La journée du 5 décembre a été marquée par une forte mobilisation: entre 806.000 et 1,5 million de manifestants –d’après les estimations respectives du ministère de l’Intérieur et de la CGT– ont bravé le froid hivernal dans environ 70 villes.
À Paris, comme en province, les transports publics ont été particulièrement affectés par un mouvement de grève très suivi. Un mouvement appelé à durer, avec une première reconduite jusqu’au 9 décembre soir à la RATP; sans surprise, la SNCF devrait suivre.
De son côté, le gouvernement entretient le flou, politique qu’il a adoptée sur ce dossier brûlant au cours de ces derniers mois. On nous répète ainsi que le projet ne serait pas finalisé, que des arbitrages restent à effectuer. Selon l’Élysée, le Premier ministre devrait s’exprimer «en milieu de semaine prochaine» afin de présenter l’«architecture générale» de cette réforme qui doit fondre les 42 régimes de retraites existants en un seul et unique, valable pour tous les salariés du privé et du public.
Une attitude du gouvernement plutôt paradoxale, car cette réforme des retraites figurait clairement au programme d’Emmanuel Macron. Ce dernier clamait d’ailleurs durant la campagne «assume [r]» de mettre sur la table un tel dossier, sans toucher à l’âge de départ à la retraite, taclant au passage «certains de ses concurrents».
Depuis, nous explique-t-on, les prévisions économiques du Conseil d’Orientation des Retraites (COR) sur lesquelles était basé le postulat de départ de cette réforme ont été revues à la baisse, entre la campagne et l’après-élection présidentielle. Pas de chance donc… il faudra ainsi profiter de cette remise à plat du système de retraites pour faire des économies.
À titre indicatif, en 2017 le trou du régime spécial de la SNCF a coûté à l’État 3,28 milliards d’euros. Du côté des agents d’EDF et d’Engie, qui jouissent d’une pension moyenne bien plus généreuse (3.280 euros brut, pour les nouveaux retraités) que le commun des retraités du privé (1.784 euros brut, moyenne présentant un écart de 44% avec celle des pensions des ex-fonctionnaires), celle-ci est financée par une surtaxe de la facture d’énergie payée par tous les consommateurs de gaz et d’électricité. Cette taxe (dite Contribution tarifaire d’acheminement) fut d’ailleurs augmentée par le gouvernement Ayrault en 2013. Ceux qui aujourd’hui mettent en avant ce simple constat sont accusés de jouer la division des Français ou encore d’attiser la «jalousie».
Parallèlement, des régimes à la gestion plus scrupuleuse sont parvenus à se constituer des réserves: entre les 70 milliards de l’Agirc-Arrco, la caisse des salariés du privé, les 24 milliards de la CNAVPL, celle des professions libérales ou les 17 milliards du RCI, qui gère les pensions des indépendants, etc. «Soit, fin 2017, un pactole total de… 137 milliards d’euros», comptabilisaient nos confrères du Figaro, évoquant ainsi un «magot». Car il fait peu de doutes que ce sont bien ces fonds, issus de la prévoyance de ces caisses de retraites excédentaires qui permettront au futur système «unique» d’être finalement à l’équilibre tant convoité. Prélever une partie de cette somme est justement l’une des suggestions du rapport Delevoye.
Pour autant, au-delà des fameux «régimes spéciaux» dont les avantages resteront à la charge de tous, le nouveau calcul par points autour duquel s’organisera la réforme gommera-t-il les inégalités entre public et privé? Si Emmanuel Macron martelait en 2017 que «la maladie de notre système aujourd’hui, c’est qu’il est injuste», force est de constater que malgré cette refonte du système de retraite annoncée, les multiples garanties dont pourraient continuer à bénéficier les agents de l’État risquent de rendre rapidement caduc le fond de la réforme et donc de léser une fois de plus les salariés du privé au profit du maintien des pensions des fonctionnaires.
Opération communication? On observe cette même frilosité gouvernementale à l’égard des régimes spéciaux dans une autre réforme tout aussi explosive: celle de l’assurance chômage. Fin novembre, Muriel Pénicaud assurait ainsi que les intermittents du spectacle (qui pèsent pour 1 milliard des 3,6 milliards de déficit de l’assurance chômage, pour seulement 117.000 allocataires en 2016) ne seraient pas concernés par la future réforme… le tout afin, visiblement, d’éviter de trop faire de vagues au moment où le climat social est délétère dans le pays. Ce genre de mentalité, digne d’énarques, laisse amplement présager du contenu de la copie du gouvernement: les perdants de demain seront ceux d’hier.