Les banques européennes sont-elles en danger?
S’il est encore trop tôt pour connaître l’ampleur du risque, l’Autorité bancaire européenne (EBA) les a appelées à se tenir prêtes à vivre des jours difficiles. C’est en substance le message que le régulateur bancaire européenne a voulu faire passer après avoir consulté les bilans de 130 grandes banques européennes au deuxième trimestre 2020.
«L’incertitude économique demeure, la profitabilité n’a jamais été aussi faible et il y a plusieurs signes avancés d’une détérioration de la qualité des actifs», a prévenu l’EBA.
Si le repli de 10% du total des créances douteuses de «niveau 3» –qualifiées de «toxiques»– sur un an (500 milliards d’euros) fait office de bonne nouvelle, le diable se cache dans les créances de «niveau 2». Ces dernières sont toujours remboursées, mais sont cataloguées comme «risquées». Et elles ont progressé de… 23% sur un an. Le montant total des créances de «niveau 2» atteint 1.200 milliards d’euros dans les bilans des banques européennes.
On a tendance a se cacher derriere son petit doigt mais il est aussi vrai que les mesures de soutien sont encore nombreuses...🔥⚡
— Ludovic Tran (@tntludo) December 15, 2020
Les autorités européennes appellent les #banques à se préparer au pire cc @accenturefrance https://t.co/DiJCfv6g3l
Pour Dominique Garabiol, professeur associé à Paris VIII et ancien directeur de banque, il convient de ne pas de céder à la panique:
«L’EBA joue son rôle de prévention de la dégradation du système. Elle avait déjà émis une alerte au moment du premier confinement au printemps dernier.»
La crise économique inédite qui frappe la planète met fortement à contribution les banques, qui sont poussées à aider l’économie à se relever tout en assumant de gros risques. Pour le moment, les politiques de soutien des États jouent leur rôle. Mais ces dernières finiront par prendre fin. L’espoir de l’arrivée prochaine d’un vaccin efficace contre le Covid-19 est dans toutes les têtes.
1.200 milliards d’euros de créances «risquées»
«La crise a mis une forte pression sur le bilan des banques. Elles ont déjà prévu des provisions pour pertes sur crédits sans commune mesure avec la décennie précédente, afin de couvrir leurs crédits non performants en 2021», explique aux Échos Sébastien Lacroix, directeur associé chez McKinsey.
L’expert souligne que «l’économie est sous perfusion». «On est en train de repousser le tas de sable à 2021 et 2022. Les risques de pertes sur créances seront donc la principale priorité des dirigeants bancaires européens», ajoute-t-il.
«Dans le cadre de la crise, les autorités se sont mises d’accord avec les banques afin de mettre en place des moratoires sur certains prêts. Elles ont accepté des différés de remboursement. Prévus pour d’abord quelques mois, ils ont été prolongés jusqu’en 2021», analyse Dominique Garabiol, également ancien adjoint de direction à la Banque de France.
Pour l’ancien banquier, cette situation fait mécaniquement augmenter le total des prêts dangereux.
Avec ce régime exceptionnel de l'#EBA sur les moratoires, les #banques pourront de nouveau accorder des différés de remboursement à leurs clients impactés par la crise #COVID19
— Christophe Paillard (@chr_paillard) December 2, 2020
// #bearmarket #croissance #regtech
https://t.co/FYhl8zuOiz
D’après l’EBA, 7,5% du montant total des prêts accordés aux particuliers et aux entreprises étaient sous moratoire à la fin juin, ce qui représente la rondelette somme de 870 milliards d’euros. Un sacré pactole qui soulèvera de nombreuses questions quand ils arriveront à échéance.
«Il n’est pas du tout évident de savoir quels prêts sont réellement dangereux dans cette masse. La situation pourrait devenir compliquée, mais à ce stade, rien n’est certain», relativise Dominique Garabiol.
Comme le notent Les Échos, la situation actuelle s’ajoute aux reliquats de la crise de 2008. Les banques européennes ont toujours 528 milliards d’euros de prêts douteux dans leur bilan. Et c’est la France qui a ravi le bonnet d’âne à l’Italie, avec 127 milliards d’euros de prêts «toxiques».
Les banques françaises 1ères en montant des moratoires de crédit accordés aux emprunteurs mais dans la moyenne européenne en part des crédits selon l'EBA pic.twitter.com/vSklmuoCeG
— Chris Chavagneux (@ChrisChavagneux) November 25, 2020
Reste que les banques ont des armes et ont tiré certaines leçons de la crise de 2008. Plusieurs réformes ont depuis été menées, qui ont poussé les banques à augmenter leurs niveaux de fonds propres. Et selon les données de l’EBA, elles ont même fait du zèle. Elles disposent ainsi de 318 milliards d’euros en plus des réserves obligatoires qui leur sont assignées, soulignent Les Échos.
«Si 23% de l’ensemble des prêts accordés par les banques européennes venaient à ne pas être remboursés, l’ensemble du système se trouverait fort en difficulté. Mais c’est illusoire de penser que cela pourrait arriver», explique Dominique Garabiol.
L’expert fait preuve d’optimisme et rappelle qu’«en France, les prêts garantis par l’État (PGE), qui ont été largement accordés, ont permis à de nombreuses entreprises d’obtenir une réserve de trésorerie.» D’après l’ancien banquier, la situation est loin d’être celle d’une alerte maximale au niveau des banques. D’autant que la majeure partie des secteurs économiques sont repartis.
Reste que la crainte principale des autorités est de voir des banques en difficulté resserrer la vis au niveau du crédit, un scénario catastrophe qui pourrait annihiler la reprise économique.
La solution «bad bank»?
«Nous commençons à constater un léger resserrement et nous pensons que nous devrions évidemment encourager une évaluation correcte du risque et ne pas encourager les prêts injustifiés ou du moins mal évalués, mais nous pensons que les conditions de prêt devraient être favorables», a récemment expliqué Christine Lagarde, patronne de la Banque centrale européenne (BCE).
C’est là que l’idée des «bad banks» revient sur devant de la scène. La Commission européenne devrait bientôt proposer d’en mettre en place au niveau national afin que les banques se débarrassent de leurs créances douteuses en les déplaçant sur une plateforme de marché.
Une bonne idée? Oui, en cas de trop grand nombre de créances compromises, répond Dominique Garabiol.
«Mais je pense qu’il faut intégrer ce projet dans le cadre d’une réforme plus globale qui obligerait les banques à prendre en perte un crédit compromis au bout de quelques années, trois ans par exemple. Il faut faire en sorte que les banques n’aient plus aucun intérêt à les garder», explique le spécialiste de la finance.
D’après lui, l’expérience montre qu’une situation compromise dans une entreprise peut se redresser, mais que cela prend du temps. «Actuellement, les prêts sont remboursés dans le cadre de restructuration sous surveillance», poursuit-il.
«Nous voulons que les banques puissent vendre plus facilement et avec plus de succès les créances douteuses. Pas seulement les grandes banques, comme après la dernière crise, et peut-être pas avec une décote aussi élevée que lors de la dernière crise. Cela nécessite un meilleur fonctionnement de ce marché secondaire pour les prêts non performants», analyse «un officiel au sein de la Commission» cité par Les Échos.
«Le but de la Commission européenne est de ne pas faire porter les créances compromises par les banques. C’est un modèle économique qui fait l’objet d’âpres discussions dans le secteur», conclut Dominique Garabiol.