Jérôme Massip, secrétaire général du syndicat pénitentiaire des surveillants est abasourdi. La prison de Condé-sur-Sarthe, l’une des plus sécurisées de France, a été le théâtre d’une prise d’otage dans la soirée du 11 juin. L’auteur, Francis Dorffer, était loin d’en être à son coup d’essai quand il a, durant plusieurs heures, menacé à l’aide d’armes artisanales deux surveillants pénitentiaires, dont une jeune stagiaire, avant de les libérer et de se rendre. Il s’agissait ni plus ni moins de la sixième prise d’otages commise par ce détenu extrêmement dangereux. Incarcéré depuis l’âge de 16 ans et libérable en 2060, l’homme âgé de 35 ans a notamment assassiné son compagnon de cellule en 2003.
Curieux job carcéral
Classé «DPS» pour «détenu particulièrement signalé», Francis Dorffer bénéficiait pourtant d’un travail en tant qu’«auxiliaire d’étage», ce qui lui permettait notamment de distribuer des repas et de procéder à du nettoyage. De plus, plusieurs surveillants disent avoir alerté les autorités d’un prochain passage à l’acte du dangereux détenu, comme l’a expliqué à l’AFP Frédéric Eko, membre du SNEPAP-FSU (Syndicat National de l’Ensemble des Personnels de l’Administration Pénitentiaire):
«Nous demandons plus d’écoute, car nous savions que ce détenu allait passer à l’acte, il avait changé de comportement et nous avions fait remonter l’information.»
Ce dernier assure que l’administration pénitentiaire a permis à Francis Dorffer de faire un travail d’auxiliaire afin d’«acheter la paix sociale».
Chose notable : Francis Dorffer était auxiliaire au service général. Un statut donné aux "détenus de confiance". Il avait donc accès à plus de zones de la prison que les détenus classiques. Pourtant, ce multirécidiviste a été condamné pour viol, vol, assassinat. #CondéSurSarthe
— Etienne Jacob (@JacobEtienne) 11 juin 2019
Ce 12 juin, «l’équipe de jour du personnel de la prison a refusé de relayer l’équipe de nuit», selon nos confrères du Parisien, qui ajoutent qu’une «cinquantaine de surveillants n’ont pas pris leur service» et ont manifesté devant l’établissement de Condé-sur-Sarthe. Une colère partagée par Jérôme Massip, qui demande des comptes aux autorités. Il s’est confié au micro de Sputnik France.
Sputnik France: Francis Dorffer était classé auxiliaire, donc habilité à aider à servir les repas ou à faire du nettoyage. Comment un détenu multirécidiviste aussi dangereux pouvait-il bénéficier d’un tel traitement?
Jérôme Massip: «C’est la question que l’on se pose et nous l’avons d’ailleurs posée par voie de communiqué national. Nous savons que nous ne sommes pas à l’abri d’être pris en otage. Mais nous souhaitons savoir qui a pris la responsabilité de placer aux corvées cet individu dont on connaît l’extrême dangerosité. Qui a pris cette irresponsabilité devrais-je dire… D’habitude, ce sont des détenus “de confiance” ou prêts à être réinsérés qui sont choisis comme auxiliaires d’étage, jamais le genre de profil à la Francis Dorffer! Nous sommes sur le cul de voir que ce détenu était auxiliaire depuis plusieurs mois! Qui a fait ça et pourquoi? Nous voulons des réponses au même titre que l’on nous demanderait des comptes en cas de manquement à nos missions. La vie de nos collègues a clairement été mise en danger.»
Sputnik France: Vos collègues demandent plus d’écoute et assurent qu’ils avaient prévenu l’Administration sur le prochain passage à l’acte de Francis Dorffer, dont le comportement avait récemment changé, selon eux. La communication est-elle rompue avec la base?
Jérôme Massip: «Oui, comme d’habitude! Souvent, avec ce genre d’incidents gravissimes, on se rend compte que des signalements avaient été donnés par le personnel et que ces derniers n’ont pas été suivis d’effet. L’administration pénitentiaire ne prend en compte les remarques des surveillants. C’est une fois de plus et une fois de trop.»
Sputnik France: Cette prise d’otage à la prison de Condé-sur-Sarthe intervient trois mois après l’attaque terroriste du 5 mars, qui avait eu lieu dans ce même établissement. Que demandez-vous pour éviter que de tels drames se reproduisent dans une prison censée accueillir certains des détenus les plus dangereux du pays?
Jérôme Massip: «Suite à l’attaque terroriste du 5 mars, un mouvement national des personnels pénitentiaires avait pris place. Il avait abouti à des accords avec l’administration pénitentiaire. Un point visait notamment à expérimenter le pistolet à impulsion électrique dans certains établissements pilotes, dont la prison de Condé-sur-Sarthe. Le modèle sélectionné était équipé d’une sécurité qui désactivait l’arme en cas de vol par un détenu. Aucune expérimentation n’a pour le moment été faite. Nous attendons toujours. L’administration piétine et continue de nous envoyer dans la cage aux lions avec pour seule arme un sifflet à la bouche.»