Avec un total de 10 millions de vues en deux jours, le pari d’Emmanuel Macron est gagné… en apparence.
La vidéo du concours d’anecdotes, disputé à l’Élysée entre les deux YouTubeurs McFly et Carlito et le chef de l’État, a été mise en ligne le 23 mai. Trente minutes au cours desquelles le Président de la République a conforté son image de chef «cool» et «accessible». Avec comme engagement final pris par le chef de l’État de disposer une photo des deux Youtubeurs sur le bureau présidentiel lors de l’allocution solennelle du 14 juillet.
Sur les réseaux sociaux, l’enthousiasme des admirateurs du dirigeant qui «casse les codes» s’est heurté aux commentaires de «conservateurs», outrés par ce Président qui «déshonore la fonction». L’opération à destination de la jeunesse reste pourtant électoralement incertaine: si les plus jeunes semblent atteints, rien ne garantit que le pouvoir présidentiel ne pâtisse davantage d’une telle atteinte à sa sacralité. Après tout, avant Emmanuel Macron, un Nicolas Sarkozy trop «bling bling» et un François Hollande, trop «normal» ont échoué à se faire réélire.
Macron lâche-t-il la proie de son électorat pour l’ombre de la jeunesse?
L’évènement de ce week-end s’inscrit dans stratégie plus large de séduction de la jeunesse impulsée par Macron: son intervention le 4 décembre dernier sur le média Web Brut, très en vogue chez les 18-24 ans, l’envoi de son Premier ministre sur l’émission Twitch de Samuel Étienne au mois de mars ou encore sa récente promotion du Pass Culture sur TikTok vendredi 21 mai…
Aux fans de rap, de métal, d'électro.
— Emmanuel Macron (@EmmanuelMacron) May 21, 2021
Aux amateurs de cinéma, de théâtre.
Aux lecteurs de romans, de BD.
Aux accros de GoT, de Validé.
Au Bataillon d'exploration…#PassCulture ! pic.twitter.com/hxYpcguoRB
Et pour cause, les 25-34 ans votent en majorité pour le Rassemblement national, tandis que les moins de 25 ans s’abstiennent ou votent pour Emmanuel Macron et Jean-Luc Mélenchon. Ce dernier, également rompu aux opérations de com’, l’a d’ailleurs bien compris en acceptant de se rendre chez Cyril Hanouna. C’est d’ailleurs bien pour «toucher des Français qui ne lisent pas la presse et ne regardent pas les “grandes” émissions politiques» que le chef des Insoumis s’est rendu à Balance ton poste! Au mois de février, selon Libération. Lieu de prédilection, et donc de prédation politique, des 15-24 ans.
Le spectacle offert ce week-end sur la chaîne de McFly et Carlito marque néanmoins une nouvelle étape. Les familiarités des deux influenceurs, l’ambiance juvénile du concours d’anecdotes, certains gestes ou paroles déplacées du Président, la roulade du Youtubeur Carlito et le concert de heavy métal dans les jardins de l’Élysée… la stratégie du gouvernement pourrait s’avérer à terme contreproductive.
Ou en tout cas, ne pas suffire, en particulier au moment où la jeunesse, en plus d’avoir été pointée du doigt en raison de sa désinvolture supposée dans le respect des mesures sanitaires, encaisse les conséquences économiques de la crise. Les jeunes adultes pourraient bien s’avérer plus adultes que prévu, et peu goûter la légèreté affichée par la dernière opération séduction du chef de l’État.
Déficit de sacralité, déconnexion des réalités?
Une partie d’entre elle avait déjà mal encaissé les derniers appels du pied présidentiels, certes un peu grossiers. Lors de l’émission Sans Filtre lancée au mois février sur Twitch, Gabriel Attal, porte-parole du gouvernement, avait réuni plusieurs influenceurs. Un rendez-vous pour le moins manqué avec la jeunesse qui s’était montrée agacée sur les réseaux sociaux du peu de représentativité sociale du milieu étudiant à travers ces figures «déconnectées de la réalité».
"Sans Filtre", l'émission de Gabriel Attal avec des influenceurs agace les étudiants#etudiantspasinfluenceurs https://t.co/hIvqQdg7bY pic.twitter.com/7oCi8QsCCF
— France Inter (@franceinter) February 27, 2021
Et pour le reste de l’électorat, le calcul politicien d’Emmanuel Macron semble encore plus incertain, à un an des Présidentielles. Interviewée par BFMTV, Marine Le Pen s’interrogeait sur ce dernier coup de com’: «quel est le bénéfice pour le pays?». Cette «insouciance» et cette «frivolité» d’Emmanuel Macron apparaît pour la présidente du Rassemblement national «totalement en contradiction avec les épreuves que les Français vivent aujourd’hui.»
Le député LR Fabien di Filippo y a vu, lui, la «volonté du marketing segmenté de l’Élysée», relate France Info. Façonné par le marketing et le management anglo-saxon, le chef de l’État-entreprise n’hésiterait pas à bouleverser la pratique du pouvoir, par ses calculs électoraux.
Macron, directeur des «Gallo-Ricains»?
Pas de doute d’ailleurs: l’inspiration entrepreneuriale dans la pratique politique s’avère l’un des marqueurs du macronisme. La France se devait de devenir une «start-up Nation»: sa com’ a donc été revue, mais aussi son management. Ce n’est pas un hasard si l’entourage du Président est constitué de communicants et d’anciens cadres du monde de l’entreprise. Leurs allers-retours entre ces deux univers rythment l’actualité, à l’exemple des départs récents pour le privé de deux anciens membres du gouvernement, Benjamin Grivaux et Brune Poirson. Les préfets sont aussi appelés à devenir «des entrepreneurs de l’État»: «la performance ne saurait davantage être un tabou du service public», a ainsi justifié le gérant-chef de l’État.
Magali Berdah au chevet du gouvernement ? Après avoir déjeuné cette semaine avec @GabrielAttal (vu sur snapchat), on apprend dans @VanityFairFR que l’agent numéro 1 des influenceurs a été « appelée à la rescousse pour informer massivement les jeunes sur les gestes barrières ». pic.twitter.com/Y8MukRacT8
— Boris Kharlamoff (@BorisKharlamoff) March 6, 2021
En mars dernier, Vanity Fair avait révélé une rencontre entre Magali Berdah, l’agent des influenceuses d’Instagram, et Gabriel Attal. «Il faut parler à tous les Français et aller les chercher là où ils s’informent», confiait un proche de ce même Gabriel Attal pour justifier les nouveaux modes de com’ de l’Élysée: «Nous nous inspirons beaucoup de ce qui se fait aux États-Unis, par exemple par Alexandria Ocasio-Cortez. Là-bas, les trois quarts des campagnes se font sur les réseaux sociaux.» La même recette électoraliste made in USA marchera-t-elle en France?