En 2018, le ministère de l’Éducation du Québec a lancé un nouveau programme d’éducation sexuelle qui compte un volet relatif à «l’identité de genre».
Nadia El-Mabrouk, intellectuelle laïque et membre du groupe féministe, estime en entrevue avec Sputnik que ce nouveau cours est «imprégné par la théorie du genre».
Sputnik: Vous dénoncez un programme idéologique et non scientifique. Quelles sont les principaux éléments problématiques, selon vous?
Nadia El-Mabrouk: «Je tiens tout d’abord à dire que je suis en faveur d’un cours d’éducation à la sexualité. En tant que maman, et en tant que féministe membre de Pour les droits des femmes du Québec (PDF Québec), je ne peux qu’être favorable à un cours dont les objectifs sont la lutte aux stéréotypes sexuels, la prévention des agressions sexuelles ou encore la sensibilisation aux phénomènes de la puberté.
Une grande partie du contenu du programme est tout à fait pertinente. Mais d’autres parties transmettent un contenu idéologique et non scientifique. C’est le cas du thème "Identité, rôles, stéréotypes sexuels et normes sociales", avec du contenu prévu pour les élèves à peu près une fois par an, de la maternelle à la cinquième année du secondaire. Ce thème est imprégné du vocabulaire de la théorie du genre, qui sème la confusion plutôt que d’éclairer les jeunes.
Par ailleurs, on sème la confusion entre les notions de "sexe" et de "genre". Par exemple, dans l’outil Sam, offert en livre et en capsule vidéo, donné plusieurs fois en référence dans le programme, les illustrations enfantines suggèrent que la "véritable" identité de l’enfant est celle qui est "dans son cœur". Qu’est-ce que le genre? Sans le dire, les images indiquent qu’il s’agit des stéréotypes féminins et masculins: une fille qui aime s’habiller en travailleur de la construction, porter un maillot de sport ou a les cheveux courts. En fait cette petite fille, Sam, n’est pas simplement une fille qui aime les jeux de construction. Elle finit, à la fin de l’animation, par être un garçon.
Sexe «assigné» à la naissance, stéréotypes, outils pédagogiques controversés
C’est un exemple parmi d’autres dans le programme suggérant qu’un enfant qui ne se conformerait pas aux stéréotypes sexuels de son sexe serait de l’autre sexe. Or, c’est exactement le contraire que devrait transmettre un programme qui vise à lutter contre les stéréotypes sexuels. Un jeune devrait être encouragé à aimer ce qu’il veut, avoir sa propre personnalité et ses propres préférences, qu’il soit fille ou garçon.
De plus, même si ailleurs dans le programme, on dit bien qu’il faut éviter de poser des questions suggestives aux enfants, c’est exactement ce que l’on fait dans les parties imprégnées de l’idéologie du genre. Certains exemples qui sont donnés sous forme de témoignages sont susceptibles d’orienter un jeune qui ne se sentirait pas bien dans sa peau, en suggérant qu’il est trans. On l’oriente vers certaines références, et on lui suggère que la réponse à son mal-être est qu’il serait "né dans le mauvais corps".»
Sputnik: Pour les droits des femmes du Québec a mis la main sur le programme complet du ministère de l’Éducation, qui n’était toujours pas disponible. A-t-on cherché à dissimuler de l’information au public? Si oui, pour quelle raison?
Nadia El-Mabrouk: «L’information qui est mise à la disposition des parents sur le site du ministère de l’Éducation est très partielle et permet seulement de connaître les grandes lignes des thèmes abordés dans le programme.
Cette maman a dû passer par la loi de l’accès à l’information pour finalement obtenir le document. Ce manque de transparence de la part du ministère est vraiment troublant.»
Sputnik: Les parents d’élèves québécois semblent-ils conscients des idées véhiculées dans ce cours?
Nadia El-Mabrouk: «Non, je ne crois pas. Ce n’est jamais cet aspect du programme qui est mis en avant quand on présente le cours d’éducation à la sexualité dans les médias. D’ailleurs, j’ai constaté en parcourant le canevas pédagogique que plusieurs documents recommandés aux enseignants sont des ressources conçues par des activistes du lobby trans. Mais par ailleurs, dans les sections “Pour les parents” du canevas pédagogique, ce ne sont pas ces documents qui sont conseillés, mais d’autres qui eux, ne contiennent aucune référence à l’identité de genre.
Un programme destiné aux enfants «inapproprié» pour leurs parents?
Les parents ne sont pas non plus toujours informés lorsque des organismes comme "Enfants Transgenres Canada" font des interventions dans les écoles.»
Sputnik: En juin dernier, J.K. Rowling a provoqué une vive polémique en laissant entendre sur Twitter que seulement les femmes pouvaient avoir leurs règles. L’auteure de la saga Harry Potter a rapidement été accusée de «transphobie». Percevez-vous au Québec et plus largement au Canada une régression de la liberté d’expression concernant ces questions?
Nadia El-Mabrouk: «Absolument! Ce qu’a vécu J.K. Rowling, des femmes qui osent questionner la théorie du genre le subissent constamment. Bien des féministes sont victimes d’insultes, de retrait au programme de conférences, de bannissement des médias sociaux pour des propos affirmant par exemple que seules les femmes accouchent, ou que l’espèce humaine est bisexuée.
Les opposants à la théorie du genre menacés et ostracisés
Comment espérer avoir un débat de société sain dans ces conditions? Les droits des personnes trans doivent être respectés et ces personnes doivent être protégées contre les discriminations. Mais cela ne peut pas se faire en niant la notion de sexe biologique et en censurant la parole publique. Il n’y a pas plus malsain qu’une culture basée sur le mensonge et la censure.»
Sputnik: En mars dernier, le gouvernement Trudeau a déposé à Ottawa un projet de loi visant à interdire les thérapies de conversion dont le but est de changer l’orientation sexuelle ou «l’identité de genre» d’une personne. Est-ce une avancée ou un recul?
Nadia El-Mabrouk: «Vous parlez du projet de loi C-8. À première vue, le projet paraît progressiste en voulant interdire des pratiques visant à changer l’orientation sexuelle. À PDF Québec, nous nous opposons, bien évidement, à ces thérapies qui sont souvent l’œuvre de groupes religieux chrétiens rigoristes. D’ailleurs, de moins en moins de groupes religieux tentent de pratiquer ce genre de "conversion", d’abord parce qu’il y a un taux d’échec élevé et ensuite parce que ses groupes acceptent de plus en plus que des fidèles puissent avoir une orientation sexuelle différente, ce qui est très bien.
Est-ce que cela signifie que l’on va vouloir interdire toute approche médicale visant à changer le corps, notamment au moyen de bloqueurs de croissance et d’hormonothérapie, et ce, sans aucun appui sur des données probantes, études cliniques ou rapports d’experts et avis d’endocrinologues? Les statistiques démontrent que de 60 à 85% des enfants dysphoriques se réconcilient avec leur sexe biologique après l’adolescence, sans intervention invasive médicale.
Est-ce que l’approche prudente préconisant une période d’attente vigilante serait criminalisée par la loi proposée? Si c’est le cas, il s’agirait d’une ingérence inédite et étonnante de la sphère législative dans le domaine médical. Si c’est le cas, cette loi représente un grand danger pour nos enfants.»