Haute intensité: la remontée en puissance de l’armée française passe aussi par celle de l’industrie

© AFP 2024 JULIEN FECHTER / SIRPA AIR / AFPHommes du CPA 10 et un H225M Caracal, lors d'un entrainement à la base aérienne 123 Orléans-Bricy, 19 décembre 2016.
Hommes du CPA 10 et un H225M Caracal, lors d'un entrainement à la base aérienne 123 Orléans-Bricy, 19 décembre 2016. - Sputnik Afrique, 1920, 19.12.2021
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La France a entrepris un effort de modernisation de son armée, stoppant de manière inédite l’érosion du budget de la Défense. Pour le colonel Hogard, cet effort doit s’accompagner d’une vraie politique de souveraineté industrielle.
Bien plus que de faire peau neuve, l’armée française veut pouvoir bander les muscles. La "haute intensité", qui qualifie les conflits entre nations où la violence n’a aucune limite, redevient son défi n° 1.
Du récent exercice Polaris en Méditerranée, qui a mobilisé 4.000 marins, au changement de livrée des 10.000 blindés tricolores pour les rendre moins détectables aux capteurs, en passant par la remontée en puissance de l’artillerie ou encore le retour de la spécialisation des régiments: pas une semaine ne s’écoule sans que le scénario de conflits d’ampleur ne fasse parler de lui dans la presse spécialisée. Et pour cause, c’est un changement radical de paradigme pour les militaires qui, depuis la fin de la Seconde Guerre mondiale, n’ont pratiquement connu que des engagements asymétriques, contre des mouvements de guérilla ou terroristes.
Pour l’heure, la France serait en retard. Malgré le professionnalisme de ses troupes, les carences capacitaires françaises en cas de conflit conventionnel sont flagrantes. Dans un rapport paru mi-juin, le Think tank américain Rand Corporation soulignait les faiblesses des armées tricolores, notamment en termes de transport aérien stratégique et de stocks de munitions. Une étude qui fit dire à Éric Zemmour "On a de quoi faire la guerre 24 heures, après il n’y a plus rien". Et d’ajouter: "On sait tout faire, on a de tout, ce qui est formidable parce que cela permet de garder des compétences […], mais ça veut dire aussi que c’est ridicule".

Fini, les "dividendes de la paix"

Une "armée d’échantillon": à effectifs "diminué", "en pointe" technologiquement, dont les "hommes sont valeureux", mais qu’il "faut engager à bon escient", résumait quant à lui Jean-Pierre Chevènement, ancien ministre de la Défense. La conséquence de plusieurs décennies de coupes budgétaires massives. Rien qu’entre 2009 et 2015, les crédits alloués à l’armée française ont diminué de 11%. Cette même année, en tenant compte de l’inflation, Le Monde estima à 20% la baisse sur 25 ans du budget du ministère de la Défense.

"Il est de notre devoir de faire prendre conscience à nos concitoyens que le monde qui les entoure est un monde violent et qu’ils vont être rattrapés par cette violence très rapidement, quoiqu’il arrive, qu’ils le veuillent ou non", déclarait le général Burkhardt, le 22 juillet.

Une prise de parole du nouveau chef d’État-major des armées (CEMA) devant les sénateurs à l’occasion de sa prise de fonctions. Pour cet officier passé par le 2e REP, la France devrait être militairement prête à en découdre, et ce afin de "gagner la guerre avant la guerre". Autant dire que l’adage latin, devenu devise de l’École de guerre, Si vis pacem, para bellum, est plus que jamais au goût du jour.
Des déclarations martiales qui semblent taillées pour livrer une première bataille: celle des hémicycles. Car rien ne garantit que la tendance budgétaire actuelle ne perdure au-delà du quinquennat Macron. La loi de programmation militaire (LPM) 2019-2025 a porté le budget de la Défense de 32,4 milliards d’euros en 2017 à 39,2 milliards en 2021. Mais si cette LPM a été jusqu’à présent respectée, rien ne garantit que ce sera toujours le cas. Chaque année, leurs engagements sont soumis à l’aval de la majorité parlementaire à travers la Loi de Finances.
Lorsqu’Emmanuel Macron parvint au pouvoir, une coupe nette de 850 millions d’euros dans les programmes d’équipements fut annoncée d’entrée de jeu. Un coup dur pour cette armée échantillon, déployée des vallées de Kapissa aux dunes de la lointaine Tombouctou en passant par les faubourgs de Mossoul. En réaction à la polémique suscitée par le coup de sang du CEMA d’alors, le général de Villiers, Emmanuel Macron promettait ensuite de rehausser le budget des armées dès l’année suivante.

