«Nous avons perdu trop de temps», dénonce le professeur Didier Raoult dans les colonnes de Marianne.
«Il ne faut plus tarder mais agir», martèle-t-il. Ce lundi 23 mars, une très longue file d’attente s’est formée devant l'Institut hospitalo-universitaire Méditerranée de Marseille (IHU). Les patients potentiels, dont certains sont décrits comme fébriles, masqués et gantés, peuvent y être testés et bénéficier du traitement par hydroxychloroquine associée à un antibiotique.
Pourquoi cette molécule a-t-elle eu tant de mal à émerger et à être reconnue comme piste très prometteuse contre le coronavirus?
Les réseaux sociaux, puis certains médias, se sont mis à creuser la question. Résultat: il semble bien que cet antipaludéen (également utilisé contre la maladie du lupus) bon marché, utilisé depuis des décennies, et facile à produire ait été victime d’un tir de barrage à la fois médiatique et politique, et peut-être même d’inimitiés.
Pourtant considéré comme un infectiologue et virologue de tout premier plan dans le monde, le professeur français Didier Raoult a été dans un premier temps accusé de propager de fausses informations. C’est un article à charge des Décodeurs, service et rubrique de «vérification» de l’information, selon les termes du journal Le Monde, qui a mis un premier coup d’arrêt le 26 février en fournissant un argument d’autorité aux détracteurs de la chloroquine.
Quand les Décodeurs du Monde se mêlent de virologie
Les journalistes avaient entrepris de décortiquer une vidéo publiée par Didier Raoult sur YouTube intitulée «Covid-19, fin de partie». Les Décodeurs avaient alors rendu leur sentence (une de leurs prérogatives): «Cette publication contient des informations à la fois vraies et fausses, ou simplement incomplètes. Dans certains cas, les informations sont trompeuses». Et Le Monde d’y apposer son tampon: «Conclusion: partiellement faux.»
Dans la vidéo, rebaptisée depuis et tournée à la forme interrogative «Coronavirus, vers une sortie de crise?», Didier Raoult remercie ses confrères virologues chinois d’avoir mené des tests à sa demande.
«Ce que j’attendais des Chinois, que je considère comme les meilleures équipes de virologie au monde, […] c’est les résultats d’une première étude sur l’efficacité de la chloroquine sur les coronavirus, et ça vient de sortir, c’est efficace. C’est une excellente nouvelle, c’est probablement l’infection respiratoire la plus facile à traiter de toutes», annonçait-il alors, le sourire aux lèvres.
Dès le 27 février, Didier Raoult étaie ses affirmations. Dans un article mis en ligne sur le site de l’IHU, il cite trois publications émanant d’équipes chinoises. «Un deuxième travail de publication avancée, publié dans BioScience Trends, rapporte que la première évaluation dans les essais cliniques de la chloroquine, qui inclut l’analyse des résultats de plus de 100 patients, montre que la chloroquine est supérieure au traitement de contrôle», détaille-t-il.
Pourtant, en France, on préfèrera lui reprocher la faiblesse de son étude menée localement sur 24 personnes à l’IHU. Citant une autre de ces études, menée auprès de 191 personnes, le professeur assène pourtant: «Les gens qui ont inventé la quatorzaine, ça n’a pas de sens. Il faut isoler les gens porteurs et ne pas isoler les non-porteurs.»
En clair, Didier Raoult s’oppose à la stratégie de confinement systématique et à l’absence de dépistage systématique de la population. Un crime de lèse-majesté qui pèsera lourd.
Didier Raoult, spécialiste mondial marginalisé en France
Le jugement de fake news, même partiel, du Monde a ainsi contribué à décrédibiliser l’expertise de Didier Raoult. Car l’avis des Décodeurs a des effets sur l’information du public, notamment sur les réseaux sociaux.
Facebook, tenu depuis 2017 de sous-traiter auprès de médias historiques triés sur le volet la vérification des informations échangées par ses utilisateurs, classe ainsi automatiquement les publications relayant la vidéo de Didier Raoult avec un bandeau «Information partiellement fausse».
Et le professeur de pointer dans une nouvelle vidéo mise en ligne le 16 mars les effets délétères du verdict des Décodeurs et de leur dispositif, le Décodex:
«Le Monde a décidé que ce que je disais, en rapportant ce qu’avaient publié les Chinois, n’était pas vrai. Il y a même eu "fake news" pendant 36 heures inscrit sur le site du ministère de la Santé!»
