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Le Tchad vu de l’intérieur: les confidences du ministre des Affaires étrangères à Sputnik
Le Tchad vu de l’intérieur: les confidences du ministre des Affaires étrangères à Sputnik
Sputnik Afrique
La situation intérieure au Tchad et la place du pays dans l’arène internationale, notamment à la lumière de ses relations historiques avec la France, ont été... 09.12.2021, Sputnik Afrique
2021-12-09T18:17+0100
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À l’issue d’une récente visite à Moscou et des négociations avec son homologue russe, Sergueï Lavrov, le chef de la diplomatie tchadienne, Mahamat Cherif Zene, a accordé une interview à Sputnik pour aborder les différents aspects des relations de son pays, tant avec Moscou qu’avec Paris.Sputnik: Vous avez discuté avec le ministre Lavrov de la consolidation des efforts pour combattre la menace terroriste dans la région du lac Tchad et la région sahélo-saharienne. À quel point êtes-vous d’accord dans ce cadre?Mahamat Cherif Zene: "Je pense qu’il y a une convergence de nos points de vue sur l’ampleur et la gravité de la menace terroriste dans les deux régions: le bassin du Lac-Tchad et le Sahel. Je me réjouis que le ministre Lavrov nous ait informé du soutien de la Russie suite à la demande persistante des chefs d’État du G5-Sahel, qui ont demandé que la force conjointe mise en place dans le cadre de ce groupe puisse être prise en charge sur le budget de l’Onu. Cette question se trouve à l’ordre du jour du G5-Sahel et tous nos partenaires essaient de nous aider.Mais au niveau du Conseil de sécurité apparemment il n’y a pas d’unanimité entre les membres permanents. La Russie a apporté tout son soutien à la démarche du G5-Sahel pour que la force conjointe du G5-Sahel puisse être prise en charge, ne serait-ce que partiellement, sur le budget de l’Onu.Je pense que c’est une question extrêmement importante pour nous, et nous espérons que les autres membres permanents du Conseil de sécurité apporteront autant d’attention à cette question. Je sais que la France est favorable à cette force. La Russie a fait une proposition concrète. Lavrov a également promis d’étudier dans quelles mesures, en matière de formation et d’appui, la Russie pourrait aider. En tout cas il y a une disponibilité de la part de la Russie d’appuyer les pays qui luttent contre cette menace.Je rappelle que cette menace s’est propagée dans l’ensemble du Sahel et déborde maintenantdu cadre du Sahel pour toucher les pays côtiers comme le Bénin, la Côte-d’Ivoire et l’Afrique centrale. On parle aujourd’hui de la présence de groupes terroristes en Centrafrique et en République Démocratique du Congo. C’est quelque chose de grave et d’inquiétant.À cet égard, la Russie est lucide. Cette menace s’est propagée à cause de la crise libyenne, et l’Afrique n’est pas responsable de ce qui était arrivé en Libye. Les conséquences sont celles que nous connaissons aujourd’hui.Le Tchad est le pays le plus touché par la crise libyenne. Pour preuve: l’attaque survenue en avril dernier et menée par des assaillants lourdement armés venus du Sud libyen, et dans laquelle nous avons perdu notre Président. Ils ont heureusement été défaits, mais une partie a regagné le Sud libyen.Nous avons donc également demandé au ministre Lavrov le soutien de la Russie pour bien encadrer et coordonner le départ des mercenaires issus des pays voisins, parce que la communauté internationale exige leur départ immédiat. Il ne faudrait pas que ce départ soit une nouvelle source de déstabilisation pour les pays voisins. Et sur ce plan je pense que Lavrov est conscient de la situation. Il a promis de faire de son mieux pour que le départ de ces mercenaires ne soit pas une source de déstabilisation. Il ne faudrait pas qu’on règle la crise libyenne en en créant une autre à côté."Sputnik: Concernant la RCA, certaines sources accusent le Tchad et la France de soutenir et de préparer la Coalition des patriotes pour le changement (CPC) pour un assaut en Centrafrique. La situation actuelle ira-t-elle vers une escalade dans la région?Mahamat Cherif Zene: "Je pense que ceux qui parlent d’escalade souhaitent peut-être qu’il y en ait une. Ni la France ni le Tchad ni personne n’a intérêt à ce qu’il y ait une escalade quelque part. Le Tchad a été agressé en mai dernier à cinq kilomètres l’intérieur de ses frontières, à un poste avancé de l’armée tchadienne, plus précisément à Sourou. L’attaque a été