La Grèce et la Turquie n’en sont pas à leurs derniers démêlés à l’approche du centenaire de la fin de la guerre gréco-turque de 1919-1922.
Le 28 juillet dernier, la Turquie a finalement annoncé qu’elle suspendait l’exploration d’une zone maritime revendiquée par la Grèce, mettant ainsi fin –du moins temporairement– à une vive escalade des tensions entre les deux pays.
Le nouveau conflit a débuté le 21 juillet lorsqu’Ankara a annoncé qu’un navire consacré à la recherche sismique serait envoyé tout près de l’île grecque de Kastellorizo. Aussi connue sous le nom de Megísti, l’île est située à deux kilomètres des côtes turques et à environ 580 kilomètres d’Athènes.
«C’est une avancée vers une désescalade […] Soyons clairs: nos différends concernent la délimitation du plateau continental et des zones exclusives maritimes», a déclaré le ministre grec des Affaires étrangères, Nikos Dendias, après la décision d’Ankara de renoncer à son expédition.
Pour répliquer à Ankara, Athènes avait déployé des navires de guerre dans la mer Égée. Quant aux 18 navires de guerre turcs qui accompagnaient le vaisseau de recherche, ils se trouveraient désormais dans l’espace maritime chypriote, à environ 350 km Kastellorizo.
Départ des navires de guerre: le conflit en suspend
Selon Christian Fleury, expert en questions maritimes, ce nouveau conflit apparait comme un cas classique de deux États se disputant un territoire faisant l’objet d’un flou juridique. Docteur en géographie, M. Fleury est membre du groupe de recherche Espaces et Sociétés Caen, à l’Université Caen Normandie. Selon lui, il existerait au moins 200 situations dans le monde pouvant potentiellement déboucher sur ce genre de litige.
«Avant de pouvoir exploiter le pétrole offshore, il faut évidemment définir des limites sur, dans et sous la mer, ce qui rend les choses encore plus compliquées. Ce sont ces questions préalables qui prennent généralement beaucoup de temps à être réglées.
Prenez par exemple le litige dans la mer de Beaufort entre les États-Unis et le Canada, qui perdure depuis plusieurs années. Washington et Ottawa se disputent encore un certain tracé dans l’océan Arctique», explique le géographe au micro de Sputnik.
Après que la marine grecque a été mise en état d’alerte, le Président français, Emmanuel Macron, a dénoncé les actions de la Turquie, à l’exemple de l’Union européenne. En mai dernier, Bruxelles a condamné sans réserve les projets de forage turcs au large de Chypre.
«Je veux une nouvelle fois redire la pleine solidarité de la France avec Chypre, mais également avec la Grèce face aux violations de leur souveraineté par la Turquie. Il n’est pas acceptable que l’espace maritime d’un État membre de notre union soit violé ou menacé. Ceux qui y contribuent doivent être sanctionnés», a averti Macron à l’Élysée.
En novembre 2019, la Turquie et la Libye ont conclu un pacte maritime ayant pour effet d’élargir le territoire maritime turc. C’est notamment sur la base de cette entente que la Turquie entend prospecter des territoires qui ne lui étaient pas traditionnellement réservés, expliquent plusieurs médias internationaux.
L’accord autorise également l’envoi de soldats turcs destinés à soutenir le GNA (gouvernement d’union nationale, reconnu par l’Onu) contre les troupes de l’ANL (Armée nationale libyenne) du maréchal Haftar.
Pour Christian Fleury, ce dernier conflit territorial entre la Grèce et la Turquie est loin d’être un cas isolé en Méditerranée.
Un accord bilatéral qui élargit le territoire maritime de la Turquie
Le géographe estime que cette mer intercontinentale «pourrait devenir une poudrière» en raison de sa géographie et de sa réalité politique très diversifiées.
«Les enjeux sont encore plus complexes en Méditerranée. On parle d’une mer fermée ou presque avec des côtes extrêmement découpées. Il y a énormément de pays riverains [27 ndlr]. Il y a de très nombreuses îles et de différentes tailles. […]
Avec ces récents événements, j’ai l’impression que ces enjeux pourraient se multiplier. Souvent, ce sont de petits événements comme le survol d’un territoire par un avion qui peuvent tout d’un coup faire monter les tensions», souligne Christian Fleury.
Ce nouveau conflit entre Athènes et Ankara est loin d’être réglé pour autant. «Notre Président a déclaré que tant que les négociations sont en cours, nous allons attendre quelque temps afin d’adopter une attitude constructive», a déclaré Ibrahim Kalin, porte-parole de Recep Tayyip Erdogan, après le départ des navires turcs du territoire convoité. Une simple question de temps avant que les hostilités ne reprennent? Pour éviter ce scénario, Christian Fleury n’envisage qu’une seule solution:
«En théorie, pour régler ce conflit, il faudrait que la Grèce et la Turquie s’en remettent aux tribunaux internationaux pour trancher la question. Si les pays ne se mettent pas d’accord, il faut au moins qu’ils le soient pour confier le dossier à un tribunal. […] C’est ce qui s’est passé en 1992 quand le Canada et la France ont fait trancher leur litige autour de Saint-Pierre-et-Miquelon», conclut Christian Fleury.