Tout un symbole: l’armée de Bachar el-Assad s’apprête à reprendre l’intégralité de la ville de Deraa, berceau de la rébellion à la frontière jordanienne. Pourtant, la ville avait été libérée par les troupes syriennes et les forces russes en 2018. Mais depuis, les groupes rebelles et djihadistes se sont reformés; ils disposent d’un arsenal important dans la région et refusent de rendre leurs armes légères. En conséquence, Damas assiège la ville de 40.000 habitants depuis plus d’un mois. L’aviation quadrille la zone et l’armée empêche les désertions.
Les forces d'Al-Ghaith arrivent en renfort à Daraa.pic.twitter.com/6ml13oD6H8
— Arab Intelligence - المخابرات العربية (@Arab_Intel) July 28, 2021
Après le blocus, les soldats syriens sont entrés en action. Et Damas n’a pas lésiné sur les moyens. La 4e division de chars a été retirée de l’axe de Palmyre et d’Al-Sukhnah pour venir en renfort. Cette puissance de feu mobilisée pour récupérer entièrement cette zone prouverait bien que les insurgés disposeraient toujours d’une forte capacité de nuisance. Selon Fahed, ancien militaire de l’armée arabe syrienne et ancien otage des djihadistes durant le siège d’Alep en 2012-2013, «la situation reste préoccupante».
«Deraa a toujours été opposée à Damas, c’est le cœur de la révolution et ils le font toujours comprendre, dix ans après. La situation est d’autant plus compliquée que la ville se situe à la frontière jordanienne, avec le trafic d’armes ou de combattants, ce qui ne permet pas au gouvernement de pacifier entièrement la zone», estime-t-il au micro de Sputnik.
Pour montrer encore plus son opposition à Damas, les habitants de Deraa ont refusé de participer au scrutin présidentiel du 26 mai dernier. Une manière pour eux de montrer qu’ils ne reconnaissent pas le résultat des élections, qui a vu Bachar el-Assad remporter un quatrième mandat avec 95,1% des voix. De surcroît, en dépit de sa libération en 2018, les habitants manifesteraient également leur hostilité par la violence et par une instabilité chronique. Entre les affrontements armés, les enlèvements, les vols, les émeutes, Damas peine à rétablir l’ordre dans cette zone. Pire, en trois ans, plus d’un millier de personnes ont été assassinées. Ainsi, même Aref Jahmani, homme de main du Hezbollah dans la région, a-t-il été retrouvé mort le mois dernier.
Plus de 1.300 soldats syriens tués par Daech* depuis 2020
«Chaque ville a été récupérée de la même manière. On encerclait la ville, on coupait l’approvisionnement avec l’extérieur et on obligeait les terroristes à négocier», nous explique le militaire.
Malheureusement, libération ne rime en aucun cas avec sécurité et stabilité. Toutes les semaines, des attentats ont lieu à l’extérieur des villes. «Les terroristes n’agissent plus à découvert, ils commettent des attentats à la voiture piégée en périphérie des villes, un moyen de montrer qu’ils peuvent toujours nuire», déplore Fahed. Une situation qui serait bien pire sans la présence des militaires:
«Certains quartiers, certaines villes ne sont pas accessibles pour les habitants, entre les voitures piégées, les enlèvements, les mines, les guets-apens. Les djihadistes arrivent à maintenir une menace. Elle n’est plus territoriale, mais elle pèse sur le quotidien des gens. Aujourd’hui, sans la présence et le quadrillage de l’armée, l’anarchie reviendrait dans la journée. Les soldats sont à bout, la plupart combattent depuis dix ans», résume-t-il.
Et c’est peu dire face aux risques qu’ils prennent. En mars 2019, les forces arabo-kurdes reprenaient Baghouz, le dernier fief de Daech* dans le pays. La défaite territoriale de l’État islamique* n’a pas pour autant signifié la fin des actes terroristes en Syrie. Selon le site libanais Daraj, depuis 2020, les djihadistes ont intensifié leurs opérations, tuant plus de 1.300 soldats de l’armée syrienne, deux membres des forces russes ainsi que 145 miliciens pro-Iran. Une menace qui n’est pas près de s’estomper, compte tenu de l’aggravation de la situation économique dans le pays.
Les sanctions, «notre mort à petit feu»
Car en dépit de la diminution des combats, l’économie du pays est exsangue. La livre syrienne a perdu de sa valeur, passant de 50 pour un dollar avant le conflit à 2.300 aujourd’hui, l’essence est rationnée et les habitants peinent à se chauffer en hiver. «Pour chaque syrien aujourd’hui, c’est de la survie, aller chercher de l’essence est un véritable périple, on met une après-midi pour avoir seulement 20 litres», nous raconte, dépitée, notre source locale.
À cela s’ajoute la crise du Liban voisin, les systèmes financiers des deux pays étant imbriqués. Selon le Président syrien, entre 20 et 42 milliards de dollars appartenant à des fortunes syriennes auraient disparu en raison de l’effondrement du secteur bancaire libanais.
«La situation économique est intenable aujourd’hui. Avec les sanctions, c’est notre mort à petit feu. Les gens peinent à se nourrir et mangent que du pain ou des oignons. Les gens n’ont plus rien à perdre donc ils se radicalisent plus facilement. Après tout, c’est ce que plusieurs puissances étrangères veulent, n’est-ce pas?», s’interroge l’ancien militaire.
Une misère synonyme d’aubaine pour les groupes djihadistes qui demeurent en Syrie. La radicalisation de pans entiers de la société civile syrienne serait consubstantielle à la situation économique. Une situation qui ferait les beaux jours d’Erdogan. Dans un jeu trouble, le Président turc profiterait de la crise pour enrôler des Syriens. Ces mercenaires au service d’Ankara participeraient à des actions dans le Nord de la Syrie pour un salaire de 2.000 dollars.
Malheureusement pour la Syrie, le pays se trouve à un carrefour d’intérêts géopolitiques antinomiques, dont le peuple en fait les frais.
* Organisation terroriste interdite en Russie