menée par les forces centrafricaines. À 5 heures du matin, on a enregistré des morts et certains soldats ont été faits prisonniers pour être ensuite exécutés de l'autre côté. Mais nous n’avons pas riposté par la violence.Comme convenu avec la RCA, elle a envoyé aussitôt après une délégation pour qu’on puisse trouver des voies et des moyens pour situer les responsabilités et nous avons accepté de faire appel à une commission internationale d’enquête pour établir les faits.Ceux qui parlent de puissances étrangères qui souhaiteraient nous pousser vers une escalade ont beaucoup d’imagination. Ça ne repose sur rien et la preuve est que malgré cette agression, nous n’avons pas cédé à la tentation de provoquer une escalade de la situation.Notamment car nous sommes dans une situation extrêmement sérieuse sur le plan sécuritaire. Nous sommes un pays entouré par des crises extrêmement graves: vous connaissez la situation en République centrafricaine; la situation au Soudan est relativement stable, bien qu’il y ait souvent des conflits intercommunautaires sur la partie frontalière avec le Tchad et où il y a des réfugiés, au Darfour; nous avons au nord la Libye où règne un chaos total. Même si on le ne dit pas, c’est un pays entièrement divisé, sous le contrôle de différentes forces qui s’affrontent, et le sud de la Libye échappe complètement au contrôle du gouvernement. Les groupes terroristes, les mercenaires, les narcotrafiquants, les trafiquants d’êtres humains ont élu domicile là-bas. C’est devenu une zone de non-droit. Le Tchad a été agressé depuis cette zone plusieurs fois. La dernière attaque a causé la mort du Président, mais bien avant ça, nous en avons enregistré d’autres [des attaques, ndlr] qui étaient aussi destructrices et graves quant aux pertes humaines et de matériels.Pour toutes ces raisons, le Tchad ne sera pas le pays qui cherchera à créer de nouvelles tensions, loin de là. C’est pourquoi nous privilégions le dialogue. Avec nos frères et voisins de la RCA, nous discutons de la situation préoccupante dans leur pays.Je dois rappeler que par le passé, le Tchad a beaucoup contribué à la stabilité de la RCA par l’envoi de troupes à la demande de la Communauté économique des États de l’Afrique centrale (CEEAC). Nous avons été pendant la transition centrafricaine au côté des pays membres de la Communauté économique monétaire de l’Afrique centrale (CEMAC). Nous avons même pris en charge pendant un certain temps les salaires de fonctionnaires centrafricains pour que les élections puissent se tenir.Depuis 2014, le Tchad a retiré son contingent de la Mission de l’UA déployée dans ce pays, et depuis je pense qu’il n’y a eu aucune attaque depuis le Tchad. Nous avons fermé notre frontière qui n’est ouverte qu’aux réfugiés, et ça aussi c’est à la demande de l’UHCR. Donc nous sommes très ouverts, nous comprenons ce qui se passe dans ce pays et nous souhaitons que nos frères centrafricains trouvent un règlement pacifique.Pour la CPC, il y a eu une initiative prise conjointement entre la Conférence internationale sur la région du Grand Lac (CIRGL) sous l’égide de l’Angola et de la CEEAC. Un effort est en cours dans ce cadre. Il a été convenu il y a trois semaines au Rwanda avec la participation du Président centrafricain en personne. Le Tchad a également été invité et tous les pays membres du CIRGL ont été invités. Et certainement à la demande de cette médiation conjointe Rwanda-Angola, un certain nombre de responsables de groupes politico-militaires ont été obligés de s’exiler. Dans ce cadre, certains membres des pays voisins ont été sollicités pour accueillir les chefs rebelles. C’est à ce titre, à la demande de cette médiation, que l’ancien Président Bozizé a été accueilli au Tchad. Mais ce n’est pas pour déstabiliser la RCA, c’est pour aider la RCA dans sa quête de la paix. Et si cette même médiation demande qu’il parte, le Tchad ne s’y opposera pas.Nous n’avons rien à voir avec la CPC, et nous n’avons rien avoir avec ce qui se passe en RCA. Au contraire, nous sommes victimes de ce qui se passe là-bas. Nous avons non seulement enregistré le retour d’une centaine de milliers de Tchadiens qui ont fui la RCA, mais nous avons aussi enregistré l’arrivée de 150.000-200.000 réfugiés centrafricains que le Tchad abrite aujourd’hui. De plus, en mai dernier, nous avons été attaqués par des hommes lourdement armés, y compris avec des blindés, à l’intérieur de nos frontières. Ce qui veut dire que nous n’avons pas