Dimanche 12 janvier au soir, suite à l’initiative russo-turque, l’Armée nationale libyenne (ANL) et le Gouvernement d’union nationale libyen (GNA) ont annoncé la cessation des hostilités dans l’ouest de la Libye. Chacune des parties a promis de répondre à toute violation du cessez-le-feu. Pour Kader Abderrahim, spécialiste du Maghreb et de l’islamisme à l’Institut des Relations Internationales et stratégiques (IRIS) et maître de conférence à Sciences Po, cette médiation russo-turque «est très importante».
«La médiation russo-turque permet d’avoir une grande puissance qui intervient dans un conflit pour éviter une déflagration régionale, qui aurait également des conséquences pour les intérêts russes, souligne Kader Abderrahim, comme c’était le cas en 2011, lorsque la France et la Grande-Bretagne ont déclenché la guerre contre le régime du colonel Kadhafi.»
Ce lundi matin à Moscou, Mevlut Cavusoglu, ministre turc des Affaires étrangères, Hulusi Akar, chef de la Défense turque, ont rencontré leurs homologues russes pour discuter de la mise en œuvre de l’initiative russo-turque de cessez-le-feu en Libye. Bien qu’il ait fallu tout le week-end pour simplement déterminer le format de cette réunion de Moscou sur la Libye, Fayez el-Sarraj et Khalifa Haftar se sont personnellement rendus dans la capitale russe.
Elle est obligée de «réparer certaines erreurs italiennes, mais également Françaises, Britanniques, Émiraties, Égyptiennes… de tous ces pays qui sont intervenus en Libye, lorsque le colonel Kadhafi était encore en vie et qui sont intervenus plus tard pour alimenter la guerre», souligne Kader Abderrahim.
En guise d’exemple, il cite les Émirats arabes unis qui «ont donné beaucoup d’armes au maréchal Haftar, malgré l’embargo de l’Onu».
«Le plus grave est que l’Union européenne n’a jamais critiqué le fait qu’Abu Dhabi viole un embargo des Nations unies. Il est temps que l’UE soit fidèle à ses principes de droit et à ses principes symboliques pour demander aux Émirats arabes unis de cesser d’approvisionner le maréchal Haftar en armes», martèle Kader Abderrahim.
Vladimir Poutine et Recep Erdogan ont convenu de tenir des consultations russo-turques à Moscou sur la Libye la semaine dernière, lors de négociations à Istanbul. Pour Kader Abderrahim, «ce qui se passe aujourd’hui à Moscou permet d’avoir une puissance qui intervient pour tenter d’éviter une escalade militaire, d’éviter que le conflit interlibyen ne déborde du cadre et des frontières libyennes et qu’il n’aille ailleurs, en Égypte, au Soudan, au Tchad, en Algérie ou en Tunisie». Néanmoins, l’urgence d’éviter une «déflagration de toute la Méditerranée» doit s’accompagner de solutions politiques.
«Il est important d’éviter la guerre, mais il est important également faire pression sur les différents acteurs, à savoir Khalifa Haftar à l’Est et le Premier ministre el-Sarraj, le seul des deux reconnu par l’Onu, pour qu’ils parviennent à un compromis politique sur le partage du pouvoir, détaille Kader Abderrahim. Ensuite, peut-être nous pourrons nous consacrer à la lutte contre le terrorisme.»
L’ANL a lancé une attaque contre Tripoli en avril dernier, sous prétexte de combattre le terrorisme. Les combats ont duré plus de six mois. Et l’image de la France sort écornée de conflit: d’après les médias turcs, le chef de la diplomatie turque, Mevlut Cavusoglu, a récemment accusé Paris de contribuer au chaos en Libye en y livrant des armes.
«Ce matin, un entretien téléphonique a déjà eu lieu entre les Présidents français et russe. La préoccupation de la France, qui est engagée dans un autre conflit pour lutter contre le terrorisme au Sahel, au Mali, est que le cessez-le–feu, entré en vigueur dimanche à minuit en Libye, soit vérifiable et s’inscrit dans la durée», précise Kader Abderrahim.
Pourtant, le spécialiste du Maghreb estime que «rien n’est moins sûr, puisque la Libye et ses acteurs politiques sont instables, les combats peuvent reprendre à tout moment».
«Il y a très peu –voire aucune– chance que l’Égypte intervienne dans ce conflit, assure Kader Abderrahim. C’est surtout une manière pour le président du parlement, basé à Tobrouk, de faire monter des enchères, parce que les Égyptiens ont dit très clairement qu’ils ne voulaient pas être entraînés dans un conflit à leurs frontières.»
«Cela ne commence pas trop bien, parce que les Allemands, peut-être sous des pressions quelconques, ont “oublié” d’inviter l’Algérie, nuance Kader Abderrahim. Merkel a finalement téléphoné à la présidence algérienne et l’a invitée. Les Algériens seront présents. Nous aurons à Berlin une conférence sous l’égide de l’Onu qui devrait permettre –on l’espère, mais rien n’est moins sûr– de parvenir à un accord.»
La Libye reste divisée depuis 2011, après le renversement du régime de Mouammar Kadhafi. À l’heure actuelle, le gouvernement d’union nationale libyen, dirigé par Fayez el-Sarraj, tente de contrôler Tripoli et l’Ouest du pays. Tant dis que l’Est du pays reste contrôlé par de l’Armée nationale libyenne (ANL) sous le commandement du maréchal Khalifa Haftar.
«Le chef [du groupe de contact russe sur la Libye, ndlr] Dengov va faire pression sur el-Sarraj et sur Haftar pour, au moins, qu’il y ait la photo. Sinon, ça ne sert à rien», conclut Kader Abderrahim.