Logistique: relancer l’industrie nationale

Toutefois, un budget qui ne s’érode plus ne suffit pas pour répondre aux ambitions de la haute intensité. Face à un ennemi qui peut avoir le choix des armes et du terrain, la qualité d’unités de forces spéciales et un équipement de pointe ne suffisent pas pour encaisser un choc frontal.
Il faut ainsi massifier les forces conventionnelles, estime le CEMA. Point qui, budgétairement, n’est pas à l’ordre du jour. Mais encore faut-il être en mesure d’approvisionner une armée, aussi forte en blindés et en hommes soit-elle. Car la haute intensité "est une guerre de stocks, une guerre économique, très consommatrice en équipements et en munitions" soulignait un rapport sénatorial sur les enseignements de la guerre du Haut-Karabakh qui opposa à l’automne 2020 les forces artsakhiotes et azerbaïdjanaises.
Or, au fil des coupes budgétaires et des économies de bouts de chandelles, la France s’est dépossédée de son outil industriel de Défense. Cet état de fait s’illustre particulièrement dans le cas des munitions. Après les attentats de Paris, les autorités françaises envoyèrent les Rafale et les Mirage 2000 bombarder Daech* au Levant, mais les chasseurs se retrouvèrent à court de bombes. L’Administration Obama fit passer les commandes "urgentes" de bombes des Français après celles de leurs alliés saoudiens, alors en pleine offensive au Yémen. L’Opération Chammal n’avait alors largué que 680 bombes sur la Syrie et l’Irak en quinze mois.

"On voit bien notre dépendance matérielle, logistique et financière vis-à-vis de nos alliés théoriques", regrette le colonel Hogard. "Le redressement de notre industrie de Défense est absolument lié à la capacité opérationnelle de nos armées", insiste-t-il.

Cette dépendance se retrouve jusque dans la fourniture en armes et munitions à l’infanterie. Le choix du fusil allemand HK-416 et du pistolet tchèque Glock-17 comme armes réglementaires des trois armées en est la démonstration la plus aboutie. Pourtant la France ne manquait pas d’acteurs dans ces filières, bien au contraire. Mais encore fallait-il avoir la volonté politique de les préserver.
Début 2017, la création d’une filière de munitions de petit calibre en Bretagne fit certes la fierté du ministre de la Défense, Jean-Yves le Drian, mais un an plus tard, Manurhin faisait faillite avant d’être racheté par Emirates Defense Industries Company (Edic), un groupe d’armement émirien. Il s’agissait pourtant de l’ex-n° 1 mondial dans les machines-outils destinées à l’industrie munitionnaire, entreprise centenaire considérée comme un joyau de l’industrie de Défense française. Un sort similaire pour la manufacture d’armes de Saint-Étienne: créée par Louis XV, elle produisait les fusils FAMAS, mais a dû fermer ses portes en 2001 après un long déclin des commandes publiques.

"Protéger" et "redresser" l’industrie de Défense

Si la France veut offrir un second souffle à son industrie de Défense, elle doit d’abord se libérer du carcan de l’Otan et de l’Union européenne, estime le Colonel Hogard. Autant d’"entraves évidentes à notre souveraineté nationale" selon notre intervenant. L’Otan et l’UE, "deux faces d’une même pièce" qui rassemblent autour de Paris des alliés encombrants, au premier rang desquels l’Allemagne et ses "arrière-pensées industrielles". Il est vrai, Berlin bloque systématiquement l’intérêt français tant sur les différents dossiers de Défense qui la lie à la France que concernant ses coups de boutoir sur le nucléaire.
Or, prendre ses distances avec Berlin pour recouvrer une indépendance industrielle reste une logique qui va à contresens de celle d’Emmanuel Macron. Le Président ne jure en effet que par le "couple" franco-allemand, tout particulièrement sur le plan militaire. Au point par exemple de mettre un terme à la coopération avec le Royaume-Uni sur le programme de Système de combat aérien du futur (SCAF) au profit de l’Allemagne, avant d’y ajouter un penchant terrestre (MGCS) ou encore de lancer le développement de patrouilleurs maritimes (MAWS) et l’Eurodrone.
Quatre ans plus tard, le résultat est sans appel: tous les programmes sont dans l’impasse. Mais qu’à cela ne tienne, un autre programme franco-allemand a été lancé par Paris, concernant l’artillerie (CIFS), avec cette fois-ci l’espoir d’obtenir des financements européens. Autant dire que le chemin à parcourir, pour une armée française soucieuse de renouer avec son rang de puissance globale, s’annonce particulièrement long.
*Organisation terroriste interdite en Russie
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