provoqué l’escalade des tensions. Nous faisons tout ce que nous pouvons pour que la paix soit sauvegardée au Tchad et dans les sous-régions.Pour maintenir la paix, nous avons créé une force conjointe avec le Soudan pour sécuriser les frontières et éviter que des hommes armés ne circulent de part et d’autre et puissent créer des tensions dans nos États. Nous travaillions aussi avec les Libyens pour voir comment nous pouvons sécuriser ensemble les frontières. Nous faisons la même chose avec les pays du bassin du Lac Tchad: le Niger, le Cameroun et le Nigeria, dans le cadre de la force multinationale mixte pour lutter non seulement contre la menace terroriste, mais aussi contre les trafics criminels en tout genre qui s’opèrent notamment près de nos frontières."Sputnik: Quelle sera la date du dialogue national attendu pour la fin du mois? Y aura-t-il un médiateur, comme la France par exemple?Mahamat Cherif Zene: "Je suis chaque fois surpris qu’on fasse allusion à la France alors que la France n’a rien avoir dans ce processus. C’est un processus national, et comme je l’ai dit, il est conduit par le gouvernement de transition qui est dirigé par le Premier ministre. Ce processus est conduit de façon inclusive et transparente. Le gouvernement ne dicte pas quand le dialogue aura lieu. Ce sont les deux comités qui décident.D’après la feuille de route sur la transition, il est prévu que le dialogue national inclusif se tienne en fin décembre, début janvier au plus tard. Mais beaucoup d’acteurs politiques ont estimé qu’il ne sert à rien d’avoir un dialogue sans la participation de l’opposition armée. Effectivement, pour permettre à cette dernière de participer, il faudrait d’abord qu’il y ait un prédialogue avec le comité chargé de la participation de ces groupes politico-militaires dans un pays étranger. Donc l’aboutissement de cette démarche risque effectivement de connaître une petite incidence en termes de temps sur la tenue du dialogue.Au début, nous pensions pouvoir faire comme au Soudan: un processus politique interne avec les acteurs politiques non armés d’un côté, et puis un autre processus parallèle avec les groupes politico-militaires; et au fur et à mesure que ceux-ci signent des accords de paix et qu’ils se joignent au dialogue. Mais d’autres ont considéré que ce n’était pas une bonne chose, surtout les partis d’opposition civils. Tous ont jugé qu’il fallait avoir un seul dialogue inclusif. Donc il faut d’abord convaincre ceux qui sont armés de déposer les armes et de se joindre au reste.Cela peut amener les deux comités à travailler ensemble: celui chargé de la participation des groupes politico-militaires et celui chargé du dialogue national inclusif qui s’occupe notamment de l’intérieur du pays et de la diaspora, c’est-à-dire des opposants non armés.Toutefois nous estimons que les délais prévus par la transition seront plus ou moins respectés, même si c’est avec un léger retard d’un mois ou deux. Lors du démarrage du dialogue, nous ferons en sorte que les échéances prévues soient respectées.Mais le respect de ces délais ne dépend pas que du gouvernement, car pour organiser des élections, pour organiser un dialogue national, pour organiser un processus de mise en place d’une nouvelle constitution, il faut des moyens. Et ces moyens, le Tchad ne peut les mobiliser seul. Les montants sont gigantesques. La feuille de route dans tous ces volets, y compris de DDP (démobilisation, désarmement et réinsertion de ceux qui font partie de l’opposition armée), à 1,3 milliard de dollars, le tout dans le contexte de la pandémie et en considérant l’effort sécuritaire que le Tchad fait. D’ailleurs, le pays consacre à ce dernier 32% de son budget pour sécuriser ses frontières mais aussi pour participer à l’effort de lutte contre le terrorisme dans le bassin du Lac Tchad et dans la zone des trois frontières dans le cadre du G5-Sahel.Nous espérons donc que la communauté internationale va nous accompagner et nous aider à avoir les ressources attendues pour que les élections se tiennent dans les délais. Et si nous n’avons pas les moyens, et que les élections ne se tiennent pas dans les temps, je ne pense pas qu’ils nous accuseront de mauvaise foi.Toutes les dispositions ont été prises pour qu’elles se tiennent dans les délais prévus. Le gouvernement y travaille, pour l’heure uniquement avec le budget de l’État, mais il attend néanmoins au moins une partie de l’enveloppe prévue de la part de la communauté internationale.
