Déstabilisation politique, crise nationale, chaos régional, n’est-ce pas l’implacable bilan à tirer des fortes tensions entre l’Iran et les États-Unis depuis deux ans, date du retrait américain de l’accord de Vienne?
Le 8 mai 2018, Donald Trump signait un décret rétablissant les sanctions américaines contre l’Iran, réduisant en poussière le Plan d’Action global commun. Plus communément appelé accord sur le nucléaire iranien, il devait apporter la paix à ce pays et la détente dans la région.
Si pour le moment, une guerre directe a été évitée, cette relation conflictuelle a des répercussions régionales. En effet, l’ensemble des pays du Moyen-Orient vit au rythme des tensions entre ces deux puissances. De plus, cette situation affaiblit l’Iran et sa population, qui traversent une crise économique et sanitaire majeure. Dans ce nouveau numéro de Désalliances, Thierry Coville, économiste, chercheur à l’IRIS (Institut de Relations Internationales et Stratégiques) et spécialiste de l’Iran, s’appuie sur le temps long pour analyser la géopolitique actuelle de l’Iran.
Thierry Coville, auteur de nombreux ouvrages sur la République islamique d’Iran, rappelle que deux ans plus tard, les États-Unis n’ont atteint aucun des effets recherchés par leur retrait de l’accord de Vienne: ni les douze annoncés par Mike Pompeo –«irréalisables», selon le chercheur– ni les trois grands buts officiels que sont la renégociation de l’accord, l’arrêt du programme balistique et la politique de déstabilisation régionale.
Les objectifs éventuels des pressions américaines
Mais qu’en est-il des objectifs officieux, comme celui de changement de régime par des révolutions populaires? Thierry Coville confirme que ce type d’idée, voire de projet, a pu être vendu à Trump par ses conseillers et que ces derniers, comme Mike Pompeo, «ont peut-être un agenda».
Toujours est-il que la frange politique dure en Iran, les conservateurs, qui pourraient dominer totalement le pouvoir à Téhéran d’ici un an, considèrent que l’action que mène Washington a pour seul objet un changement de régime et que «négocier avec les États-Unis, c’est se mettre en position de faiblesse.»
Et pour ces conservateurs, historiquement méfiant envers les Occidentaux depuis la guerre Iran-Irak, il en va de même avec les tentatives de médiation réalisées par les puissances européennes. Pour eux notamment, la France «fait le jeu des Américains».
Thierry Coville, qui a travaillé à Téhéran et qui se rend encore souvent sur le terrain, constate donc «un blocage», mais rappelle que ces durs en Iran ne souhaitent pas la guerre et pourraient accepter de nouvelles négociations «si les États-Unis reviennent dans l’accord». Un prérequis qui semble irréaliste, au moins jusqu’aux élections présidentielles américaines de novembre 2020.
L’UE suit Washington, l’Iran résiste
L’invité de Désalliances critique fortement l’action de Washington, mais il accable aussi les nations européennes, parties intégrantes de l’accord de Vienne. Il reconnaît que «l’Europe n’a pas tenu ses engagements» et parle explicitement de «défaite pour la diplomatie européenne». Il regrette de plus que les médias et les espaces politiques comme le Parlement ne discutent que trop peu de cette question et d’une manière générale de la politique extérieure de la France.
Ce 6 mai, Hassan Rohani a menacé une nouvelle fois ses partenaires et son adversaire américain quant à une possible prolongation de l’embargo sur les armes, qui devrait être levé en octobre 2020. Les États-Unis sont déjà à l’œuvre pour l’empêcher et pour Thierry Coville, si cette démarche aboutissait, elle entraînerait «une sortie pour les Iraniens de l’accord, du TNP, et ils iront vers la bombe atomique».
Pour finir, Thierry Coville met en lumière l’incroyable résilience de la population et du pouvoir iranien. En effet, l’Iran semble tenir bon face aux sanctions américaines.
Une résilience trop peu rappelée dans nos médias, qui préfèrent selon lui dénoncer la gestion chaotique de Téhéran de l’épidémie de Covid-19 et de la crise économique, toujours plus dure.