Se dirige-t-on vers une pénurie de substances illicites en France? Estimé par l’Insee en 2018 à 2,7 milliards d’euros, soit 0,1% du PIB du pays, le marché des stupéfiants s’avère très lucratif pour les délinquants. La Direction centrale de la police judiciaire (DCPJ) évalue le poids du trafic au minimum à 3,5 milliards d’euros. La crise du Covid-19 et les différentes mesures prises par les gouvernements mettent un coup d’arrêt à ce marché noir.
C’est ce que confirme un revendeur sous couvert d’anonymat à Sputnik. Il confie ressentir «des difficultés pour récupérer du matos [produit, ndlr]». Il a dû s’adapter à cette crise inédite en changeant sa manière de fonctionner.
«On ne peut pas travailler à nos heures habituelles. On adapte nos horaires, plus de travail en journée par exemple. On respecte les gestes barrières comme tout le monde: gel, masque et gants tout le temps. On limite les contacts, on ne serre pas la main ou quoi, je sers [le produit, ndlr] et je pars», explique le revendeur.
Difficulté d’approvisionnement
Et de poursuivre: «si le trafic par porte-conteneurs en provenance d’Amérique latine n’a été affecté que modérément par les mesures de fermeture des frontières, la récession brutale, consécutive au choc subi par l’économie mondiale, devrait entraîner une chute du commerce maritime international qui affectera dans les semaines à venir le trafic de cocaïne. Moins de conteneurs signifiant moins de cocaïne».
Pour les autres sources d’approvisionnement, comme le décrit Michel Gandilhon de l’OFTD toujours pour VIH.org, à savoir les Pays-Bas et la Belgique, les livraisons se tarissent, mais continuent. En effet, il est désormais très compliqué de faire transiter de la marchandise à cause de la recrudescence des contrôles douaniers. Néanmoins, avec un nombre très important de points d’entrées possibles, des livraisons passent entre les mailles du filet.
Les principaux canaux de distribution bloqués
Malgré des ventes qui ont explosé au début du confinement, car pour certains produits comme le cannabis, les usagers ont constitué des stocks «avant de partir à la campagne», il y a une chute de la demande.
«La demande est en chute pour la blanche [cocaïne, ndlr] en tout cas», déplore le revendeur.
Un état de fait somme toute compréhensible pour plusieurs raisons. D’une part, si les consommateurs réguliers ou dépendants continuent d’essayer de se procurer de la drogue, les consommateurs occasionnels, ou ceux qui en prenaient dans un cadre «festif», profitent du confinement pour se focaliser sur d’autres choses.
Les habitudes changent lors du confinement
D’autres part, compte-tenu de la rareté des produits, les prix explosent. Reprenant les données recueillies par le réseau Trend de Bordeaux, Michel Gandilhon indique «une hausse des prix de 60 euros à 80 euros le gramme de cocaïne». Le membre de l’OFCT mentionne également que «les prix au détail de la résine de cannabis semblent en très forte augmentation, passant de 5 à 9 euros le gramme toujours à Bordeaux». «Tandis que les prix de demi-gros pour 100 grammes seraient passés de 250 à 700, voire 1.000 euros», poursuit-il. En outre, dans la région de Perpignan, «selon l’OFAST [Office anti-stupéfiants, ndlr] dans une interview pour Ouest France, le prix de gros du kilo de résine de cannabis aurait augmenté de 30 à 40% en trois semaines», détaille M.Gandilhon.
Enfin, la restriction des mouvements constitue un frein très important. Les «fours» (supermarchés de la drogue) où s’agglutinaient parfois les clients se désertifient.
"A 1m de distance ils ont dit" 😂
— Newsweed (@newsweedFR) March 17, 2020
Les fours marseillais font le plein avant le #confinementtotal. pic.twitter.com/VahduLYfaM
En cause, le risque d’être verbalisé pour non-respect du confinement ou tout simplement la peur d’attraper le Covid-19.
Autant d’éléments qui peuvent laisser craindre, dans le pire des scénarios, un embrasement des quartiers sensibles. C’est en tout cas la thèse de Nicolas Pucheu, directeur de communication du syndicat UNSA-Police, Île-de-France. Dans un entretien accordé au journal Le Monde, il estime que «certains quartiers sont au bord de l’implosion. Pour ces personnes, il est hors de question que l’activité cesse, qu’il n’y ait plus de revenus. […] On peut imaginer qu’une fois leurs réserves écoulées, ils se tournent vers des braquages de commerces ou de distributeurs de billets».