Un mort et plusieurs blessés dans des frappes attribuées à Israël sur la banlieue de Damas, dans la nuit du 29 au 30 décembre. C’est le bilan de la dernière attaque en date du harcèlement des forces iraniennes en Syrie par Tsahal. Des attaques qui ont été mensuelles — pour ne pas dire hebdomadaires — en 2020.
Certes, les combats de haute intensité ont disparu depuis l’accord de cessez-le-feu signé au printemps dernier, et les fronts se sont stabilisés. Mais la fin de la guerre ne semble toujours pas poindre à l’horizon. Le pays reste traversé de fronts visibles ou invisibles, et les crises qui ont marqué 2020 empêcheront probablement sa reconstruction dès 2021.
Offensive à Idlib
L’année a commencé sur des chapeaux de roues en Syrie, par la poursuite d’une offensive de Damas, avec le soutien aérien russe, sur la région d’Idlib toujours contrôlée par des rebelles djihadistes soutenus par la Turquie. Cette opération a connu un certain succès, les forces gouvernementales syriennes ont avancé jusqu’à contrôler la très stratégique route M5 (voir la carte ci-dessous).
Ces avancées ont cependant connu une halte avec l’intervention d’Ankara dans le cadre de l’opération «Bouclier du printemps» lancée le 1er mars, que la Turquie justifiait alors par la nécessité de stopper le flux de réfugiés qui s’amassait à sa frontière. Le monde a retenu son souffle à la suite de cette intervention, car l’on pouvait craindre une confrontation militaire directe entre l’armée russe et l’armée turque, mais l’intervention turque a finalement accouché d’un cessez-le-feu, issue de difficiles négociations, le 5 mars.
«Les yeux du monde entier ont scruté cette réunion», a déclaré Recep Tayyip Erdogan lors du point presse qui précédait sa rencontre avec Vladimir Poutine à propos de l’escalade en Syrie. Point clé de ce cessez-le-feu: des patrouilles communes des armées russes et turques le long de la ligne de cessez-le-feu. Depuis, des escarmouches ont toujours lieu à intervalles réguliers, sans que les combats ne s’intensifient outre mesure.
Forces kurdes: l’abandon américain?
Dans l’Est syrien contrôlé par les forces kurdes, les combats de haute intensité se sont également arrêtés en 2020. L’enjeu dans cette région hautement stratégique a surtout été le retrait ou non des forces américaines qui soutiennent les autorités kurdes. Malgré plusieurs menaces, Donald Trump n’a pas donné suite. Le Président américain a déclaré vouloir rester en Syrie pour «garder le pétrole.»
Un accord a ainsi été signé entre les dirigeants kurdes et une compagnie pétrolière américaine fin juillet. Un pas qui pourrait autant jouer en faveur qu’en défaveur de l’autonomie kurde, analysait Riadh Sidaoui, directeur du Centre arabe de recherches et d’analyses politiques et sociales (CARAPS):
«Les Kurdes jouent avec le feu en signant un tel accord. Ils ont un sanctuaire au Nord-Est de la Syrie, qui est bien mieux que tout ce qu’ils peuvent avoir dans les pays avoisinants. Faire un pas en plus vers une plus grande autonomie kurde dans cette région, aux portes de la Turquie, les expose encore plus à une menace militaire turque.»
Et face à cette menace, le soutien américain, qui s’est déjà légèrement effrité sous Donald Trump, n’est pas éternellement garanti.
🇸🇾 🇺🇲 #Syrie | Les Kurdes ont accueilli un convoi de l'armée américaine à #Qamilshi. Même les kurdes veulent expulser les forces d'occupation américaine de leurs territoires. pic.twitter.com/9NsRJmERSF
— Arab intelligence - المخابرات العربية (@Arab_Intel) December 29, 2020
L’ombre de Daech* au-dessus de la Syrie
D’autant que la Turquie au nord et à l’ouest n’est pas la seule menace pour les forces kurdes. Retourné dans la clandestinité, Daech* reste incontournable dans la compréhension des équilibres géostratégiques. Une menace dont l’intensité varie, mais qui est bien réelle pour tous les autres acteurs présents sur le théâtre syrien.
