Cela faisait 12 ans que l’on n’avait pas vu pareille Berezina sur les marchés financiers. De Wall Street en passant par l’Asie, de Paris à Milan, c’est une véritable chute des cours à laquelle nous avons assisté la semaine dernière. En six jours, la Bourse de Paris a perdu environ 12%!
Il faut dire que le cocktail actuel est difficile à avaler pour les opérateurs de marché: tensions géopolitiques en Syrie et en Libye, guerre commerciale, Brexit et… coronavirus. L’épidémie continue de nécessiter des mesures de prévention qui pourraient bien ralentir la croissance économique et mettre en danger les chaînes de production à l’international. Avec 89.006 cas, 3.044 décès et 68 pays et territoires concernés le 2 mars à 9 h 00 heure française, selon l’AFP, la situation est loin d’être sous contrôle.
Cette semaine, les bourses mondiales ont plongé dans des proportions rappelant la crise de 2008. Comment une épidémie, celle du #coronavirus, pourrait déclencher une crise financière ? Quelques éléments dans ce fil 👇
— Frédéric Lemaire (@fredlemr) February 28, 2020
De nombreuses usines sont toujours à l’arrêt en Chine, l’atelier du monde. Des villes sont confinées en Italie et les secteurs des transports et du tourisme souffrent sérieusement d’une crise qui vire à la psychose. Preuve de l’incertitude qui règne, l’indice VIX, qui mesure la volatilité du marché financier américain, a évolué la semaine dernière à des niveaux que l’on n’avait plus constatés depuis la crise de 2008. Au micro d’Europe 1, Étienne Sebaux, associé au cabinet Kearney France, a mis en avant notre dépendance à la Chine et craint l’«effet domino». D’après lui, «c’est une crise économique qui s’annonce».
Le CAC 40 se reprend... et rechute
Le 2 mars, les marchés asiatiques reprenaient quelques couleurs. Même l’indice VIX avait baissé. Mais pour le CAC 40, le bilan est plus mitigé. Après avoir rebondi, l’indice parisien évoluait légèrement dans le négatif à quelques heures de la clôture. Le même jour, l’Organisation de coopération et de développement économiques (OCDE) estimait que l’épidémie de coronavirus allait fortement freiner l’économie mondiale en 2020. Elle a ramené ses prévisions de croissance au niveau mondial de 2,9% à 2,4%. En France, c’est Bruno Le Maire, ministre de l’Économie, qui déclarait le 2 mars chez nos confrères de France 2 que l’impact de l’épidémie sur la croissance française, précédemment estimé à 0,1 point de croissance, serait «beaucoup plus significatif» que prévu.
L’économie mondiale est-elle sur le point de dérailler? Philippe Béchade, président des Éconoclastes, a livré son analyse à Sputnik France.
Sputnik France: Le coronavirus va-t-il déclencher la prochaine crise économique d’ampleur?
Philippe Béchade: «C’est une possibilité. Ce n’est en aucun cas une certitude. Néanmoins, cette crise ne tombe clairement pas au bon moment, alors que les marchés sont au plus haut et que tous les agents économiques, États, entreprises, particuliers, sont endettés à des niveaux jamais observés.»
Sputnik France: Le coronavirus est-il vraiment responsable ou les marchés dégringolent-ils à cause d’un contexte international chargé? Je pense notamment au Brexit, aux tensions géopolitiques en Libye ou en Syrie et à la guerre commerciale…
Philippe Béchade: «L’offensive tuque en Syrie –qui n’est ni plus ni moins qu’une invasion au regard du droit international et qui aurait poussé l’Onu à faire des réunions d’urgence si c’était la Russie qui avait envahi le nord de la Syrie– est ignorée par les marchés. C’est le cas depuis des mois par rapport à ce qu’il se passe en Syrie. Ce qui les fait réagir d’un coup est une prise de conscience vis-à-vis d’une possible chute de la croissance mondiale, qui entraînerait une chute des profits des entreprises. De plus, les marchés sont totalement survalorisés. Ils “priçaient” des taux de croissance bien supérieurs aux hypothèses, que ce soit en Europe ou aux États-Unis. Et c’est au moment où tout est au plus haut et où aucun accroc ne doit intervenir pour la croissance mondiale qu’arrive l’épidémie de coronavirus, qui pourrait amputer cette même croissance de 0,5% et non pas de 0,1 ou 0,2% comme on le prétendait il y a encore deux semaines. Il faut désormais revoir toutes les valorisations, toutes les hypothèses et, encore une fois, au pire moment.»
