Québec: chargée d’examiner la loi sur la laïcité, est-elle juge… et partie?

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Adoptée en juin 2019, la nouvelle loi québécoise sur la laïcité doit maintenant passer le test des tribunaux. Mais voilà que le juge chargé d’examiner la loi est accusé de partialité. Sputnik fait le point avec le plaignant, l’historien Frédéric Bastien, et Guillaume Rousseau, l’un des architectes de cette loi controversée.

C’est un rebondissement majeur dans le duel épique que se livrent partisans canadiens de la laïcité et du multiculturalisme au Québec.

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Le 1er décembre dernier, l’historien réputé Frédéric Bastien a déposé une plainte au conseil canadien de la magistrature en lien avec la nouvelle loi québécoise sur la laïcité. Selon lui, le juge chargé d’entendre la requête d’opposants à la loi ne serait pas impartial dans ce dossier. Mme Duval Hesler doit prochainement rendre une décision concernant la suspension éventuelle de cette loi qui interdit le port de signes religieux aux juges, policiers, gardiens de prison et enseignants.

«J’ai porté plainte jeudi au conseil canadien de la magistrature contre la juge en chef de la Cour d’appel du Québec, Madame Nicole Duval Hesler, dans la cause en appel qu’elle entend sur la suspension de la Loi 21. La juge en chef a manqué à son devoir de réserve pour plusieurs raisons et elle devrait se récuser», a écrit l’historien et professeur au collège Dawson de Montréal sur sa page Facebook.

Frédéric Bastien s’est montré catégorique en entrevue avec Sputnik France. Le juge Duval Hesler ferait preuve de «militantisme juridique», estime-t-il, ce qui le rendrait inapte à se prononcer sur la loi.

«Mme Duval Hesler est une juge militante. C’est quelqu’un qui fait de l’activisme juridique en raison de son adhésion au multiculturalisme et de son rejet de la laïcité. D’ailleurs, presque tous les juges fédéraux au Canada partagent cette même vision, étant tous nommés par le gouvernement fédéral. Le jupon dépasse beaucoup... Elle viole son devoir de réserve», a tranché M. Bastien à notre micro.

Professeur de droit à l’Université de Sherbrooke et ex-conseiller du gouvernement Legault sur la laïcité, Guillaume Rousseau estime que des questions soulevées par son collègue sont légitimes. M. Rousseau est l’un des architectes de la Loi 21 et en publiera prochainement une version annotée. Selon lui, le fait que le juge en chef ait plusieurs fois exprimé son désaccord avec la laïcité est matière à réflexion. Les principes de déontologie judiciaire déconseillent fortement à un juge d’exprimer publiquement des opinions politiques, rappelle-t-il.

​Pourtant, dans un texte juridique publié en 2011, Mme Duval Hesler écrivait que le multiculturalisme était un phénomène inéluctable qu’il était vain de remettre en cause. Rappelons que le multiculturalisme est perçu comme une idéologie fondamentalement opposée à l’interdiction des signes religieux au Canada.

«C’est donc dire que le discours sur les conséquences négatives du multiculturalisme ne peut mener nulle part. L’on ne saurait par diktat mettre fin au multiculturalisme, pas plus que l’on ne saurait ignorer le besoin d’accommoder nos minorités», écrivait notamment Mme Duval Hesler dans ce texte.

Par ses commentaires et son attitude lors d’une récente audience, Mme Duval Hesler peut être perçue comme ayant exprimé un préjugé favorable envers les opposants à la loi, observe M. Rousseau.

«Au cours de l’audience du 26 novembre 2019, les juges Duval Hesler et Bélanger se sont montrées beaucoup plus dures envers les avocats représentant le Procureur général et donc le gouvernement Legault. Ces mêmes juges se sont montrées beaucoup moins dures envers les avocates des appelantes et elles ont exprimé des opinions politiques défavorables à la Loi 21 en pleine cour», s’indigne le professeur.

Selon les informations recueillies par Sputnik, au cours de cette même audience, le juge Duval Hesler s’est déclaré «féministe», en faisant notamment valoir que la Loi affecterait particulièrement les femmes. La juge en chef a également comparé la loi à des «allergies visuelles» envers les signes religieux, des propos qui refléteraient des opinions politiques impropres à être exprimées à la Cour. Frédéric Bastien se demande toutefois si cette vision ne serait tout simplement pas celle exprimée dans la Constitution canadienne:

«Cette vision défavorable de la laïcité fait toutefois partie de l’ADN même du régime constitutionnel canadien implanté en 1982. La Charte des droits et libertés, qui a été intégrée à la Constitution, sert à imposer au Québec le multiculturalisme et le bilinguisme canadien. Les juges fédéraux sont le fer de lance de ce travail permanent visant à affaiblir l’identité québécoise. Le comportement de la juge en chef est un très bel exemple de cette logique du régime», analyse Frédéric Bastien.

Le 10 décembre prochain, Mme Duval Hesler prononcera un discours à l’occasion d’une soirée de charité pour le compte de l’association Lord Reading, connue pour son opposition à la laïcité. Un autre élément faisant douter de l’impartialité du juge dans ce dossier épineux.

​Personnalité pressentie pour devenir chef du Parti québécois, principale formation souverainiste au Québec, M. Bastien espère donc que le juge décide de lui-même de se récuser, seule manière de changer la composition du tribunal. Quant à Guillaume Rousseau, anticipant un maintien de la magistrate, il espère que celle-ci respectera le droit du Québec à utiliser la clause dérogatoire, laquelle permet de mettre des lois importantes à l’abri du «gouvernement des juges».

«Si la loi sur la laïcité était suspendue par la Cour d’appel, il s’agirait d’un immense recul pour la démocratie parlementaire et l’autonomie du Québec. Par le fait même, il s’agirait d’une victoire du gouvernement des juges», a conclu le professeur.
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