Dans un film où le déroulement d'images est polyphonique, où des dialogues parallèles coulent en consonance, où les césures sont rares dans des dialogues hachés qui se chevauchent, une pause musicale vient dans le tissu narratif comme une respiration salvatrice… sans en devenir ni un contrepoint ni un contraste.
«Ce sont des moments de rétrospection, de recul, dans cette façon de faire que je trouve comme post-moderne, confirme le compositeur. Les dialogues du film sont à l'image de la génération de Xavier Dolan: on téléphone, on consomme, on passe d'un truc à un autre, on est dans notre bulle, ça passe très vite.»
Ce n'est donc pas une question de générations… mais une question de deux tempos, deux rythmes de la vie moderne. Enserrés dans l'agitation et les contraintes, on cherche à fuir le déroulement saccadé de l'actualité, on cherche une pause, on essaye de suspendre nos problèmes le temps d'une respiration et plonger dans un lac révélateur de notre moi interne. La musique de Jean-Michel Blais nous y guide.
«Dans la musique de "Matthias et Maxime", il y a beaucoup de "moi" et beaucoup de "pas moi", raconte Jean-Michel Blais. Xavier a une vision très claire du travail, il sait où il va et il nous utilise abondamment. Et nous, on s'y prête avec un grand de plaisir.»
Et le plus important,
«Il y a eu avec Xavier une amitié musicale, ce rapport extrêmement touchant, raconte Jean-Michel Blais. Je pense que Xavier avait une telle envie de retour chez lui, avec ses amis, à Montréal qu'il m'a choisi, bien que je n'ai jamais fait de musique de film, j'ai été amené dans la "gamme".»
«Musicalement, c'est assez effervescent, on prend une note et tout évolue là-dessus comme un champagne, raconte le compositeur. Mais c'est la première fois quand dans tout le cafouillis que l'on vit, où grâce à la musique du piano aussi, on voit le personnage se retrouver face à lui-même, grâce à de vraies questions existentielles: "qui suis-je", "est-ce que je vis la vie que je devrais vivre". Le piano tout de suite s'adresse au cœur, avec sa simplicité.»
Cet exercice de bande-son d'un film a au début été très difficile pour un compositeur ayant fait ses armes dans l'improvisation inspirée. Il nous avoue d'être «un peu comme Xavier, très perfectionniste», avec son besoin viscéral de tout contrôler: image, son, mixage. «Je suis super chiant», confesse le compositeur, en s'étonnant du résultat:
«Et du coup, cette tendance au perfectionnisme m'a donné confiance. Bien qu'au début, ce n'était pas "ça", certains passages musicaux prenaient trop de place, nous raconte Jean-Michel Blais. Il y a ce rapport-là qui est préexistant à l'écoute des pièces musicales. Ça marche dans nos vies et ça marche également dans le film.»
«Je me mets au service, je fais ce que Xavier me demande, raconte Jean-Michel Blais. Lui, il sait comment le piano va jouer en contrepoint avec d'autres pièces plus pop. Lui, il sait la durée, l'équilibre avec l'image. Mais j'ai l'impression qu'on a cherché ensemble. La majorité de la musique que l'on entend dans le film, ce sont des impros.»
Certaines improvisations sont même issues du film lui-même, où, pour la dernière pièce musicale du film- «L'appel»- Xavier Dolan faisait jouer la musique sur le plateau du tournage; la musique était tellement forte vers la fin, qu'il voulait revenir à la version de départ. Seul hic, il s'agissait d'improvisation…
«Je lui ai dit: "je ne peux pas tout refaire, l'improvisation est faite, il faut la reconnaître avec ses imperfections", nous raconte le jeune compositeur. Parfois, ce n'est pas une interprétation des mieux maîtrisée, le rythme bouge un peu, c'est "organique". On m'a dit que ça allait de pair également avec la prise d'images, où le cadre n'était pas toujours parfait, il y a des flous. C'est la vie.»
«Je suis prêt à refaire un autre film. N'importe quand!» s'exclame Jean-Michel Blais qui affirme avoir adoré travailler avec Xavier Dolan, soulignant «que cela a été très efficace aussi».
Cette première expérience ouvre au compositeur des perspectives nouvelles. Il tire de cette expérience la compréhension intime qu'une bande sonore du film, tout en restant «de la musique à l'image» et «un peu subordonnée», peut trouver son indépendance:
«Je suis un artiste indépendant, je donne des concerts, le film ce n'est qu'une corde à mon arc. Chaque projet est unique. Il faut savoir reconnaître ce qui est nécessaire pour chaque film. Et Xavier sait ce qu'il veut. Il dit: "voici le cadre dans lequel tu peux t'amuser".»
Et brusquement, notre conversation sort, par on ne sait pas quel miracle, du sillon tout tracé de l'interview de promotion et dévie sur la Russie. «Je suis un grand amoureux de la Russie!» s'exclame Jean-Michel Blais, et on découvre des traces de grands classiques russes dans «Matthias et Maxime» de Xavier Dolan.
«J'ai envie que ma musique fasse grandir, affirme le compositeur québécois. Beaucoup de films fonctionnent avec des "trucs" de base. Mais je me plais dans la transcendance, il y a de la virtuosité. Dans la première pièce —"Le lac"- il y a du concerto de Rachmaninov. C'est un challenge.»
Pour mieux comprendre la musique de Jean-Michel Blais, de celles qui ne restent pas à l'extérieur, qui rentrent en vous et vous fait plonger dans son univers, pour comprendre son amour pour la Russie, il faudrait écouter «Rose», dans son dernier album «Dans ma main», où «à la toute fin, il y a un "sampling" [un échantillonnage, nldr] du deuxième mouvement du deuxième concerto de Rachmaninov», comme l'explique le compositeur, qui a suivi dans cette composition «le plus grand des postromantiques» qu'il adore.
Et le compositeur entrouvre la porte de sa cuisine artistique: «En jouant, je me suis rendu compte qu'on dirait du Rachmaninov et j'ai décidé, au lieu de le cacher et de donner l'impression que je l'ai composé, de se dire "je l'assume"! Là, il y a des violons qui repartent par-dessus mon piano, et l'espace de quelques secondes, on est dans un concerto, avec un orchestre. Ce que j'aime, c'est que ce mouvement de Rachmaninov a été repris dans le morceau "All by Myself", chanté par Céline Dion, une québécoise aussi. Il y a donc ce rapport entre la pop, Céline et le classique.»
Le don inné du compositeur d'une broderie sonore, qui est de savoir mixer les styles de musiques, les styles de vie, a trouvé sa place également dans la musique du film:
«Chez Xavier, il y a un mélange-fusion entre les classes sociales —les pauvres, les riches- dans le même film. J'aime beaucoup ce rapport et c'est avec cette pièce que Xavier est venu nous voir, en voulant la mettre dans le film. On l'a retiré à un moment donné et on a mis "Le lac", car il a dit "je veux une musique originale".»
… pour le plus grand bonheur du spectateur.
«Matthias & Maxime» de Xavier Dolan, dont Jean-Michel Blais a composé la bande originale, a été soutenu la Sacem, qui met en valeur la Musique de Film lors du Festival de Cannes.