C’est une proposition de loi bien étrange qu’envisage de soumettre Amira Slim, députée représentant la communauté algérienne établie au Maghreb et au Moyen-Orient. L’élue souhaite amender le Code pénal afin d’élever «l’incitation et la promotion de la normalisation avec Israël» au rang de crime contre «l’unité de la Nation».
«Non à la normalisation et à la trahison», a-t-elle indiqué.
Interdiction imposée également dans les médias et sur Internet. L’initiatrice de ce texte a prévu des peines très lourdes pour les contrevenants.
«L’appel à la normalisation avec l’entité sioniste est un délit contre l’unité de la Nation, quiconque enfreint les dispositions de l’article 3 est puni d’un emprisonnement de 3 ans à 10 ans pour les personnes physiques […], le retrait de l’accréditation pour les institutions et les associations ainsi qu’une amende de 300.000 à un million de dinars (1.850 à 6.200 euros). La peine peut être portée à 15 ans et l’amende doublée en cas de récidive», précise l’article 4 de cette future proposition de loi.
L’initiative d’Amira Slim intervient quelques jours seulement après la signature d’un accord de reprise des relations entre Israël et le Maroc, quatrième État arabe à normaliser ses liens avec Tel-Aviv en cette année 2020, après les Émirats arabes unis, le Bahreïn et le Soudan, et alors que la rue arabe bruisse de rumeurs sur de prochains pays arabes ou musulmans à rejoindre cette liste.
«Division sociale»
Élue en 2017 sur une liste du Rassemblement national démocratique (RND), formation politique que dirigeait l’ancien Premier ministre Ahmed Ouyahia, Amira Slim estime que le simple fait d’évoquer l’idée d’une normalisation entre l’Algérie et Israël constitue un risque de «division sociale» et qu’il est donc nécessaire de «protéger le citoyen et d’éclairer l’opinion publique». La députée, qui réside entre Alger et la Tunisie, a quitté sa formation d’origine en janvier 2020 en signe de protestation contre la politique interne du RND. Depuis, elle a rejoint une coalition parlementaire regroupant les députés sans étiquette.
«Pour être franc, je n’ai jamais entendu parler de cette proposition de loi. Amira Slim n’est plus membre de notre groupe parlementaire. Pour qu’un élu dépose une proposition de loi, il se doit de contacter un maximum d’élus pour obtenir un large soutien. Cette démarche est impérative si elle souhaite bénéficier d’un appui pour faire passer cet amendement», explique à Sputnik ce député.
«Acte populiste»
Mohamed Guidji, qui en est à son quatrième mandat, se montre sceptique. Pour lui, l’initiative d’Amira Slim est un «acte populiste» qui n’a aucune chance d’aboutir. Un avis que partage Hakim Boughrara, analyste politique et professeur en sciences de l’information à l’université de Médéa.
«Au lieu de lancer des initiatives pragmatiques, les députés préfèrent s’engager dans des histoires sans valeur politique et sociale. Cette assemblée ne jouit d’aucune crédibilité et risque d’être dissoute à tout moment. Le gouvernement ne permettra pas qu’un tel texte soit adopté. En 2005, des députés ont tenté sans succès de faire passer une loi criminalisant le colonialisme, donc ce n’est pas aujourd’hui que sera adopté un texte contre la promotion de la normalisation avec Israël. De plus, cette loi sera inutile puisque le peuple algérien et l’État s’opposent à toute idée de relation avec Israël», note Hakim Boughrara.
L’analyste politique rappelle également une réalité essentielle dans le système algérien: «Le pouvoir exécutif est le seul et unique législateur. Il ne reconnaît pas ce droit constitutionnel aux parlementaires.» En effet, la dernière proposition de loi qui a abouti date de 2004 et concernait un amendement du code électoral. Déposé par des élus du parti islamiste El Islah, cet amendement avait touché quatre chapitres du régime électoral: les modalités d’élaboration des listes, l’impartialité de l’administration, le renforcement de la surveillance des élections et le vote des éléments de l’armée et des autres corps de sécurité.
«Le président de la chambre basse du Parlement n’a aucun poids ni aucune valeur. Il a été installé à des fins vagues. Nous avons constaté la façon dont il a géré le processus d’adoption du projet de Constitution. Cela s’est fait de manière hâtive, ce qui a suscité des soupçons. Le projet de Constitution a-t-il été adopté en faveur d’un groupe anticonstitutionnel qui suit un agenda caché?», s’est interrogée Amira Slim.
Ancien membre de la direction du Mouvement de la société pour la paix (MSP), parti proche des Frères musulmans créé par Mahfoud Nahnah durant les années 1990, Chenine est un fervent soutien de la cause palestinienne. Si, sous sa présidence, le Bureau de l’Assemblée venait à bloquer la proposition d’amendement du Code pénal criminalisant la normalisation avec Israël, ce serait là une occasion en or offerte à Amira Slim pour décrédibiliser Slimane Chenine.