Mobilisation contre le pass sanitaire: «Si la situation se détériore, les gens ne resteront pas chez eux»

© SputnikManifestation contre le pass sanitaire et la vaccination obligatoire des soignants, 21 juillet 2021, Paris
Manifestation contre le pass sanitaire et la vaccination obligatoire des soignants, 21 juillet 2021, Paris - Sputnik Afrique, 1920, 23.07.2021
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Les récentes manifestations contre le pass sanitaire font écho à celles des premiers Gilets jaunes. La comparaison entre les deux mouvements est-elle légitime ou prématurée? Éléments de réponse avec Alain de Benoist, fin observateur des mouvements populistes.

À la suite de l’allocution présidentielle du 12 juillet dernier, plusieurs manifestations ont été organisées un peu partout en France. En cause, les mesures phares annoncées par le Président de la République, l’extension du pass sanitaire et la vaccination obligatoire des soignants en tête. Un ensemble de défilés réunissait samedi 17 juillet plus de 110.000 personnes, selon les chiffres de l’exécutif, dans toutes les rues de France. Un mouvement spontané, émergeant d’Internet et des réseaux sociaux, sans vraie couleur politique. De quoi rappeler le début des Gilets Jaunes. 

Auteur notamment de Droite-gauche, c'est fini! Le moment populiste (éd. Pierre-Guillaume de Roux) et co-auteur de Survivre à la désinformation (Éd. La Nouvelle Librairie), l’intellectuel Alain de Benoist met en évidence pour Sputnik les lignes de force, à peine perceptibles, qui semblent déjà animer cette contestation naissante. 

Sputnik: Il peut sembler hâtif d’analyser le mouvement anti-pass sanitaire après quelques journées de mobilisation. Néanmoins, selon vous, à quel type de contestation, et de contestataires, pouvons-nous avoir affaire? 

Alain de Benoist: «Il est très difficile de se prononcer. Le mouvement débute et aucune analyse sociologique précise n’est encore disponible. Sur le commencement, en revanche, il est très ressemblant à celui des Gilets jaunes. Cette contestation s’est formée de manière spontanée, sans doute à l’aide des réseaux sociaux, sans référence politique partisane précise. Le mouvement ne se définit pas non plus selon le clivage droite-gauche. Il associe apparemment des gens de provenances et d’opinions différentes, mais qui sont tous réunis en raison de leur hostilité commune au pass sanitaire. C’est un mouvement qui, de plus, s’est créé en dehors des partis et des syndicats. Autant d’éléments sont comparables avec le mouvement originel des Gilets jaunes. Et ce n’est pas un hasard si plusieurs manifestants portaient ce gilet lors des derniers défilés. Le nombre, également, est assez considérable puisqu’il y avait entre 100.000 et 200.000 manifestants.» 

Sputnik: La manifestation est reconduite pour ce samedi 24 juillet. Peut-on imaginer, selon vous, que le mouvement perdure dans les prochains mois?

Alain de Benoist: «Oui, sans doute. On peut très certainement envisager que le mouvement se poursuive puisque la crise sanitaire est elle-même appelée à durer. D’ailleurs, je constate que le gouvernement a déjà fait marche arrière sur un certain nombre de points. Il a réduit certaines amendes et est déjà revenu sur certaines dispositions. Le pouvoir essaye en outre de discréditer les manifestations contre le pass sanitaire en les présentant comme uniquement dirigées contre la vaccination. Ce qui n’est pas le cas puisque, s’il y a très certainement des “antivax” parmi les manifestants, on y trouve également beaucoup de gens vaccinés, mais qui rejettent le pass sanitaire. Le gouvernement a misé successivement sur les masques et les hospitalisations, aujourd’hui il fait tout pour inciter à la vaccination sans dissimuler que les vaccins réduisent sans doute le risque mais ne le suppriment pas. Sans parler, évidemment, de la menace constante d’un nouveau variant. Personne ne sait très bien ce qui va se passer à la rentrée de septembre, où des nouveaux tours de vis risquent d’être donnés, avec une population de plus en plus excédée. Il faut donc être attentif à ce mouvement sans forcément attendre de miracles.»

Sputnik: D’ailleurs, dans une note citée par Le Parisien, les services de renseignements s’inquiétaient d’une consolidation du mouvement à venir en le comparant aux Gilets jaunes.

