Avis du Conseil constitutionnel: «une décision politique de soutien à Macron»
14:24 06.08.2021 (Mis à jour: 16:07 19.11.2021)
CC BY 3.0 / Mbzt / Rue de Montpensier (entrée du Conseil constitutionnel) - Paris IerRue de Montpensier (entrée du Conseil constitutionnel)
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Entre le respect des libertés fondamentales et le droit à la protection de la santé, le Conseil constitutionnel a pris son parti. Un «choix politique» pour un «système coercitif», selon l’avocat Régis de Castelnau.
Les Sages de la rue Montpensier ont donc tranché. L’extension du pass sanitaire sera bien appliquée dès lundi prochain aux cafés, restaurants, foires et salons, aux transports de longs trajets ou encore aux établissements médicaux. De même que l’obligation vaccinale des soignants entrera en vigueur à la mi-septembre.
Décision n° 2021-824 DC du 5 août 2021, [Loi relative à la gestion de la crise sanitaire] Non conformité partielle - réservehttps://t.co/wFmIdlbvaQ pic.twitter.com/5FRTTmx83S
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Les dispositions relatives à la rupture anticipée de CDD ou de contrats d’intérim ainsi que l’isolement obligatoire de personnes testées positives ont été retoquées par le Conseil constitutionnel. Une censure «à la marge et pour la forme, puisque l’essentiel du texte est validé», estime Me Régis de Castelnau. Interrogé par Sputnik, l’avocat qualifie l’adoption de la loi sanitaire de «décision éminemment politique» qui témoigne de l’aboutissement «d’une dérive démocratique très dangereuse en France».
Atteinte disproportionnée aux libertés?
Saisi par le Premier ministre et plusieurs dizaines de députés, le Conseil constitutionnel était chargé d’évaluer la conformité du projet de loi sanitaire à la Constitution. L’atteinte au «respect des droits et libertés constitutionnellement garantis» que porte le texte a été justifiée par les Sages par les «risques de circulation du virus […] fortement réduits entre des personnes vaccinées».
Des manifestants présents à proximité du Conseil constitutionnel après la décision sur la loi sanitaire pic.twitter.com/KhlIMvazwu
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Présent à la fois dans le préambule de la Constitution de 1946 et dans la Charte de l’environnement de 2004, «l’objectif de valeur constitutionnelle de protection de la santé» a donc pesé de tout son poids. Pour Régis de Castelnau cependant, l’extension du pass sanitaire n’en est pas moins «lourdement liberticide par rapport aux impératifs de santé actuels».
«Le Conseil constitutionnel, grâce à l’extension infinie du bloc de constitutionnalité, s’est offert avec les années des marges de manœuvre interprétatives tout à fait considérables. Évidemment, il n’y a rien d’arbitraire, puisque le droit à la protection de la santé est un objectif de valeur constitutionnelle, néanmoins son usage est ici abusif.»
Et l’avocat de souligner l’empreinte «politique» de cette décision à travers la composition des membres du Conseil désignés par les Présidents de la République, de l’Assemblée nationale et du Sénat. Il pointe en particulier son président, Laurent Fabius, qui avec Alain Juppé –également membre de l’institution– constituent des figures «du même courant politique centriste», «très proches du pouvoir actuel».
Mise en place d’un «système de coercition»
Le processus législatif est également entaché selon Me de Castelnau par l’omniprésence «de membres du Conseil constitutionnel dans les cabinets ministériels». «C’est donc une décision de soutien à Emmanuel Macron», affirme-t-il à notre micro.
La décision des Sages était néanmoins prévisible. Dès le mois de mai dernier, le Conseil constitutionnel avait validé le pass sanitaire, à condition toutefois qu’il ne soit appliqué qu’aux grands rassemblements. En 2015, les membres de l’instance de la rue Montpensier s’étaient déjà exprimés sur l’obligation vaccinale chez les plus jeunes enfants. Ils avaient alors refusé le droit à des parents de soustraire leur progéniture à la vaccination contre la diphtérie, le tétanos et la poliomyélite, faisant primer une fois de plus la protection de la santé. Pas de quoi convaincre l’avocat pour qui, «sans parler comme cela a été fait d’apartheid», estime qu’«il y a un vrai déséquilibre qui se met en place aujourd’hui».
«Nécessairement, un système de coercition et de répression aura lieu. Ce pouvoir ne sait faire que ça! Suivront de fait un déploiement policier, des prérogatives administratives confiées aux préfets, donc sans intervention du juge, ou encore des obligations effrayantes mises à la charge du citoyen.»
Jeudi 5 août dans l'après-midi, plusieurs centaines de manifestants s’étaient donné rendez-vous devant la juridiction suprême dans l’attente du verdict. Depuis les annonces du 12 juillet, le mouvement anti-pass sanitaire grossit en France.
«Quel Parlement? Il y a un Parlement en France?»
Plus de 200.000 personnes selon les chiffres du ministère de l’Intérieur s’étaient réunies dans toute la France samedi 31 juillet. Pour notre interlocuteur, «ce sont moins les mesures elles-mêmes qui posent problème que ceux qui les prennent». «Comment pouvez-vous faire confiance à ces gens-là? Moi je ne leur fais pas confiance, car je les considère prêts à tout», ajoute l’auteur de l’ouvrage Une justice politique (Éd. L’Artilleur), qui retrace la politisation des juges en France depuis les années 1980.
Reste que, comme le rappellent les Sages dans leur décision, la fin d’un tel dispositif de contrôle devrait intervenir à la date du 15 novembre. Le pass sanitaire ne pourra en effet se poursuivre qu’avec un nouveau vote du Parlement. «Quel Parlement? Il y a un Parlement en France?», ironise Régis de Castelnau. Pour l’avocat, tout au long de la crise sanitaire l’institution aura une fois de plus démontré qu’elle n’est qu’une «chambre d’enregistrement de l’exécutif».