, des experts dénoncent le manque de ressources en santé mentale pour contrer la hausse de la détresse due aux mesures sanitaires. Si le taux de suicide n’a pas significativement augmenté, les effets de la pandémie sont déjà là.
"On ne pourra pas toujours continuer à ce rythme. Il faudra pouvoir reprendre notre souffle", s’inquiète Lynda Poirier, directrice générale du Centre de prévention du suicide de Québec. Si les données officielles n’indiquent encore aucune augmentation du taux de décès par suicide dans la province, les ressources des organismes de prévention du suicide sont saturées depuis la pandémie:
"La pandémie de suicides est un mythe. Par contre, ce que l’on voit, c’est que les gens en détresse vont parler davantage de l’impact de la Covid. Les gens en ont vraiment assez. […] On voit de la fatigue, de la lassitude, de l’impuissance. Ce n’est pas tant de la révolte que de l’exaspération. On a besoin d’espoir", souligne Lynda Poirier à notre micro.
Depuis plusieurs semaines, de nombreux observateurs déplorent le manque de ressources pour aider les gens aux prises avec des problèmes de santé mentale. "À Québec, heureusement, nous ne sommes pas en rupture de services, mais la demande est forte et les appels sont plus longs", poursuit Lynda Poirier.
Psys: +30 à 40% de demandes
Selon les derniers chiffres avancés par Québec, les demandes de consultation pour un professionnel de la santé mentale ont grimpé de 30% à 40% depuis le déclenchement de l’état d’urgence, en mars 2020. Ce 25 janvier, Lionel Carmant, le ministre québécois délégué à la Santé et aux Services sociaux, a dévoilé un nouveau "plan d’action interministériel en santé mentale". Avec ce plan, Québec investit 361 millions supplémentaires pour enrayer l’inflation de demandes:
"Ce qu’on vit actuellement, c’est de la détresse psychologique. […] Au Québec, on a cette tendance à référer vers le psychologue ou vers le psychiatre, où les listes d’attente sont extrêmement longues tant au public qu’au privé. […] Juste de parler avec un intervenant en santé mentale peut nous aider", a déclaré le ministre.
Professeur associé au département de psychologie de l’Université du Québec à Montréal, Michel Toussignant s’inquiète des effets à long terme de la "désocialisation" d’une partie de la population, en particulier chez des gens plus âgés.
Gagnants et perdants de la crise
Sur le plan psychologique, les dommages collatéraux ne se font pas ressentir dans toutes les couches de la population, précise-t-il, mais surtout dans les milieux où les gens ne bénéficient pas de la sécurité de l’emploi et de salaires compétitifs. Le chercheur évoque donc l’importance de tenir compte des "disparités sociales". Il alerte aussi sur l’abus grandissant de drogues, alors que la crise des opioïdes bat son plein en Amérique du Nord. Entre mars 2020 et avril 2021, 3.700 Canadiens de plus qu’établi par les prévisions officielles sont décédés de surdoses parmi les citoyens de moins de 65 ans.
"Ça ne s’est pas encore traduit en suicides. Ce qui a pris de l’ampleur au Québec, c’est surtout le nombre d’overdoses. Le nombre de décès par overdose a presque doublé: c’est énorme. La surdose n’est pas une mort par suicide, mais souvent, c’est ce qu’on appelle une mort par désespoir", souligne-t-il.
SelonLynda Poirier, l’après-pandémie risque d’être une période mouvementée pour le Centre de prévention du suicide de Québec, mais aussi pour les 29 organismes du Regroupement des centres de prévention du suicide du Québec, dont elle est présidente. La levée des principales mesures sanitaires est souhaitée, mais elle ne sera peut-être pas non plus une solution miracle:
"L’après-guerre n’est pas toujours rose. Du jour au lendemain, tout ne revient pas à la normale. On se prépare à toutes les éventualités", souligne la directrice.
Michel Toussignant partage cette analyse. Les moments à venir seront déterminants, mais pour l’instant, une "certaine solidarité" contribuerait à limiter les dégâts:
"La prolongation de la pandémie pourrait faire basculer les choses. S’il n’y a plus de lueur d’espoir, les gens pourront être plus découragés. […] Les habitudes de consommation d’alcool et de drogue prises pendant la pandémie par certains pourront également augmenter les chances de suicide", prévient le professeur de psychologie.
Du côté fédéral, le Premier ministre Justin Trudeau continue de faire régulièrement la promotion des nouveaux programmes d’Ottawa en santé mentale.
Quand les jours sont courts et qu’il fait froid, c’est important de prendre soin de sa santé mentale. Si vous souhaitez trouver de l’aide ou des ressources, téléchargez l’appli Mieux-être ou visitez l’Espace mieux-être : https://t.co/24YLVIVvjY. Vous n’êtes pas seul.
— Justin Trudeau (@JustinTrudeau) January 18, 2022
En mai 2020, le dirigeant canadien a lancé le portail numérique Espace mieux-être Canada pour "favoriser le mieux-être et la résilience" et offrir des services en santé mentale et en traitement de la toxicomanie.