La diplomatie de l’érable au chevet de l’Ukraine ou de l’électorat ukrainien au Canada?
© AFP 2024 STEPHANIE LECOCQJustin Trudeau
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Mélanie Joly, ministre des Affaires étrangères, est de passage à Kiev pour "réaffirmer le soutien inébranlable du Canada" à l’Ukraine. Mais selon certains observateurs, la position tranchée d’Ottawa le rend inutile dans les pourparlers.
"Sur la question ukrainienne, le Canada n’a aucune crédibilité auprès de ses alliés de l’Otan ou du G7 à cause de son alignement total sur les positions du gouvernement ukrainien", tranche d’entrée de jeu Jocelyn Coulon.
Ex-conseiller du ministre fédéral des Affaires étrangères Stéphane Dion, en 2016-2017, il estime que le Canada n’est pas "un acteur constructif" dans la crise qui oppose Moscou aux puissances de l’Otan: "nous ne jouons pas de rôle dans le processus de paix", résume-t-il avant de poursuivre:
"La meilleure chose que Mme Joly pourrait faire serait de dire aux Ukrainiens de faire un geste envers la Russie et d’arrêter de jeter de l’huile sur le feu. Depuis deux mois, les Ukrainiens inventent des menaces qui n’existent pas afin de maintenir la pression sur les pays occidentaux", souligne celui qui a également été journaliste.
Mélanie Joly se rend à Kiev afin de réitérer le soutien inconditionnel d’Ottawa à l’Administration du Président ukrainien Volodymyr Zelensky. Moscou s’oppose à l’expansion de l’Otan en Ukraine et s’inquiète de l’agressivité renouvelée de Kiev à l’encontre des républiques autoproclamées de Donetsk et de Lougansk. "C’est un grand signal de soutien de la part du Premier ministre Justin Trudeau d’envoyer sa ministre des Affaires étrangères à ce moment-ci", indique une source gouvernementale à Radio-Canada.
Joly à Kiev, de la politique intérieure?
Pour Jocelyn Coulon, la visite de la ministre Joly à Kiev vise moins à trouver une solution au conflit qu’à satisfaire les attentes du lobby ukrainien au pays de l’érable. En ce sens, son action relèverait davantage de la politique intérieure que la politique extérieure. On estime à plus d’un million le nombre de Canadiens d’origine ukrainienne. Une "importante diaspora ukrainienne" dont le gouvernement est selon lui "l’otage":
"À Ottawa, on tremble à l’idée que les électeurs canadiens d’origine ukrainienne puissent voir le Premier ministre Trudeau assis en face de Poutine. Et notre classe politique est d’une irresponsabilité incroyable lorsqu’il s’agit de parler de sujets internationaux polarisants. […] Le Canada est le seul pays du G7 dont le chef est incapable de rencontrer en bilatéral le Président Poutine", tacle-t-il.
Dans une entrevue accordée à Sputnik en décembre 2021, Gilles Breton, ex-ambassadeur canadien à Moscou (2008-2012), dénonçait lui aussi l’emprise du lobby ukrainien sur le gouvernement Trudeau, de même que la position dogmatique de ce dernier face à la Russie.
Partenariats militaires Canada-Ukraine
Durant son séjour en Ukraine, le chef de la diplomatie canadienne rendra visite aux militaires canadiens qui y sont stationnés. Environ 200 hommes des Forces armées canadiennes s’y trouvent actuellement dans le cadre de la mission Unifier lancée en 2015 par Ottawa. Justin Trudeau n’a pas exclu d’envoyer d’autres soldats dans les prochaines semaines. Selon les informations partagées par Ottawa sur son site officiel, l’armée canadienne a formé plus de 12.500 soldats ukrainiens depuis le lancement de cette mission. Les Forces armées canadiennes collaborent aussi avec l’armée ukrainienne dans le cadre du Programme d’instruction et de coopération militaires d’Ottawa, programme dont Kiev est le principal bénéficiaire. Depuis 2019, le Canada et le Royaume-Uni jouent également le rôle "d’ambassade point de contact" de l’Otan à Kiev.
Chercheur au Centre d’études et de recherches internationales de l’Université de Montréal (CERIUM), Jocelyn Coulon fustige la posture du Canada face à la Russie, qu’il juge "guidée par l’émotion", donc dénuée de réalisme. Les préoccupations du Kremlin concernant l’expansion sans fin de l’Otan sont légitimes, estime-t-il:
"Les dirigeants occidentaux sont incapables de se mettre à la place des Présidents russes, alors que l’aptitude à se mettre à la place des autres est à la base de la diplomatie. […] Poutine rappelle seulement que depuis 1989, tous les dirigeants soviétiques et russes ont dit à de multiples reprises de ne pas élargir l’Otan et de ne de pas emmener l’organisation à la frontière russe."
Entretenant la paranoïa ambiante en Occident, le gouvernement canadien a émis le 16 janvier dernier un avertissement pour déconseiller aux Canadiens de voyager en Ukraine pour des raisons "non essentielles":
"L’action militaire russe en Ukraine pourrait perturber les déplacements et les services dans l’ensemble du pays. Elle pourrait également avoir de graves répercussions sur la capacité de l’ambassade à fournir des services consulaires", peut-on lire sur le site d’Affaires mondiales Canada.
Les relations russo-canadiennes se trouvent dans une impasse depuis que le gouvernement du Premier ministre canadien Stephen Harper (2006-2015) a pris ses distances avec Moscou en 2014. À la suite de la réintégration de la Crimée à la Russie, Ottawa avait décidé d’imposer des sanctions contre Moscou. Des mesures de rétorsion élargies à plusieurs reprises après la riposte du Kremlin. Les sanctions canadiennes consistent en un "gel des avoirs et une interdiction des transactions" à l’encontre de plusieurs citoyens et entreprises russes. Quant à la Russie, elle a interdit l’entrée sur le territoire du pays à plusieurs responsables canadiens.