La menace a le mérite d’être claire. «Si les autorités turques ne reconsidèrent pas leur décision de continuer à occuper notre pays», les talibans* «leur résisteront, comme ils ont résisté à 20 ans d’occupation» étrangère, a affirmé le groupe fondamentaliste dans un communiqué publié ce 13 juillet.
Et pour cause: le choix turc de laisser un contingent de soldats en Afghanistan pour sécuriser l’aéroport de Kaboul pourrait s’avérer extrêmement gênant pour les talibans*:
«La stratégie talibane* est de couper les axes d’approvisionnement de Kaboul. Ils n’ont pas encore la capacité de contrôler l’entièreté du pays, ils procèdent donc à attaquer les lignes d’approvisionnement du gouvernement», explique Sorkhabi Kanechka, chercheur à l’IPSE (Institut Prospective & Sécurité en Europe), au micro de Sputnik.
L’armée turque, un «rempart» face aux objectifs militaires talibans*
Les talibans* disent désormais contrôler 85% du territoire afghan. Un chiffre contesté par les autorités de Kaboul, et qui peut prêter à confusion, car les «étudiants en religion» ne contrôlent aucun des grands foyers urbains où se concentre la plus grande partie de la population. Pour l’heure en tout cas.
«En tenant l’aéroport, l’une des principales sources de réapprovisionnement du gouvernement, les forces turques sont un rempart direct entre les talibans* et l’un de leurs objectifs militaires à terme», estime ainsi notre interlocuteur.
Et pourtant, la Turquie est loin d’être la nation de l’Otan contre laquelle les talibans* ont le plus d’animosité.
«Durant de longues années en Afghanistan, les bases qui étaient le moins bien gardées et les plus ouvertes étaient les bases turques», affirme Sorkhabi Kanechka.
Un «privilège» turc vis-à-vis des talibans* qui s’expliquait d’abord par la proximité entre la Turquie et le Pakistan, «parrain d’une grande partie des forces talibanes* présentes en Afghanistan», rappelle Sorkhabi Kanechka. Ceux-ci s’approvisionnent et se soignent régulièrement chez le voisin pakistanais, qui est à l’origine de la création du mouvement fondamentaliste au milieu des années 1990.
Proximité religieuse
De surcroît, de nombreux liens existent entre «des populations du nord de l’Afghanistan aux origines ancestrales turques ou turcophones» et l’armée turque. Une proximité ethnique et linguistique de certains groupes soutenant les talibans* qui fait que ces derniers n’ont pas nécessairement envie d’en arriver aux armes avec des soldats qui sont également musulmans, explique le chercheur associé à l’IPSE. La configuration actuelle de l’Afghanistan post-retrait américain change donc la donne: l’ami turc de leur ennemi américain se dresse entre les talibans* et leur retour au pouvoir.
L’engagement de la Turquie n’est cependant pas gratuit. Ankara espère gagner en influence dans une région où elle n’a que très peu d’emprise et séduire géopolitiquement Washington, avec qui les liens n’ont pas été au beau fixe depuis le début de la présidence Biden. Recep Tayyip Erdogan tient à marquer ces points auprès de la nouvelle Administration Démocrate. En assurant ce service minimum, le chef d’État retire par conséquent une épine du pied des États-Unis, partis en hâte.
Une situation qui laisse craindre une confrontation militaire entre les deux acteurs. Sorkhabi Kanechka estime toutefois que la Turquie négociera «avec l’intermédiaire qu’est le Pakistan.»
*Organisation terroriste interdite en Russie