«Il est trop tôt pour le dire, mais en général lorsqu’un virus se propage nettement mieux, il est rarement beaucoup moins dangereux, entre autres parce qu’il engendre davantage de malades», estime Étienne Decroly.
Pour le directeur de recherche et spécialiste des virus émergents au CNRS, les prochaines semaines devraient être décisives pour mesurer les risques de diffusion du nouveau variant indien. L’évolution épidémique dans le pays devrait fournir plus de données aux scientifiques. En particulier sur les risques d’une plus forte contagiosité et d’une possible résistance aux vaccins résultants de ces mutations du SARS-CoV-2.
Un nouveau variant en Inde fait exploser le nombre de contaminations https://t.co/asCIfo8VAq pic.twitter.com/AmtHvNVRfG
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Lundi 19 avril, le confinement était décrété à New Delhi et ses 20 millions d’habitants. Une nouvelle vague frappe tout le pays depuis le début du mois de mars, avec une hausse record du nombre de contaminations de Covid-19 ces derniers jours. De 12.000 nouveaux cas quotidiens il y a un mois, l’Inde enregistre désormais 200.000 nouvelles contaminations par jour. Les images d’hôpitaux saturés et de patients allongés à même le sol en raison de la pénurie de lits et d’oxygène ont fait le tour des médias, rendant compte d’une situation sanitaire catastrophique.
Le variant indien «pourrait déjouer les anticorps»
Une flambée épidémique qui s’expliquerait par des comportements relâchés dans la population indienne depuis le mois de janvier, notamment lors de récentes cérémonies religieuses réunissant quatre millions de personnes dans le nord du pays. L’autre raison suspectée est évidemment la diffusion du variant dénommé B.1.617, détecté dès le mois d’octobre 2020 aux alentours de Nagpur, troisième plus grande ville indienne de l'Etat du Maharashtra. Il est aussi appelé double ou triple mutant en raison de ses mutations observées chez d’autres variants circulant sur la planète, comme le sud-africain ou le brésilien.
«Il y a une quinzaine de mutations sur le génome complet de ce variant indien, précise Étienne Decroly, mais les scientifiques regardent principalement les mutations dans la protéine Spike. Car c’est celle qui agit sur les propriétés du virus, comme sa transmissibilité ou sa résistance aux anticorps.»
Ce variant pourrait en effet provoquer un «échappement immunitaire», comme le reconnaissait Santé publique France au début du mois d’avril. À savoir qu’il «pourrait déjouer les anticorps» présents chez des personnes déjà infectées dans le passé par le SARS-CoV-2 ou déjà vaccinées contre celui-ci. Et pour cause, les mutations observées sur ce variant sont impliquées «dans deux fonctions biologiques cruciales», précise Étienne Decroly.
«Celle de la reconnaissance du récepteur ACE2, qui permet au virus de rentrer dans la cellule, d’où une contagiosité potentiellement plus efficace. Et la présence de ce qu’on appelle un “épitope neutralisant”, qui permet de bloquer la propagation du virus par des anticorps présents chez les personnes déjà infectées ou vaccinées», ajoute le virologue.
Si cela «reste une possibilité à démontrer expérimentalement», prend soin de préciser Étienne Decroly, cette probabilité d’une résistance aux vaccins a de quoi inquiéter les autorités sanitaires en Europe. Particulièrement en France où la vaccination généralisée est présentée comme la seule solution de sortie de crise par le gouvernement. Selon Santé publique France, le variant indien a déjà été détecté sporadiquement en Angleterre, en Allemagne, au Canada et à Singapour. Le Royaume-Uni a quant à lui interdit cette semaine l’entrée des voyageurs non-résidents depuis l’Inde.
Qu’est-ce que le variant indien "double mutant" B.1.617. ?
— Le Doc (@Le___Doc) April 11, 2021
Un variant du #SARS_CoV_2 originaire d’Inde, décelé dès le 7/12/2020, qui pourrait être responsable d’une récente flambée des cas de 55% dans l’état du Maharashtra, après des mois de baisse. #COVID19 #DoubleMutant #B1617 pic.twitter.com/vvgv3KwCXm
La stratégie vaccinale menacée
Le variant indien n’est pas encore parti pour envahir toute la planète. Il ne représente dans son pays d’origine que 11% des contaminations, même s’il semble devenu majoritaire à New Delhi. Il a ainsi poussé la capitale à se confiner, au moment où le pays voit son système hospitalier saturé, notamment en raison du manque de lits, de médicaments et d’oxygène. Virologues et épidémiologistes scrutent donc avec attention son évolution, car les données manquent encore cruellement pour juger précisément de l’état de la menace.
«Nous aurons plusieurs informations importantes dans les semaines à venir. Est-ce que ce variant va devenir majoritaire dans la population indienne? Si c’est le cas, s’il monte à 20%, 30% ou 40% des contaminations, cela prouvera qu’il y est plus transmissible et contagieux», prédit Étienne Decroly.
Quant à sa dangerosité, les données manquent, confirme là aussi notre interlocuteur. Pourrait-il débarquer en France? Karine Lacombe, chef du service des maladies infectieuses à l’hôpital Saint-Antoine à Paris, déclarait ce mercredi 21 avril sur le plateau de France info qu’il est «évident que ce variant va arriver, c’est une question de jours et il est probablement déjà en France».
Selon Clément Beaune, Secrétaire d’État chargé aux Affaires européennes, interrogé par France Info, le gouvernement plancherait sur l’interdiction des vols en provenance d’Inde, à l’exemple de ce qu’a décidé la Grande-Bretagne. «Les mêmes causes produisent les mêmes effets», fait remarquer avec une pointe d’ironie Étienne Decroly.
«Pour l’instant, le variant dominant sur notre territoire est le variant anglais et il persiste toujours. Tout est une question d’équilibres, entre la pression des anticorps, la capacité de reconnaître correctement le récepteur, le pouvoir infectieux […] Il n’y a pas beaucoup, à l’heure actuelle, de ce variant en France, mais s’il présente un avantage sélectif important, il pourrait se propager», conclut le virologue.