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Le Tchad vu de l’intérieur: les confidences du ministre des Affaires étrangères à Sputnik
18:17 09.12.2021 (Mis à jour: 18:05 10.01.2022) La situation intérieure au Tchad et la place du pays dans l’arène internationale, notamment à la lumière de ses relations historiques avec la France, ont été analysées par le ministre des Affaires étrangères du pays, Mahamat Cherif Zene, dans un entretien à Sputnik.
À l’issue d’une récente visite à Moscou et des négociations avec son homologue russe, Sergueï Lavrov, le chef de la diplomatie tchadienne, Mahamat Cherif Zene, a accordé une interview à Sputnik pour aborder les différents aspects des relations de son pays, tant avec Moscou qu’avec Paris.
Sputnik: Vous avez discuté avec le ministre Lavrov de la consolidation des efforts pour combattre la menace terroriste dans la région du lac Tchad et la région sahélo-saharienne. À quel point êtes-vous d’accord dans ce cadre?
Mahamat Cherif Zene: "Je pense qu’il y a une convergence de nos points de vue sur l’ampleur et la gravité de la menace terroriste dans les deux régions: le bassin du Lac-Tchad et le Sahel. Je me réjouis que le ministre Lavrov nous ait informé du soutien de la Russie suite à la demande persistante des chefs d’État du G5-Sahel, qui ont demandé que la force conjointe mise en place dans le cadre de ce groupe puisse être prise en charge sur le budget de l’Onu. Cette question se trouve à l’ordre du jour du G5-Sahel et tous nos partenaires essaient de nous aider.
Mais au niveau du Conseil de sécurité apparemment il n’y a pas d’unanimité entre les membres permanents. La Russie a apporté tout son soutien à la démarche du G5-Sahel pour que
la force conjointe du G5-Sahel puisse être prise en charge, ne serait-ce que partiellement, sur le budget de l’Onu.
Je pense que c’est une question extrêmement importante pour nous, et nous espérons que les autres membres permanents du Conseil de sécurité apporteront autant d’attention à cette question. Je sais que la France est favorable à cette force. La Russie a fait une proposition concrète. Lavrov a également promis d’étudier dans quelles mesures, en matière de formation et d’appui, la Russie pourrait aider. En tout cas il y a une disponibilité de la part de la Russie d’appuyer les pays qui luttent contre cette menace.
Je rappelle que cette menace s’est propagée dans l’ensemble du Sahel et déborde maintenantdu cadre du Sahel pour toucher les pays côtiers comme le Bénin, la Côte-d’Ivoire et l’Afrique centrale. On parle aujourd’hui de la présence de groupes terroristes en Centrafrique et en République Démocratique du Congo. C’est quelque chose de grave et d’inquiétant.
À cet égard, la Russie est lucide. Cette menace s’est propagée à cause de la crise libyenne, et l’Afrique n’est pas responsable de ce qui était arrivé en Libye. Les conséquences sont celles que nous connaissons aujourd’hui.
Le Tchad est le pays le plus touché par la crise libyenne. Pour preuve: l’attaque survenue en avril dernier et menée par des assaillants lourdement armés venus du Sud libyen, et dans laquelle nous avons perdu notre Président. Ils ont heureusement été défaits, mais une partie a regagné le Sud libyen.
Nous avons donc également demandé au ministre Lavrov le soutien de la Russie pour bien encadrer et coordonner le départ des mercenaires issus des pays voisins, parce que la communauté internationale exige leur départ immédiat. Il ne faudrait pas que ce départ soit une nouvelle source de déstabilisation pour les pays voisins. Et sur ce plan je pense que Lavrov est conscient de la situation. Il a promis de faire de son mieux pour que le départ de ces mercenaires ne soit pas une source de déstabilisation. Il ne faudrait pas qu’on règle la crise libyenne en en créant une autre à côté."
Sputnik: Concernant la RCA, certaines sources accusent le Tchad et la France de soutenir et de préparer la Coalition des patriotes pour le changement (CPC) pour un assaut en Centrafrique. La situation actuelle ira-t-elle vers une escalade dans la région?
Mahamat Cherif Zene: "Je pense que ceux qui parlent d’escalade souhaitent peut-être qu’il y en ait une. Ni la France ni le Tchad ni personne n’a intérêt à ce qu’il y ait une escalade quelque part. Le Tchad a été agressé en mai dernier à cinq kilomètres l’intérieur de ses frontières, à un poste avancé de l’armée tchadienne, plus précisément à Sourou. L’attaque a été menée par les forces centrafricaines. À 5 heures du matin, on a enregistré des morts et certains soldats ont été faits prisonniers pour être ensuite exécutés de l'autre côté. Mais nous n’avons pas riposté par la violence.
