Déjà très complexe, la situation au Yémen a récemment connu de nouveaux rebondissements. Le 15 août, une délégation militaire saoudo-émiratie est arrivée dans la ville d’Aden, située dans le sud du pays. Selon des sources concordantes citées par l’AFP, le retrait des séparatistes du Conseil de transition du sud sera au cœur des discussions. La semaine dernière, ces derniers ont pris aux forces gouvernementales le contrôle du palais présidentiel d’Aden, du siège du gouvernement et d’autres positions militaires clés dans des combats qui ont fait 40 morts et 260 blessés en quatre jours, selon l'Onu. Le problème est que le Conseil de transition du sud (STC), qui œuvre pour un Yémen du sud indépendant comme avant la réunification de 1990, est soutenu par les Émirats arabes unis (EAU), eux-mêmes alliés de l’Arabie saoudite dans leur combat contre les rebelles Houthis qui contrôlent le nord du pays. Riyad est elle-même alliée avec le gouvernement dit légitime du Yémen et avec son Président, Abdrabbo Mansour Hadi, lequel réside dans le royaume saoudien.
#instantané Des séparatistes yéménites brandissent le drapeau de l'ancienne République démocratique populaire du Yémen, aujourd'hui à Aden #AFP pic.twitter.com/Xr9r9ywXQv
— Agence France-Presse (@afpfr) August 15, 2019
Le 12 août, le roi saoudien Salmane et l'homme fort des Émirats, le prince héritier d'Abou Dhabi Mohammed ben Zayed al-Nahyane, se sont rencontrés. Abou Dhabi a par la suite diffusé un communiqué assurant que l’Émirat le plus puissant des EAU et l’Arabie saoudite étaient d’accord pour appeler les parties en conflit à Aden au «dialogue». De son côté, l’Arabie saoudite a proposé la tenue d’une réunion à Aden. Le gouvernement dit légitime du Président Hadi exige lui le retrait des séparatistes avant d’entamer les pourparlers. Le STC n’a rien évoqué de tel même s’il se dit prêt à discuter et assure partager avec la coalition menée par Riyad le désir de continuer à se battre contre les Houthis et de «lutter contre l'expansionnisme iranien dans la région».
Mais la situation semble difficile à résoudre sur le court terme. Le 15 août, des milliers de Yéménites favorables au STC ont défilé dans les rues d’Aden, drapeaux de l’ancien Yémen du sud à la main. Ils scandaient notamment «Révolution, Révolution», ou le «STC est notre dirigeant». Sputnik France a demandé au politologue franco-syrien et spécialiste de la région Bassam Tahhan de nous livrer son analyse sur les événements en cours. Entretien.
Sputnik France: Arabie saoudite et Émirats arabes unis sont censés être alliés dans leur guerre contre les Houthis. Que se passe-t-il au Yémen entre Riyad et Abou Dhabi?
Bassam Tahhan: «La situation au Yémen est explosive. L’alliance arabe s’est déchirée. Les intérêts des Émirats ne sont pas ceux de l’Arabie saoudite. Les Émirats arabes unis soutiennent le Conseil de transition du sud. Ce dernier revendique une autonomie totale du Yémen du sud. Les Émiratis convoitent le Yémen du sud et œuvrent pour un éclatement du pays. Ils désirent revenir à la situation d’avant 1990 et la réunification. La prise du palais présidentiel d’Aden, qui est le symbole de la légitimité du Yémen unifié et dont le Président réside à Riyad, est un coup terrible porté au gouvernement soutenu par l’Arabie saoudite. Le ministre de l’Intérieur du gouvernement yéménite dit légitime a d’ailleurs lancé qu’ils avaient été «égorgés» par les Émiratis sans que l’Arabie saoudite ne souffle mot. On ne sait d’ailleurs pas si les Saoudiens avaient été mis au courant des opérations militaires du Conseil de transition du sud à Aden.»
Sputnik France: Pourquoi les Émirats arabes unis œuvrent-ils pour une partition du Yémen?
Bassam Tahhan: «Les Émirats arabes unis sont très intéressés par le sud du Yémen sur le plan économique. Ils convoitent notamment les îles dans des buts de gestion de ports et autres voies maritimes dans la région.»
Sputnik France: L’Arabie saoudite apparaît comme la grande perdante des événements…
Bassam Tahhan: «C’est le cas. Évidemment après le peuple yéménite qui souffre terriblement depuis des années. Je rappelle que des millions d’enfants sont victimes de famine et autres maladies. Riyad va se retrouver à devoir gérer la situation dans le sud tout en continuant un affrontement avec la partie nord, celle contrôlée par les Houthis et leurs alliés chiites, Iran en tête. Il faut savoir qu’en commençant cette guerre, l’Arabie saoudite a de facto réouvert d’anciens dossiers concernant des provinces, jadis yéménites, qu’elle a annexé dans les années 30. Les Houthis pourraient très bien vouloir les récupérer. La situation actuelle est très dangereuse pour Riyad.»
Sputnik France: L’Iran tire également son épingle du jeu…
Bassam Tahhan: «Le revirement politique des Émirats arabes unis est fort. Récemment, un haut responsable émirati s’est rendu à Téhéran, ennemi suprême de Riyad. Le but était clairement de tenter d’améliorer les relations avec l’Iran. J’insiste bien sur la crainte qu’ont les Émirats arabes unis de voir les Houthis les attaquer avec des missiles ou des drones comme ils ont pu le faire contre l’Arabie saoudite. Vous imaginez si Dubaï ou Abou Dhabi étaient les cibles de missiles ou d’avions sans pilote? De plus, dès le départ, certains Émirats qui composent cet État n’étaient pas d’accord pour prendre part à ce conflit.»
Sputnik France: Quid des groupes islamistes présents au Yémen? Comment se comportent-ils?
Bassam Tahhan: «Plusieurs groupes islamistes se sont rangés soit du côté du gouvernement dit légitime soit du côté des Houthis, voire du Conseil de transition du sud. Le Yémen est en guerre et les combattants de ces groupes doivent manger et mettent leurs armes aux services de ceux qui les paient.»
Sputnik France: Et maintenant, vers quoi se dirige-t-on au Yémen?
Bassam Tahhan: «Les Émirats ont clairement mis une raclée aux forces dites légitimes. Mais cela ne veut pas dire qu’ils peuvent déjà crier victoire. Un ministre yéménite soutenu par Riyad a d’ailleurs déclaré que le Conseil de transition du sud avait gagné une bataille mais pas la guerre. Il me semble que la délégation militaire saoudo-émiratie présente à Aden ne va pas régler grand-chose. Au contraire, la situation va davantage se compliquer. Qui nous dit que les Houthis ne vont pas en profiter et se battre davantage vers le sud? Et au final, cela sera encore le peuple yéménite qui sera le grand perdant des événements. Il y avait beaucoup de corruption à l’époque du Président Saleh mais le Yémen se portait beaucoup mieux.»