Après son absence, critiquée, au rassemblement organisé le 6 novembre dernier à Dakar par des associations islamiques et de la société civile en réaction aux caricatures et à l’islamophobie en Europe, c’est le 12 novembre à Paris que le Président du Sénégal Macky Sall a choisi de s’exprimer sur la question.
«Il faut que nous acceptions les différences, mais que nous allions ensemble vers ce que nous voulons bâtir en commun. C’est comme cela que je vois la plateforme que l’on pourra mettre en place pour combattre ensemble tous ceux qui sont contre ces valeurs communes que nous pouvons développer et qui se nourrissent de la haine et du discours hégémonique, qui veulent justifier leur forfait en utilisant la religion alors que l’islam est la première victime (de leurs actes)», a souligné le chef de l’État sénégalais.
Macky Sall prenait part au Sommet sur la paix et la sécurité organisé par l’Élysée en présence de ses homologues français Emmanuel Macron et sud-africain Cyril Ramaphosa, de Charles Michel, président du Conseil européen, et de la Directrice générale du Fonds monétaire international (FMI) Kristalina Georgieva.
Un nouveau consensus est nécessaire, bâti sur l’inclusion, le respect des différences et des croyances, comme valeurs universelles d’une coopération internationale efficace porteuse de paix, de stabilité et de développement.
— Macky Sall (@Macky_Sall) November 12, 2020
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Il a demandé «respect» et «tolérance» pour l’«islam tolérant et assumé» qui «ne peut aller vers (une) direction» ayant pour finalité les violences constatées à travers le monde.
«Venir trouver des gens dans une mosquée, mettre une bombe pour les tuer, ou venir dans une église et tuer des fidèles catholiques alors que le prophète Mohammad, pendant qu’il était à Médine, a hébergé dans sa mosquée des gens [chrétiens] qui étaient en quête d’une zone de prière, on ne peut appeler cela l’islam.»
La déclaration du Président Sall a été diversement appréciée à Dakar. Sa posture a été saluée par les médias sénégalais et considérée comme un recadrage diplomatique infligé au locataire de l’Élysée et ses fulgurances sur la question des caricatures. Le quotidien L’As, dans son édition du vendredi 13 novembre, va même jusqu’à estimer que «Sall fait la leçon à Macron».
«S’il faut que nous nous battions contre (les) extrémismes, il faut aussi que l’on respecte la différence. Pour pouvoir parler avec les autres communautés […]. Nous devons malgré tout bâtir nos identités communes et bâtir les identités communes qui peuvent nous permettre d’aller ensemble, Emmanuel. Et je pense que c’est possible sur l’essentiel», avait poursuivi Macky Sall.
«Éthique du respect de la liberté d’expression»
Mamadou Diouma Diallo, docteur en communication et enseignant-chercheur à l’université Gaston-Berger de Saint-Louis, est assez nuancé quant au discours de Macky Sall. Pour lui, le chef de l’État sénégalais rappelle la nécessité de s’unir sur l’essentiel, ce qui nous rassemble et qu’il appelle «plateforme de valeurs» pour lutter contre les extrémismes. Mais au regard de tout ce qui a été dit sur cette affaire, une posture plus directe n’aurait pas été de trop, soutient l’universitaire sénégalais.
«C’est surtout un discours qui verse beaucoup dans les poncifs pour défendre l’islam. On aurait aimé voir le Président Macky Sall faire entendre sa dissonance à l’endroit du Président Emmanuel Macron sur la liberté d’expression. On aurait aimé l’entendre sur l’éthique du respect et de la responsabilité qui doit guider toute forme de liberté d’expression, y compris la caricature, pour préserver la paix», souligne pour Sputnik Mamadou Diouma Diallo.
Après la manifestation tenue à Dakar «qui avait fortement mobilisé les musulmans sénégalais», le Président Sall attendait certainement de disposer d’une tribune internationale «pour rassurer la population sénégalaise, très majoritairement musulmane».
Il projetait surtout de «répondre à travers une forte rhétorique à ceux qui le critiquaient pour avoir fait le déplacement à Paris et marché pour la liberté d’expression lors des attentats de Charlie-Hebdo», en janvier 2015.
«Mais en fin de compte, le discours a manqué d’audace. Il n’a pas assez osé pour se permettre des entorses au langage diplomatique et n’a pas été assez courageux pour parler aujourd’hui d’une réalité qu’une partie de l’intelligentsia française refuse d’admettre: l’islamophobie», soutient l’enseignant-chercheur.
Néanmoins, «on peut percevoir à travers le discours de Paris […] une forte symbolique allant dans le sens de dire aux Français: je viens chez vous, avec beaucoup d’élégance, vous faire la leçon sur le vivre-ensemble» auquel Emmanuel Macron fait très souvent référence.