Comme convenu avec la RCA, elle a envoyé aussitôt après une délégation pour qu’on puisse trouver des voies et des moyens pour situer les responsabilités et nous avons accepté de faire appel à une commission internationale d’enquête pour établir les faits.
Ceux qui parlent de puissances étrangères qui souhaiteraient nous pousser vers une escalade ont beaucoup d’imagination. Ça ne repose sur rien et la preuve est que malgré cette agression, nous n’avons pas cédé à la tentation de provoquer une escalade de la situation.
Notamment car nous sommes dans une situation extrêmement sérieuse sur le plan sécuritaire. Nous sommes un pays entouré par des crises extrêmement graves: vous connaissez la situation en République centrafricaine; la situation au Soudan est relativement stable, bien qu’il y ait souvent des conflits intercommunautaires sur la partie frontalière avec le Tchad et où il y a des réfugiés, au Darfour; nous avons au nord la Libye où règne un chaos total. Même si on le ne dit pas, c’est un pays entièrement divisé, sous le contrôle de différentes forces qui s’affrontent, et le sud de la Libye échappe complètement au contrôle du gouvernement. Les groupes terroristes, les mercenaires, les narcotrafiquants, les trafiquants d’êtres humains ont élu domicile là-bas. C’est devenu une zone de non-droit. Le Tchad a été agressé depuis cette zone plusieurs fois. La dernière attaque a causé la mort du Président, mais bien avant ça, nous en avons enregistré d’autres [des attaques, ndlr] qui étaient aussi destructrices et graves quant aux pertes humaines et de matériels.
Pour toutes ces raisons, le Tchad ne sera pas le pays qui cherchera à créer de nouvelles tensions, loin de là. C’est pourquoi nous privilégions le dialogue. Avec nos frères et voisins de la RCA, nous discutons de la situation préoccupante dans leur pays.
Je dois rappeler que par le passé, le Tchad a beaucoup contribué à la stabilité de la RCA par l’envoi de troupes à la demande de la Communauté économique des États de l’Afrique centrale (CEEAC). Nous avons été pendant la transition centrafricaine au côté des pays membres de la Communauté économique monétaire de l’Afrique centrale (CEMAC). Nous avons même pris en charge pendant un certain temps les salaires de fonctionnaires centrafricains pour que les élections puissent se tenir.
Depuis 2014, le Tchad a retiré son contingent de la Mission de l’UA déployée dans ce pays, et depuis je pense qu’il n’y a eu aucune attaque depuis le Tchad. Nous avons fermé notre frontière qui n’est ouverte qu’aux réfugiés, et ça aussi c’est à la demande de l’UHCR. Donc nous sommes très ouverts, nous comprenons ce qui se passe dans ce pays et nous souhaitons que nos frères centrafricains trouvent un règlement pacifique.
Pour la CPC, il y a eu une initiative prise conjointement entre la Conférence internationale sur la région du Grand Lac (CIRGL) sous l’égide de l’Angola et de la CEEAC. Un effort est en cours dans ce cadre. Il a été convenu il y a trois semaines au Rwanda avec la participation du Président centrafricain en personne. Le Tchad a également été invité et tous les pays membres du CIRGL ont été invités. Et certainement à la demande de cette médiation conjointe Rwanda-Angola, un certain nombre de responsables de groupes politico-militaires ont été obligés de s’exiler. Dans ce cadre, certains membres des pays voisins ont été sollicités pour accueillir les chefs rebelles. C’est à ce titre, à la demande de cette médiation, que l’ancien Président Bozizé a été accueilli au Tchad. Mais ce n’est pas pour déstabiliser la RCA, c’est pour aider la RCA dans sa quête de la paix. Et si cette même médiation demande qu’il parte, le Tchad ne s’y opposera pas.
Nous n’avons rien à voir avec la CPC, et nous n’avons rien avoir avec ce qui se passe en RCA. Au contraire, nous sommes victimes de ce qui se passe là-bas. Nous avons non seulement enregistré le retour d’une centaine de milliers de Tchadiens qui ont fui la RCA, mais nous avons aussi enregistré l’arrivée de 150.000-200.000 réfugiés centrafricains que le Tchad abrite aujourd’hui. De plus, en mai dernier, nous avons été attaqués par des hommes lourdement armés, y compris avec des blindés, à l’intérieur de nos frontières. Ce qui veut dire que nous n’avons pas provoqué l’escalade des tensions. Nous faisons tout ce que nous pouvons pour que la paix soit sauvegardée au Tchad et dans les sous-régions.
