Un lancer de pavé et deux gifles à un Gilet jaune. Pour ces faits, les deux premiers procès des «violences policières» avaient lieu ce 19 décembre au tribunal de grande instance de Paris. Le CRS âgé de 44 ans, qui avait lancé le pavé lors du défilé du mai 2019, a écopé de deux mois de prison avec sursis. Le procureur avait requis trois mois de prison avec sursis. Pour le second policier jugé dans la même salle, accusé d’avoir giflé à deux reprises un manifestant, lors du même défilé du 1er mai, le procès commençait tout juste. Les deux membres des forces de l’ordre comparaissaient tous deux pour le chef d’accusation de «violences volontaires par personne dépositaire de l'autorité publique».
«Ils ont une seconde pour prendre la bonne décision»: avant le verdict, Grégory Joron, le secrétaire général délégué pour @UNITESGPPOLICE et collègue du policier lanceur de pavé, affirme qu’il faut «recontextualiser ce qu'il se passe depuis quelques mois»https://t.co/OI0bMiYhSW pic.twitter.com/RaIZ84N51m
— Sputnik France (@sputnik_fr) December 19, 2019
Alors que des faits de violences bien plus graves ont été commis par les forces de l’ordre depuis plus d’un an de manifestations des Gilets jaunes, seules ces violences pouvant être qualifiées de «symbolique» ont été retenues par le Parquet. Relevons notamment la mort de Zineb Redouane, 80 ans, qui a reçu un projectile en plein visage alors qu’elle assistait de sa fenêtre une manifestation de Gilets jaunes à Marseilles, le 1er décembre 2018 ou l’éborgnement de 24 personnes, dont celui de Manu le 16 novembre. Selon des chiffres datant du 7 novembre, 212 enquêtes ont été confiées à l’IGPN (Inspection générale de la Police nationale). Parmi elles, 54 procédures ont été classées sans suite et 18 autres ont conduit à l'ouverture d'une information judiciaire.
Noam Anouar, policier, membre du syndicat Vigi et auteur de La France doit savoir (Éd. Plon) a répondu à nos questions à ce propos. Il déplore l’emballement médiatique autour de ce procès et cette peine qu’il qualifie de «symbolique», qui serait un coup de communication de la part des autorités pour ne pas exposer les faits les plus graves.
Noam Anouar: «Cela répond à un besoin de la population, c’est-à-dire que l’on est plus dans le symbolique, compte tenu du nombre de violences policières qui ont été perpétrées durant l’année passée et le nombre de dossiers qui sont allés au bout des investigations menées par l’IGPN. On se rend bien compte que l’on est bien plus dans la symbolique, c’est-à-dire qu’on n’a pas de victime identifiée. Il s’agit simplement d’une image, qui a été diffusée sur Internet, ce qui a donné lieu à une saisine du Parquet. Si l’on n’avait pas eu de photographe amateur, les faits auraient été passés sous silence. Deux mois avec sursis, on est vraiment dans la symbolique.
De toute façon, je pense que le policier fera appel. Comme on est dans un tourbillon médiatique, l’audience de fond aura lieu en réalité en appel. La pression médiatique était insupportable de toutes parts. Cette condamnation de deux mois de sursis n’a pas vraiment d’incidence, puisque le policier va donc pouvoir continuer à exercer ses fonctions, puisque la limite en théorie, pour pouvoir exercer dans la fonction publique, est fixée à six mois avec sursis.
Sputnik France: Comment expliquer ce procès d’un policier pour avoir lancé un pavé qui n’a pas fait de victimes alors que de nombreuses «violences policières» bien plus graves ont eu lieu?
Noam Anouar: «Ce n’est pas un hasard si c’est ce fait-là qui a été jugé et non pas un autre. Dès le départ, je pense que les autorités du ministère de l’Intérieur savaient que la condamnation serait plutôt symbolique, c’est-à-dire que l’on aurait une condamnation assez faible. Cela répond à des besoins de communication et même temps, cela évite d’avoir à juger des faits beaucoup plus graves, comme ceux qui ont mené au décès de Zineb Redouane, de Steve Caniço ou à la mutilation de plusieurs manifestants, les éborgnés par exemple.
Ce n’est pas pour aujourd’hui, le jour où on pourra mener une enquête de façon scrupuleuse et rigoureuse. Sur les faits survenus sur Jerome Rodriguez par exemple, on n’aura pas deux mois avec sursis pour un œil et une négligence dans l’utilisation d’une grenade. Donc globalement, aujourd’hui, il y a besoin de faire savoir que la justice fonctionne à peu près correctement et que l’IGPN ne couvre pas tous les délits impunément.
On s’aperçoit que c’est de la communication et que le pauvre policier qui a été condamné aujourd’hui en fait les frais. J’espère que ça lui servira de leçon et que tous ses collègues, dans l’exercice de leurs fonctions, feront preuve à l’avenir de modération et sauront que l’administration est susceptible de les trahir à tout moment.»
Noam Anouar: «Pas du tout, parce que l’institution judiciaire n’est pas autonome. Elle se base sur des rapports d’enquête qui sont établis par la police. On l’a bien vu lors de l’affaire Zineb Redouane à Marseille : quand un juge saisit la police pour enquêter, la police a parfois tout loisir de dire qu’elle ne connaît pas les auteurs, que les auditions et les investigations n’ont pas abouti. Dans ces circonstances, les juges se retrouvent impuissants. La police est le premier filtre et la justice est contrainte de se baser sur ce que lui fournit la police.
Je ne mets pas en porte-à-faux l’institution judiciaire sur ces dossiers-là, sauf si l’on considère que les procureurs appartiennent effectivement à l’institution judiciaire. On voit bien qu’il y a eu des défauts de fonctionnement à Marseille, concernant les affaires précitées. On a eu des affaires de dépaysement ces derniers mois, des procureurs qui ont été mutés. Il y a quelque chose qui se passe dans les rangs des institutions judiciaire et policière et aujourd’hui on en est encore à cacher la poussière sous le tapis.»