Mais Le Monde n’est pas le seul à douter de Didier Raoult. Au micro d’Europe 1, radio qui se demande si la chloroquine serait «un remède miracle», Martin Hirsch, directeur général de l'Assistance Publique-Hôpitaux de Paris (AP-HP), se montre catégorique. «La chloroquine n'a jamais marché chez un être vivant», affirmait-il alors.
Brouille avec Yves Lévy, époux d’Agnès Buzyn
Pourquoi une telle méfiance à l’égard d’un des meilleurs spécialistes au monde? De fait, Didier Raoult se distingue depuis longtemps par ses déclarations iconoclastes. Et aussi par un caractère bien trempé ainsi qu’un goût certain pour l’indépendance.
S’il est associé au fameux Conseil scientifique maintes fois cité par Emmanuel Macron, il refuse d’y siéger, se contentant de lui faire parvenir ses recommandations.
Incontournable du fait de sa réputation, Didier Raoult se distingue également de la doxa en matière de vaccination. En 2018, il s’élève dans le livre La vérité sur les vaccins contre la décision prise en juillet 2017 par la ministre de la Santé Agnès Buzyn d’imposer huit nouvelles vaccinations aux enfants en bas âge. La décision avait alors suscité une levée de boucliers, notamment chez les parents. «Je n'aime pas rendre quelque chose obligatoire, mais dans le cas de la vaccination, c'est une mesure justifiée», avait tranché Agnès Buzyn.
Didier Raoult paie-t-il ses accusations, entre autres contre le «lobby pharmaceutique», selon ses termes? Au moment de l’inauguration de l’IHU en mars 2018, le site d’information consacré à Marseille Marsactu faisait état d’«un conflit ancien avec le mari de la ministre [de la Santé Agnès Buzyn], par ailleurs PDG de l’Inserm, Yves Lévy».
Ce dernier, qui a dû laisser sa place à la tête de l’Inserm en 2019 sur fond de possible conflit d’intérêts avec son épouse ministre de la Santé, aurait, selon un ministre cité anonymement par le Canard Enchaîné du 11 octobre 2017, «toujours voulu la peau des IHU, […] un enjeu de pouvoir».
La digue en passe de céder?
Pour autant, les autorités sanitaires ont fini par admettre la pertinence d’essais cliniques sur la chloroquine. D’autres vont même plus vite. La République tchèque et les États-Unis ont déjà décidé de mettre en œuvre le traitement, notamment sous sa forme commerciale: le Plaquenil.
En France, c’est le maire de Nice Christian Estrosi qui sans attendre a autorisé le 22 mars le CHU de sa ville à utiliser la molécule. L’édile, testé positif au coronavirus avec son épouse, a d’ailleurs décidé de «faire confiance» à Didier Raoult.
J’ai obtenu satisfaction. #Nice06 et son CHU validés et approvisionnés pour mettre en place le protocole du professeur Didier Raoult avec consentement des familles. Il serait souhaitable que, dans les mêmes conditions, la médecine de ville soit habilitée à le prescrire. https://t.co/3Y6L5SvNqi
— Christian Estrosi (@cestrosi) March 22, 2020
Sur BFM TV, ce 23 mars, un médecin, qui a tenu à rester anonyme, infecté par le virus affirme ne pas avoir attendu pour s’auto-prescrire de la chloroquine. Et de noter une amélioration spectaculaire en 24 heures seulement. «Je ne m’attendais pas à une évolution impressionnante. […] Je n’ai pas la preuve scientifique, […] mais c’est extrêmement frappant, troublant et ça mérite qu’on s’intéresse de manière extrêmement forte à ce médicament», a-t-il témoigné, tout en appelant à ne pas recourir à l’automédication sans avis professionnel.
Un médecin infecté par le #COVIDー19 et se décrivant lui même comme extrêmement faible et touché par la maladie a décidé de s'auto-administrer le traitement à base de #Chloroquine recommandé par le Professeur Didier Raoult.
— Romain Marceau 🇬🇷 (@RomainMarceau1) March 22, 2020
Résultat : rétabli en 24h !
pic.twitter.com/a09q9aqx39
Les appels à utiliser la chloroquine tout de suite se multiplient. Christian Perronne, chef de service en infectiologie à l'hôpital universitaire Raymond-Poincaré de Garches, exhorte: «Il faut en donner dès maintenant aux patients.»