Pour maintenir la paix, nous avons créé une force conjointe avec le Soudan pour sécuriser les frontières et éviter que des hommes armés ne circulent de part et d’autre et puissent créer des tensions dans nos États. Nous travaillions aussi avec les Libyens pour voir comment nous pouvons sécuriser ensemble les frontières. Nous faisons la même chose avec les pays du bassin du Lac Tchad: le Niger, le Cameroun et le Nigeria, dans le cadre de la force multinationale mixte pour lutter non seulement contre la menace terroriste, mais aussi contre les trafics criminels en tout genre qui s’opèrent notamment près de nos frontières."
Sputnik: Quelle sera la date du dialogue national attendu pour la fin du mois? Y aura-t-il un médiateur, comme la France par exemple?
Mahamat Cherif Zene: "Je suis chaque fois surpris qu’on fasse allusion à la France alors que la France n’a rien avoir dans ce processus. C’est un processus national, et comme je l’ai dit, il est conduit par le gouvernement de transition qui est dirigé par le Premier ministre. Ce processus est conduit de façon inclusive et transparente. Le gouvernement ne dicte pas quand le dialogue aura lieu. Ce sont les deux comités qui décident.
D’après
la feuille de route sur la transition, il est prévu que le dialogue national inclusif se tienne en fin décembre, début janvier au plus tard. Mais beaucoup d’acteurs politiques ont estimé qu’il ne sert à rien d’avoir un dialogue sans la participation de l’opposition armée. Effectivement, pour permettre à cette dernière de participer, il faudrait d’abord qu’il y ait un prédialogue avec le comité chargé de la participation de ces groupes politico-militaires dans un pays étranger. Donc l’aboutissement de cette démarche risque effectivement de connaître une petite incidence en termes de temps sur la tenue du dialogue.
Au début, nous pensions pouvoir faire comme au Soudan: un processus politique interne avec les acteurs politiques non armés d’un côté, et puis un autre processus parallèle avec les groupes politico-militaires; et au fur et à mesure que ceux-ci signent des accords de paix et qu’ils se joignent au dialogue. Mais d’autres ont considéré que ce n’était pas une bonne chose, surtout les partis d’opposition civils. Tous ont jugé qu’il fallait avoir un seul dialogue inclusif. Donc il faut d’abord convaincre ceux qui sont armés de déposer les armes et de se joindre au reste.
Cela peut amener les deux comités à travailler ensemble: celui chargé de la participation des groupes politico-militaires et celui chargé du dialogue national inclusif qui s’occupe notamment de l’intérieur du pays et de la diaspora, c’est-à-dire des opposants non armés.
Toutefois nous estimons que les délais prévus par la transition seront plus ou moins respectés, même si c’est avec un léger retard d’un mois ou deux. Lors du démarrage du dialogue, nous ferons en sorte que les échéances prévues soient respectées.
Mais le respect de ces délais ne dépend pas que du gouvernement, car pour organiser des élections, pour organiser un dialogue national, pour organiser un processus de mise en place d’une nouvelle constitution, il faut des moyens. Et ces moyens, le Tchad ne peut les mobiliser seul. Les montants sont gigantesques. La feuille de route dans tous ces volets, y compris de DDP (démobilisation, désarmement et réinsertion de ceux qui font partie de l’opposition armée), à 1,3 milliard de dollars, le tout dans le contexte de la pandémie et en considérant l’effort sécuritaire que le Tchad fait. D’ailleurs, le pays consacre à ce dernier 32% de son budget pour sécuriser ses frontières mais aussi pour participer à l’effort de lutte contre le terrorisme dans le bassin du Lac Tchad et dans
la zone des trois frontières dans le cadre du G5-Sahel.
Nous espérons donc que la communauté internationale va nous accompagner et nous aider à avoir les ressources attendues pour que les élections se tiennent dans les délais. Et si nous n’avons pas les moyens, et que les élections ne se tiennent pas dans les temps, je ne pense pas qu’ils nous accuseront de mauvaise foi.
Toutes les dispositions ont été prises pour qu’elles se tiennent dans les délais prévus. Le gouvernement y travaille, pour l’heure uniquement avec le budget de l’État, mais il attend néanmoins au moins une partie de l’enveloppe prévue de la part de la communauté internationale.