«Une fois arrivé à l’aéroport, il y a tout un tas de documents à remplir. À l’enregistrement des bagages, quand on te donne le billet d’avion, les employés de la compagnie aérienne gardent ton passeport et un responsable d’escale appelle le ministère de l’Intérieur pour savoir si oui ou non, tu as le droit de quitter le pays. Ce n’est qu’une fois la confirmation obtenue qu’ils te laissent partir et ils font ça avec chaque passager.»
Camille, jeune Franco-Australien, témoigne à Sputnik de la dureté de la stratégie «zéro-Covid» adoptée par le gouvernement australien lors de son retour vers la France. Longtemps encensée pour ses bons résultats dans la pandémie, la gestion sanitaire de Canberra paraît pourtant absurde sur certains aspects tant la propagation du Covid-19 semble inéluctable.
L’Australie, vraiment un modèle à suivre?
Avec seulement 915 décès et 32.269 cas de contaminations, l’Australie fait donc figure de bon élève avec sa voisine néo-zélandaise qui ne déplore que 2.835 cas de contamination et 26 décès. Des résultats probants qui sont essentiellement la conséquence de la fermeture très stricte des frontières de l’immense île-continent.
«Les Australiens n’ont pas le droit de quitter le territoire vu que les frontières sont fermées», atteste notre interlocuteur. Considéré avant tout par Canberra comme Australien, le binational a donc demandé une «autorisation exceptionnelle» prévue dans une liste de cas impérieux très précis afin de quitter le territoire en février 2021. «Je leur ai dit que je voulais rentrer, m’établir définitivement en France», ajoute-t-il, soulagé que sa requête ait été acceptée après deux mois de démarches administratives et un test PCR obligatoire à 100 dollars locaux.
«Quand tu remplis ta demande, le gouvernement australien t’indique qu’il n’est pas responsable de toi s’il t’arrive quoi que ce soit à l’étranger. Ils ne viendront pas te chercher et tu n’as pas le droit de revenir en Australie avant trois mois.»
Les 35.000 Australiens bloqués à l’étranger depuis un an et demi en savent quelque chose. En avril, le Premier ministre australien Scott Morrison avait interdit à ses 9.000 ressortissants arrivant d’Inde, alors en pleine flambée épidémique, de rentrer au pays sous peine de se voir infliger de lourdes sanctions –une amende de 66.600 dollars australiens (environ 42.000 euros) et jusqu’à cinq ans de prison. Face au tollé international, le dirigeant conservateur était finalement revenu sur ses déclarations.
La politique jusqu’au-boutiste a toutefois des conséquences, notamment dans le domaine du sport. Le 22 juillet, l’Australie et la Nouvelle-Zélande ont annoncé qu’elles ne participeraient pas à la Coupe du monde 2021 de rugby à XIII prévue en Angleterre en raison des craintes «pour la santé des joueurs et leur sécurité» liées à la pandémie. C’est pourtant l’objectif de cette stratégie «zéro-Covid» qui laisse même à désirer, estime Philippe Lemoine, doctorant en logique et philosophie des sciences à l’université Cornell, aux États-Unis, interrogé pour Le Désordre mondial.
«La stratégie qu’ils ont mise en place a un peu ancré l’idée que la circulation même du virus était une défaite. Le problème, c’est que le virus va devenir endémique dans le reste du monde. À un moment où un autre, il va revenir en Australie et en Nouvelle-Zélande et il va circuler là-bas.»
«Des hôtels imposés par le gouvernement et gardés par la police»
Pour faire face à cette nouvelle «flambée», Canberra a annoncé le 2 juillet une réduction drastique du nombre de voyageurs autorisés à entrer dans le pays. Alors que la moitié de la population australienne est soumise à des mesures de confinement, le gouvernement a divisé par deux ses arrivées, soit 6.000 personnes par semaine autorisées à rentrer sur le territoire. Celles-ci seront soumises à une quarantaine obligatoire de deux semaines, «à tes frais», selon les dires de Camille. Une somme avoisinant 3.000 dollars australiens, soit environ 1.880 euros. Cette quinzaine de jours s’écoule dans «des hôtels imposés par le gouvernement et gardés par la police». Petite précision: «Tu n’as pas le droit de sortir de ta chambre pendant deux semaines et tu peux te faire livrer de la nourriture une fois par jour.» De quoi désenchanter le voyage de rêve dans l’île aux plages paradisiaques. «Tu as l’impression d’être dans une prison à ciel ouvert», confie encore notre interlocuteur.
De quoi en pousser certains à tenter la grande évasion. La photo de l’Australien qui s’est sauvé le 19 juillet par la fenêtre de son hôtel en attachant les draps de son lit a fait le tour du monde. Testé négatif au Covid-19, celui-ci avait franchi illégalement la frontière de l’Australie occidentale, en provenance du Queensland.
À vrai dire, l’Australie est une habituée de longue date des contrôles frontaliers. Connu pour sa politique d’immigration choisie très ferme, le pays a installé des camps de rétention destinés aux clandestins dans des îles du Pacifique et refoule en mer depuis 2013 les bateaux des demandeurs d’asile. Dans un article informé du Figaro, une expatriée à Brisbane témoigne:
«Les Australiens de base sont très contents de la situation actuelle. Ils voient ce qu’il se passe dans le reste du monde et ça leur fait peur. Alors qu’ici on vit presque normalement, l’économie se porte bien… Leurs compatriotes coincés à l’étranger, ils s’en foutent complètement.»
Arrivé sur le sol australien en novembre 2019, Camille tient le même discours. Si les mesures sanitaires internes aux États sont plutôt légères, comme le port aléatoire du masque, et permettent de «vivre presque dans la normalité», le «plus pénible, c’est finalement le fait de ne pas pouvoir sortir du pays, que ce soit pour aller faire du tourisme ou juste pour rentrer chez toi», conclut le jeune homme.