Cuba y parviendra-t-il? Étouffée par l’embargo économique américain depuis des décennies, l’ile des Caraïbes a lancé ce 1er février en phase II le vaccin Abdala tandis que son candidat le plus avancé, le Soberana 2, devrait passer en phase III le 1er mars. Premier pays d’Amérique latine à avoir un candidat-vaccin en phase clinique, l’île en élabore même quatre actuellement: les Soberana 1 et 2 de l’Institut Finlay, ainsi que les Abdala et Mambisa du Centre d'ingénierie génétique et de biotechnologie (CIGB). L’un des pays les moins touchés par la pandémie dans la région avec 216 décès a misé dès les années 1980 sur les biotechnologies et consacre un quart de son budget à la santé. Espérant lancer sa campagne de vaccination au premier semestre, Cuba a pour objectif de produire 100 millions de doses de Soberana 2 dès cette année afin d’approvisionner d'autres pays comme l'Iran et le Venezuela. Les autorités estiment qu’elles auront vacciné gratuitement «toute la population cubaine», c’est-à-dire 11,4 millions de personnes, au cours de cette année 2021.
Quand la géopolitique et la stratégie sanitaire vont de concert
L’Institut Finlay a signé un accord le 8 janvier avec l'Institut Pasteur d'Iran pour tester en Iran l'efficacité de son Soberana 2 pendant la phase III sur 150.000 personnes. En effet, la population de Cuba ne «permet pas d’avoir un éventail aussi large», explique Maurice Lemoine, journaliste, spécialiste de l’Amérique latine et ancien rédacteur en chef du Monde diplomatique. Cet accord de coopération a d’ailleurs constitué l’un des «arguments déterminants» qui ont poussé l’Administration Trump à réinscrire le 11 janvier 2021 Cuba sur la liste noire des «États soutenant le terrorisme» (Obama l’en avait retirée en 2015), selon l’analyse de Michel Raimbaud, ancien ambassadeur de France.
«On sait que, en gros, 75% des vaccins sont entre les mains des dix pays les plus développés du monde. Le vaccin cubain s’inscrit dans la liste des vaccins qui viennent des autres pays, comme la Russie avec Spoutnik V.»
Face à ce qu’il qualifie de «bataille de chiffonniers» à propos des vaccins, l’Iran, le Venezuela, «mais aussi la Russie et la Chine» partagent le même combat en faveur des pays du Sud selon Maurice Lemoine:
«On est dans des logiques qui consistent à se défendre contre cette espèce d’impérialisme des grandes puissances que sont les États-Unis et l’Union européenne. […] On voit bien que, en ce moment, l’Union européenne fait tout pour garder les vaccins pour elle. Un certain nombre de petits pays ou de pays intermédiaires sont démunis face au virus. Les stratégies de pays comme Cuba, la Russie ou encore la Chine sont extrêmement importantes pour ceux qui n’ont pas les moyens de lutter à armes égales avec l’Union européenne et les États-Unis.»
«Leur objectif n’est pas de se faire du fric», poursuit-il, en rappelant l’idéologie de Fidel Castro, «qui revendiquait l’internationalisme».
L’exportation de services médicaux, première ressource de Cuba
L’exportation de services médicaux –médicaments, vaccins et médecins– est une stratégie menée de longue date par La Havane. Principale source de revenus du pays, elle a rapporté des recettes estimées à 6,3 milliards de dollars en 2018. Afin de lutter contre le coronavirus, les brigades médicales cubaines se sont rendues dans quarante pays, notamment en Italie et… en France: à la Martinique. «Cuba a une expertise de longue date dans les biotechnologies», rappelle le spécialiste de l’Amérique latine. Il évoque le développement de nombreux vaccins par l’Institut Finlay depuis sa création en 1991. «Notamment contre le tétanos.» Cuba a également découvert «le premier vaccin contre le méningocoque B».
«Cuba a exporté beaucoup de vaccins en Amérique latine, au Brésil, au Venezuela, en Argentine, au Pérou… Depuis très longtemps, Cuba immunise sa propre population avec ses propres vaccins.»