Depuis la chute en mars 2019 de Baghouz, son dernier bastion territorial, le groupe terroriste harcèle constamment ses ennemis. En Syrie, selon le Washington Institute for Near East Policy, un think thank américain, Daech* ont mené 1.000 attaques depuis cette bataille. Et rien n’indique qu’il en sera autrement en 2021. Au contraire.
«L’EI* va nécessairement profiter du détournement de l’attention vers la crise sanitaire pour essayer de maximiser sa reprise en main d’un certain nombre de territoires. Le contexte actuel de déliquescence des États de la Syrie et de l’Irak, de crise du coronavirus, de retrait de forces étrangères, crée également des failles qui sont stratégiquement exploitées par Daech*», expliquait au micro de Sputnik Myriam Benraad, chercheuse associée à l’Institut de recherches et d’études sur le monde arabe et musulman (IREMAM).
Le gouvernement syrien contre vents et marées
Face à tous ces enjeux, le gouvernement syrien, à la tête duquel se trouve toujours Bachar el-Assad, essaye de tenir tant bien que mal. Si les pressions militaires étaient importantes les années précédentes, ce qui a surtout affaibli Damas en 2020 se trouve ailleurs: la crise sanitaire du coronavirus et ses conséquences économiques ont fait des ravages dans une économie déjà sinistrée par près d’une décennie de conflit. À cela est venu s’ajouter, un régime de sanctions drastique imposé par Washington en juin. Pierre Le Corf, humanitaire français vivant à Alep depuis plusieurs années, détaillait alors ceci en juin:
«Il y a des gens ici qui n’ont pas vu la couleur de la viande depuis plusieurs mois. Ils achètent des têtes de poulet pour les bouillir juste pour avoir des protéines animales. Je ne saurais expliquer avec des mots la souffrance et la fatigue à laquelle je suis confronté au quotidien. Les gens ont tendance à penser que la guerre, ce sont quand les bombes nous tombent dessus. Mais non. La guerre, c’est aussi maintenant, et on en vient presque à regretter les bombes.»
Et sur le plan militaire, l’armée arabe syrienne est toujours la cible d’attaques-surprises dans toutes les parties du pays, même dans celles que Damas pensait avoir sécurisées.
#BREAKING
— IDLIB POST (@IdlibEn) December 23, 2020
Snipers of #HTS killed two soldiers of the Syrian regime forces on the axis of the 46th Regiment in the western countryside of #Aleppo.
Guerre indirecte Iran-Israël
Face à cette situation, la Syrie a plus que jamais besoin de ses alliés. Que ce soit militairement ou économiquement. La Russie continue de soutenir Damas en promouvant notamment «un modèle économique qui contourne l’embargo» occidental, mais elle ne peut pas subvenir aux besoins de tout un pays.
Cela vaut également pour l’Iran qui soutient activement Damas militairement et économiquement. Au prix de plus grandes pertes d’ailleurs, car les forces et les intérêts de Téhéran sont souvent les cibles de l’armée israélienne qui tente de chasser l’Iran de Syrie:
«Tsahal essaye d’empêcher deux choses à tout prix en Syrie: l’une étant que le Hezbollah n’acquière pas de missiles de haute précision fournis par l’Iran via la Syrie, ce qui permettrait de frapper des centres urbains et des installations militaires en Israël. L’autre consiste à éviter à tout prix le transfert de technologie qui permettrait au Hezbollah de construire ses propres missiles de haute précision», indiquait au printemps Gil Mihaely, directeur de la publication de la revue Conflits, au micro de Sputnik.
En définitive, tous ces enjeux, sans exception, seront encore d’actualité en 2021. D’Idlib à Hassaké, de Damas à Deir Ezzor, de Raqqa à Homs, la Syrie restera selon toute vraisemblance au cœur des enjeux géopolitiques moyen-orientaux en 2021, et même au-delà. La question de la reconstruction du pays et celle du retour des réfugiés devra également se poser une fois que les questions militaires seront réglées, et le dossier promet aussi d’être épineux. Le faucon de Quraych n’est pas sorti d’affaire.
*Organisation terroriste interdite en Russie