C’est une vidéo qui aurait pu constituer une secousse secondaire après le séisme du double attentat terroriste du 27 juin 2019. Le lieu du tournage n’est pas révélé, mais on y voit clairement des djihadistes tunisiens, armés et cagoulés. Leur identité n’est révélée qu’au moyen de pseudonymes agencés un peu à l’ancienne: «Abou Omar al-Tounsi» ou encore «Abou Khaled al-Tounsi». Sur la vidéo, ils renouvellent leur allégeance à Daech* et à son chef historique, Abou Bakr Al-Baghdadi, en promettant de sévir contre le pays, à travers de nouvelles attaques.
Le séisme initial de l’attentat du 27 juin 2019, qualifié de fiasco par les autorités tunisiennes, n’a ébranlé qu’à moitié la population. La vidéo, en revanche, n’a pas provoqué le retentissement escompté par ses auteurs. La presse internationale s’en est fait l’écho, celle nationale un peu moins. Et puis, ce fut à peu près tout.
À l’avenue Bourguiba, les cafés sont ouverts et la vie a repris son cours le plus normalement du monde, notait dans son édition du 27 juin 2019 le journal tunisien Echourouk. L’attentat «raté» a fait, néanmoins, un mort parmi les forces de l’ordre et également une victime civile une semaine plus tard.
«Tout ce qui circule sur internet est passé au crible par nos services. C’est le cas pour des contenus ayant trait à des infractions de droit commun. C’est encore plus le cas concernant le terrorisme» a commenté laconiquement pour Sputnik, le porte-parole du ministère tunisien de l’Intérieur, Khaled Hayouni.
«Une piqûre de rappel»
Dans la foulée du double attentat revendiqué par Daech*, les autorités tunisiennes ont procédé, rien que dans la nuit du 27 au 28 juin, à quelques 493 descentes policières. Quelques 25 personnes ont été arrêtées pour leurs liens présumés avec une organisation terroriste, l’exercice d’une activité prohibée ou l’apologie du terrorisme, précise une communication du ministère de l’Intérieur. Moins d’une semaine après ce double attentat, qui s’est soldé par la mort des deux terroristes, un troisième djihadiste s’est fait exploser, sans faire de victime, alors qu’il subissait l’assaut des forces de sécurité.
Une rumeur, démentie officiellement, expliquait la longue chasse à l’homme par le fait que le suspect s’était soustrait à la vigilance des forces de sécurité en portant un niqab. Quoiqu’il en soit, deux jours après, le gouvernement émettait une interdiction de porter le niqab dans toutes les administrations publiques.
Pour Fakhri Louati, chercheur consultant en prévention de radicalisation violente interviewé par Sputnik, la résurgence des menaces terroristes est liée à ce contexte particulier fait d’attentats ratés et de mesures sécuritaires renforcées, notamment celle de l’interdiction du niqab dans les établissements publics.
«Cette vidéo est liée à deux éléments: Le fait, d’abord, que les attentats simultanés n’ont pas été un véritable succès; Et donc, ils estiment qu’il faut rappeler aux Tunisiens que les attentats ont eu lieu et que l’ombre de la terreur est toujours là. Le deuxième élément qui explique cette vidéo, c’est que les terroristes se doivent de prendre une position après l’interdiction du Niqab, ne serait-ce que par rapport à leurs fidèles ou sympathisants. Cela va de leur survie et de la continuité du recrutement», analyse Fakhri Louati pour Sputnik.
À défaut d’action, un peu de communication.
Faut-il attendre, néanmoins, que les djihadistes joignent la parole aux actes et que la Tunisie connaisse une rafale d’attentats meurtriers et particulièrement ravageurs? Rien n’est moins sûr, à en croire les autorités tunisiennes qui rejettent tout alarmisme.
«C’est un truisme que d’affirmer qu’aucun pays au monde ne peut prétendre être à 100% à l’abri du terrorisme. Il n’en demeure pas moins qu’en Tunisie, la situation sécuritaire est aujourd’hui stable, comme tout le monde peut s’en apercevoir et le constater», minimise Khaled Hayouni, porte-parole du ministère tunisien de l’Intérieur.
Pour Fakhri Louati, ce serait justement «l’absence de marge de manœuvre sur le terrain qui pousse les djihadistes à adopter une stratégie différente, basée sur la communication», plutôt que sur l’action. L’effet surprise étant un élément primordial dans la stratégie terroriste (ou contre-terroriste), les djihadistes y ont volontairement renoncé en se rabattant sur une stratégie de communication. Celle-ci peut s’avérer, néanmoins, néfaste puisqu’elle participe de l’instauration d’une «atmosphère malsaine» propice aux recrutements sur la toile.
«L’ombre de la terreur, que les djihadistes entendent faire perdurer, aboutit à un discours populiste dans les tribunes médiatiques, numériques et politiques, qui contribue à accentuer cet antagonisme entre “eux” et “nous”, tout en renforçant leur “branding” [image de marque]. Or, non seulement cet antagonisme est leur raison d’être, mais en plus, un “branding” plus fort leur offrirait davantage d’espace pour recruter virtuellement. Bref, les terroristes sont dans une logique de faire fructifier les attentats ratés, avant d’en planifier d’autres», poursuit l’analyste tunisien.
Le tout, sur fond d’ambiance préélectorale dont l’issue est imprévisible: la montée du vote alternatif révélé par les derniers sondages montre qu'une frange non négligeable de la population aspire à changer "le système". Celui-ci basé sur de «faux» antagonismes, des étiquettes identitaires ou partisanes cristallisent la mobilisation au détriment des vrais programmes politiques, au demeurant peu détaillés. Autant dire que, là aussi, chacun y va de son propre branding…
*Organisation terroriste interdite en Russie