Alors qu’elle n’avait pas vocation à être rendue publique, une note diplomatique intitulée «L’effet pangolin: la tempête qui vient d’Afrique?» circule abondamment sur le Net. Cette note provient du Centre d’analyse, de prévision et de stratégie (CAPS), un centre directement rattaché au ministre des Affaires étrangères.
On ne badine pas avec la mort…
Dès le titre, qui sied mal à une note diplomatique, le ton est donné et un premier postulat est posé. «L’effet pangolin» consiste à prendre pour acquis le fait que la pandémie se répande en Afrique comme une traînée de poudre. Les auteurs promettent une «onde de choc à venir» et parient sur «le nombre trop élevé de décès».
Les analystes du Quai d’Orsay ne sont pas les seuls à se faire les chantres du catastrophisme. Dès le 18 mars, alors que l’Afrique tout entière ne comptait pas encore 500 cas, l’OMS appelait le continent «à se préparer au pire».
Dans la culture occidentale, les chauves-souris sont souvent assimilées à la nuit avec une connotation de malheur ou de mort. Dans la catégorie «oiseaux de mauvais augure» se trouvent aussi une palanquée d’experts médicaux. Ainsi, le 3 avril, alors qu’à cette date le compteur des cas en Afrique affichait 7.177, un épidémiologiste en annonçait, lui, 10.000 et déclarait:
«Le coronavirus est en train de se diffuser de façon massive en Afrique», sans pour autant s’appuyer sur des données précises.
Il aurait eu des difficultés à le faire car l’évolution des chiffres ne montre pas de flambée. Au 13 mars, le continent comptait 200 cas; au 6 avril, les compteurs en affichaient 9.310 pour une population de plus de 1,3 milliard d’habitants. Compte tenu du manque de structures sanitaires, de la promiscuité, des comorbidités existantes et fréquentes –sida, hypertension, diabète–, la vitesse de propagation aurait dû être fulgurante et ressembler à celle des États-Unis. Ces derniers sont passés en un mois, entre le 6 mars et le 5 avril, de 236 cas à 336.673 pour une population quatre fois inférieure à celle de l'Afrique.
Par ailleurs, toutes ces institutions et tous ces «experts» commettent la même erreur: ils citent toujours l’Afrique comme une entité alors que le continent compte 55 États. Il existe de très fortes différences d’imprégnation du virus entre des pays d’un même continent, ce n’est pas différent en Afrique. Dans ces conditions, évoquer une hécatombe africaine fait preuve, au mieux, d’une grande maladresse.
La nuit n’est pas si noire
Les cinq pays les plus touchés –Afrique du Sud, Algérie, Maroc, Égypte et Cameroun– comptent, à eux seuls, 5.912 cas, soit 70% des infections déclarées. Bien sûr, il est toujours possible d’arguer que les États ne réalisent pas ou peu de tests et donc que les chiffres ne sont pas conformes à la réalité. Cependant, ils ne sont pas les seuls à manquer de tests et aucun pays ne peut se targuer de la plus grande transparence. Par ailleurs, les États africains n’ont aucun intérêt à minorer le nombre de malades car ils comptent sur l’aide internationale qui sera versée aux plus affectés. Enfin, si la maladie se propageait massivement, cela ne pourrait être caché. Comme dans les pays les plus touchés –France, Espagne Italie–, toutes les familles auraient une connaissance ou un parent affecté par le virus, ce qui n’est, encore une fois, pas le cas.
Enfin, toujours dans le registre des nouvelles rassurantes, il ne faut pas oublier non plus qu’Ebola est passé par là. Gouvernements et populations connaissent les épidémies et ne sont donc pas totalement démunis. En outre, nombre d’États comme le Sénégal, la Côte d’Ivoire ou le Burkina Faso ont adopté le protocole du professeur marseillais Didier Raoult, associant chloroquine et azithromycine. Dans ces deux derniers pays, des unités de fabrication de chloroquine sont en train d’être lancées.
Les printemps corona?
Malgré tous ces faits incontestables, c’est pourtant sur les prévisions les plus alarmistes que se basent les stratèges du Quai d’Orsay pour bâtir leurs prospectives. À la crise sanitaire s’ajouterait «une crise de trop qui déstabilise durablement, voire qui mette à bas des régimes fragiles (Sahel) ou en bout de course (Afrique Centrale)». Comme si le coronavirus allait soulever des tempêtes populaires qui ouvriraient (enfin?) la voie aux alternances en Afrique centrale et balayeraient les pouvoirs illégitimes et honnis.
Ce n’est pourtant pas ce qui se profile. Nombre de «régimes», comme les nomme assez peu diplomatiquement le CAPS, en profitent pour renforcer leur pouvoir en durcissant leurs prérogatives sécuritaires. Le premier danger qui s’annonce est bien celui d’une consolidation des pouvoirs autocratiques plutôt que l’avènement d’un «printemps corona».
La tempête qui vient
Cette note, sa méconnaissance des pays africains, de la résilience des populations, de la solidarité familiale, de la capacité d’adaptation des citoyens devant les difficultés, ses préconisations douteuses comme celle de s’appuyer sur les autorités religieuses ou les chanteurs populaires pour gérer les crises politiques que les auteurs anticipent, a été très mal perçue.