Le 16 septembre dernier, à Ouagadougou, la capitale burkinabé, la police a dispersé à l'aide de gaz lacrymogènes une marche de protestation à l’appel d’organisations syndicales et de la société civile dont la Confédération générale du travail (CGTB) et le Mouvement burkinabè des droits de l'homme et des peuples (MBDHP).
Organisée pour coïncider avec la commémoration du quatrième anniversaire de la résistance au coup d’État de 2015, cette marche visait, selon ses organisateurs, à exiger du gouvernement «des actions efficaces de lutte contre le terrorisme ainsi que les exécutions sommaires et extrajudiciaires, et la justice en faveur des victimes d’exactions ainsi que pour le bien-être des populations».
Loin des revendications catégorielles habituelles, de telles marches expriment une exaspération croissante des Burkinabè. Ceux-ci sont fatigués de l’impuissance des autorités à mettre un terme aux attentats terroristes qui ont déjà fait des centaines de victimes tant du côté des forces de défense et de sécurité que des populations.
Pis, selon certains observateurs, la colère et le manque de confiance vis-à-vis des autorités burkinabè sont tels qu’il n’est pas exclu qu’ils puissent finir par déboucher sur une insurrection populaire comme celle qui avait chassé en octobre 2014 Blaise Compaoré, au pouvoir depuis 27 ans.
La grogne ne se fait pas entendre que dans la rue. Sur les réseaux sociaux, il y a longtemps que le malaise des internautes burkinabè est visible. Ils sont de plus en plus nombreux à reprocher aux autorités d’être insensibles au sort des populations, voire de vivre dans le déni d’une situation qui se dégrade pourtant continuellement.
Chrysogone Zougmoré, le président du MBDHP, ne cache pas son agacement face à une classe politique davantage préoccupée, selon lui, par les prochaines élections plutôt que par le problème de l’insécurité rampante dans le pays.
«Il faut que le pouvoir se ressaisisse et fasse véritablement de la lutte contre le terrorisme sa priorité plutôt que de penser déjà à la présidentielle de 2020», s’insurge-t-il au micro de Sputnik
Vers la création de mouvements d’autodéfense
Même si l’armée burkinabè a enregistré ces derniers mois certains succès – en témoigne notamment l’action des forces de défense, le 7 octobre à Gorgadji, une localité du nord du Burkina, qui ont abattu 39 terroristes –, sur le terrain, elle semble être à la peine.
En effet, le feu récurrent des groupes djihadistes continue de faire des ravages sur une grande partie du territoire. Le Bureau de la coordination des affaires humanitaires des Nations unies (OCHA) estime à près de 300.000 le nombre actuel de personnes déplacées. Et plus de 2.000 écoles sont fermées, dont environ 800 dans la région du Sahel, frontalière du Mali, la plus touchée par les attaques terroristes.
De janvier à août 2019, l’ACLED (Armed Conflict Location & Event Data Project), une ONG de collecte et d’analyse de données sur les violences armées et politiques, a recensé pas moins de 313 attaques armées au Burkina Faso. C’est largement plus que les 190 enregistrées sur toute l’année 2018. Et au cours de ces 313 offensives, au moins 88 éléments des forces de défense et de sécurité (soldats, gendarmes, policiers, forestiers, etc.) et 276 civils ont été tués.
Le 19 août, l’armée a d’ailleurs enregistré son revers le plus cuisant vis-à-vis des djihadistes depuis le début des attaques armées en 2015. En effet, 24 soldats ont péri dans l’attaque de leur détachement à Koutougou, dans la région du Sahel, dans le nord du Burkina Faso. Une attaque revendiquée par le Groupe de soutien à l'islam et aux musulmans (GSIM) mais qui aurait, selon les renseignements burkinabè, été planifiée par l'État islamique au Grand Sahara.
Les forces de défense et de sécurité étant à la peine dans les zones sous menace djihadiste, la tentation est de plus en plus forte pour les populations de constituer des groupes d’autodéfense pour se protéger.
D’ailleurs, dans la province du Bam, dans le centre-nord du Burkina, les populations sont passées à l’acte en lançant le 5 octobre un mouvement populaire de résistance contre les attaques terroristes.
Dans le pays, de telles initiatives de civils en inquiètent plus d’un. Pascal Zaïda, coordonnateur du Cadre d'expression démocratique (CED), considère que la création de milices est à bannir car dangereuse.
«La création de groupes d’autodéfense est dangereuse et donc à bannir. Non seulement il est peu sûr que ces groupes soient efficaces face aux terroristes, mais leur existence même peut occasionner ou alimenter des conflits communautaires. Le Burkina est un État de droit. À ce titre, c’est aux autorités qu’il revient de donner les moyens nécessaires aux forces de défense et de sécurité pour assurer la protection des civils, qui ne peuvent jouer qu’un rôle de renseignement», déclare-t-il au micro de Sputik.
Les forces armées françaises indésirables sur le territoire burkinabè
Le 3 octobre, Rémi Dandjinou, ministre de la Communication et porte-parole du gouvernement burkinabè, a dû intervenir pour démentir la rumeur de l’implantation d’une base militaire française à Djibo, dans le nord du Burkina.
Lors d’une conférence de presse à Ouagadougou, il a juré qu’il n'y avait pas de base française installée à Djibo, contrairement à ce qu’avait affirmé le média en ligne malien nordsudjournal.com.
Le porte-parole a toutefois précisé qu’à la demande du gouvernement burkinabè, la force française Barkhane était intervenue à deux reprises, en septembre, dans cette zone. Des interventions qui ont été confirmées par l’État-major des armées français.
Malgré les dénégations officielles, la nouvelle de l’implantation d’une base militaire française à Djibo s’est répandue comme une traînée de poudre sur les réseaux sociaux, soulevant des débats passionnés. Dans leur grande majorité, les internautes expriment leur rejet de la présence de forces armées étrangères sur leur sol.
Pour de nombreux internautes burkinabè, l’incurie des autorités burkinabé a suscité beaucoup de méfiance dans la population qui craint que leur pays ne finisse par ressembler au Mali voisin où, en plus des militaires français de la force Barkhane, plus de 13.000 Casques bleus sont déployés.
Prévue pour le 12 octobre à Ouagadougou, à l’occasion de la quatrième édition des journées anti-impérialistes, une marche-meeting à l’appel des organisations de la société civile visant à protester contre la présence des forces armées étrangères au Burkina Faso n’a pas été autorisée.
Ce refus des autorités a été motivé, selon un communiqué officiel, par le fait que «cette manifestation est inopportune au regard du contexte sécuritaire actuel». Toutefois, selon les organisateurs dont le MBDHP, la grogne ne va pas s’arrêter là. La marche n’ayant pas été autorisée, le meeting, lui, aura bel et bien lieu à la Bourse du travail de Ouagadougou.