Alain de Benoist: «J’ai déjà écrit que les Gilets Jaunes étaient une espèce de répétition générale avant des révoltes sociales de plus grande envergure. Si la situation se détériore sur le plan économique, si les restrictions de liberté se multiplient, si le régime des montagnes russes alternant confinement, déconfinement et reconfinement se poursuit, il y a fort à parier que les gens ne vont pas rester chez eux. Dans ce pays, la marmite n’arrête pas de bouillir et toutes les occasions sont bonnes pour manifester un ras-le-bol. Elles risquent très certainement de se multiplier voire de se cristalliser dans les mois sinon les années qui viennent.»

Sputnik: Vous avez écrit un ouvrage sur le populisme. Peut-on qualifier ce mouvement de la sorte?

Alain de Benoist: «Il y a en effet une dimension populiste dans le sens où les classes populaires, dans l’un et l’autre cas, sont surreprésentées. C’était évident parmi les Gilets jaunes et ça semble l’être également avec les manifestations contre le pass sanitaire. On retrouve les gens qui vont être les plus gênés dans leur vie quotidienne par ces restrictions de liberté. Ce qui touche à la fois les classes populaires et la fraction des classes moyennes qui est en voie de déclassement, les deux volumes de population qui tendent à se rejoindre aujourd’hui.» 

© AFP 2024 BERTRAND GUAYL’ancien présentateur Richard Boutry, passé par France Soir, est une figure de proue des «covido-sceptiques». Également présent à la grande manifestation de samedi, il a déjà commencé à faire le tri. Au cours du lancement du média LaUneTv dimanche soir, il a annoncé que la chaîne «ne servira la soupe à personne et encore moins à nos politiques, qui nous ont tous trahis». Une critique en règle à l’encontre de Florian Philippot, qui était à l’origine de la manifestation parisienne, et de Nicolas Dupont-Aignan, lui aussi apparu en tête de cortège samedi dernier. 
Mobilisation contre le pass sanitaire: «Si la situation se détériore, les gens ne resteront pas chez eux» - Sputnik Afrique, 1920, 23.07.2021
L’ancien présentateur Richard Boutry, passé par France Soir, est une figure de proue des «covido-sceptiques». Également présent à la grande manifestation de samedi, il a déjà commencé à faire le tri. Au cours du lancement du média LaUneTv dimanche soir, il a annoncé que la chaîne «ne servira la soupe à personne et encore moins à nos politiques, qui nous ont tous trahis». Une critique en règle à l’encontre de Florian Philippot, qui était à l’origine de la manifestation parisienne, et de Nicolas Dupont-Aignan, lui aussi apparu en tête de cortège samedi dernier. 

Sputnik: Le refus récent de certains organisateurs de toute «récupération politique» peut-il être mis en parallèle avec le mot d’ordre du mouvement des Gilets jaunes? 

Alain de Benoist: «Je ne suis pas sûr qu’il s’agisse d’un refus de la politisation. Plutôt de la façon dont le politique fonctionne actuellement. C’est une crise de confiance vis-à-vis des hommes politiques, des partis et de la classe politique en général. Parce que les gens ont compris qu’il n’y a rien à en attendre et que, lorsqu’ils votent, leurs opinions ne sont pas considérées. De même que l’alternance au pouvoir est sur le fond toujours la même. Donc, spontanément, ils ont l’impression que le seul moyen de faire de la politique est de remuer au niveau de la base. Et c’est là aussi une des caractéristiques du populisme.»

Sputnik: Cette volonté de ne pas se structurer en un mouvement politique capable de faire émerger ses propres élites n’a-t-elle pas été, au moins en partie, la cause de l’impasse du mouvement des Gilets jaunes?

Alain de Benoist: «Oui et non. Il faut rappeler que le mouvement des Gilets jaunes a d’abord très bien démarré avec un soutien considérable au sein de la population. Avant de se dégrader à la fois en raison de violences inutiles et plus encore de la récupération par des éléments de l’ultra-gauche, black blocks en tête, qui ont totalement discrédité le mouvement. L’actuelle mobilisation n’en est pas encore là. Mais il est vrai que ce qui fait la force de ce type de mouvement en fait aussi la faiblesse. Il est très difficile de les réprimer pour le pouvoir, car il n’y a pas d’organisations visibles, ni de chef d’orchestre identifié et pas non plus de doctrines claires à discréditer. C’est donc une force, tout en étant une faiblesse parce que c’est inorganisé, mal préparé à s’inscrire dans la durée et donc à peser vraiment politiquement. Ce type de mouvement est donc appelé à se multiplier dans l’avenir, par créations et disparitions successives. Jusqu’à ce que la contestation se généralise à un point qu’il est impossible d’envisager aujourd’hui.»

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