Sputnik France: Concrètement, quelles conséquences économiques pourrait avoir le coronavirus?
Philippe Béchade: «Pour un pays comme la France, qui est très dépendante de la Chine et qui doit faire face à des monopoles sur certaines pièces ou certains composants, il y a des risques de rupture dans les chaînes d’approvisionnement. Cela pourrait entraîner la mise à l’arrêt d’usines, avec des salariés au chômage technique. Ceux qui auraient encore des jours de congé à poser pourraient éviter de perdre leur salaire, mais plus la crise durerait, plus elle impacterait le pouvoir d’achat des ménages. Nous rentrerions dans une spirale infernale avec une économie à l’arrêt et des gens qui ne dépensent plus. Cela rendrait le coup de frein conjoncturel encore plus brutal, avec davantage de réductions d’investissement, moins d’embauches, davantage de licenciements et des citoyens plus pauvres. Je vous décris le scénario du pire, mais il ne faut évidemment pas l’exclure, compte tenu du fait que nous sommes dépendants de la Chine pour beaucoup de produits. Nous n’avons pas de plan B. Nous ne pourrions pas aller trouver en Corée du Sud, au Japon ou au Mexique ce que nous ne pourrions plus aller chercher en Chine. Il faudra repenser totalement le commerce mondial après cette crise. Même dans le cas où elle serait totalement résolue d’ici deux mois, il sera nécessaire de totalement repenser nos chaînes d’approvisionnement.»
Sputnik France: Le ministre de l’Économie, Bruno Le Maire, s’est dit prêt le 2 mars à «débloquer ce qu’il faudra» pour venir en aide aux entreprises françaises touchées par l’épidémie. Pensez-vous comme certains observateurs que le gouvernement gère particulièrement mal cette crise?
Philippe Béchade: «S’il la gère mal, il n’est pas le seul. Ce n’est pas une excuse. Il est vrai que lorsque l’on regarde les mesures prises par les autorités chinoises par exemple, la comparaison fait mal pour la France, qui n’a pour le coup pas pris la moindre initiative sérieuse pour approvisionner les hôpitaux et les pharmacies en masques, notamment. Vous n’avez qu’à constater les nombreuses ruptures de stock concernant les gels hydroalcooliques. Tout ceci est le résultat d’un total manque de prévoyance. Malheureusement, je pense que nos autorités avaient autre chose en tête. Comme faire passer la réforme des retraites avec le 49-3 par exemple. Le coronavirus est passé sous le radar et n’a pas été pris en compte.»
Sputnik France: Que conseillerez-vous à un investisseur ou un épargnant pour se protéger contre les turbulences actuelles?
Philippe Béchade: «Pour résumer, en ce moment, le cash est roi. Beaucoup d’emprunts d’État affichent des niveaux de valorisation stratosphériques et offrent des rendements négatifs. Aujourd’hui, vous louez très cher un coffre-fort. Vous avez des obligations assimilables du Trésor (OAT) françaises à 10 ans à -0,26% ou du -0,6% sur leurs équivalentes allemandes. Si l’on se place sur ce genre de véhicule, on perd de l’argent. Mais on en perd peu. Aujourd’hui, le but est de trouver un refuge sur lequel on ne perd pas d’argent. L’objectif n’étant plus d’en gagner en tentant de faire 1,5% de rendement sur des obligations mal notées en prenant d’énormes risques comme cela a été le cas pratiquement toute l’année 2019. à l’heure actuelle, il est nécessaire de se placer pour ne pas perdre. Si l’on est un peu plus aventureux, on peut toujours tenter de profiter de la montée actuelle des cours de l’or ou de l’argent. Je pense que nous nous dirigeons à moyen terme vers un scénario plus inflationniste. Le coronavirus pourrait très bien aboutir à une démondialisation des circuits de production, avec des rapatriements d’usines et des relocalisations. Tout ceci se ferait au détriment des prix de revient et tout coûterait plus cher à produire. Il est possible que les 20 ans de déflation que nous devons à la Chine soient prochainement derrière nous. Si l’on se situe dans une perspective inflationniste à moyen terme, il serait malin d’acheter de l’or. Si l’on pense que les Banques centrales vont encore intervenir et injecter massivement des liquidités dans les marchés à court terme, là encore, il serait intelligent de miser sur l’or. Donc selon moi, dans les tous les cas, on achète de l’or.»