«Tous nos chefs d'entreprises […] voient avec inquiétude la montée des populismes, et ce qui va de pair avec une menace sur le multilatéralisme et la capacité à échanger.»
Lors du lancement de la campagne «Merci l'Europe» le 5 février, le président du MEDEF, Geoffroy Roux de Bézieux, a désigné le «populisme» et les velléités protectionnistes comme les principaux dangers qui pèsent sur la croissance. Afin d'y résister, son mouvement a décidé de faire de la pédagogie. Comme son nom l'indique, la campagne «Merci l'Europe» aura pour but de vanter les mérites de l'Union pour les entreprises françaises. Le tout en incitant à voter pro-européen pour faire barrage aux souverainistes.
Le patronat français opère pourtant un certain virage. Devant le protectionnisme économique affiché récemment par les États-Unis ou la Chine, Geoffroy Roux de Bézieux a appelé l'Union européenne à se défendre:
«On ne souhaite pas être ceux qui stimulent cette guerre commerciale, mais il faut qu'on soit dans un système de réciprocité équilibrée.»
Pour Florian Philippot, président des Patriotes, il s'agit d'un bon sens dont aurait dû faire preuve depuis longtemps le patronat. Totalement en désaccord avec les objectifs de cette campagne, il fustige au contraire une Union européenne qui favoriserait les grands groupes au détriment des petites entreprises. Dans un entretien avec Sputnik France, il réaffirme qu'il faudrait sortir de l'UE et de l'euro le plus vite possible.
Sputnik France: Les entreprises françaises doivent-elles dire merci à l'Europe, comme l'affirme le MEDEF?
Florian Philippot: «ça dépend de quelles entreprises nous parlons. L'immense majorité ne peut pas remercier l'Union européenne. Elle est pour elles un facteur de concurrence déloyale et de sous-croissance. Bruxelles a une politique qui déprime la croissance en son sein. C'est moins de carnets de commande et moins de clients pour les entreprises. C'est aussi moins d'exportations. Depuis que l'on a mis en place l'euro, la France est passée de 6% de parts de marché dans le monde à moins de 3%. Le travail détaché fait également très mal dans beaucoup de secteurs et fausse la concurrence. Je pense au BTP et à l'agriculture. Pour l'immense majorité des entreprises françaises, qui sont des petites et moyennes entreprises voire des très petites ou des artisans, l'Union européenne est une catastrophe. En revanche, il est vrai que les grosses entreprises profitent de l'UE, car elle facilite l'évasion fiscale et elles bénéficient de la concurrence déloyale. Elles peuvent délocaliser et ainsi augmenter profits et dividendes pour les actionnaires.»
Sputnik France: Les arguments avancés sont notamment ceux d'une nécessaire union contre les géants chinois et américains. Le refus par la Commission européenne de la fusion Alstom-Siemens au motif que cela aurait créé un monopole sur des segments entiers du marché ferroviaire européen a été pointé du doigt par le patronat français. Que répondez-vous à ceux qui disent que nous avons besoin de l'Union européenne afin de nous battre pour des parts de marché au niveau mondial?
Florian Philippot: «Ce sont des gens dont la vision passéiste date des années 50. C'est "big is beautiful". Ils n'ont rien compris à la mondialisation. Ce que l'on attend aujourd'hui d'un pays, c'est qu'il soit agile, intelligent et innovant. Vous avez des nations comme la Suisse, la Corée du Sud ou le Canada qui s'en sortent très bien, alors que ces économies sont plus petites que celle de la France, au contraire de la grosse Union européenne qui va mal. Je ne crois pas du tout à ce mythe de "plus on est gros mieux en s'en sort". D'ailleurs, qu'est-ce que cela veut dire, "entreprise européenne"? Si les emplois et les centres de décision sont en Allemagne, cela peut être européen sans bénéficier aux Français. Il n'y a pas d'intérêt général européen, il n'y a pas de peuple européen. Il y a forcément un pays qui bénéficie de ce type d'opération au détriment d'un autre. En l'occurrence, concernant la fusion entre Alstom et Siemens, c'est l'Allemagne qui était gagnante.»
Sputnik France: Le cas d'Alstom est selon vous emblématique…
Florian Philippot: «Cette histoire est d'une hypocrisie incroyable. Il y avait un groupe important qui s'appelait Alstom avec une branche transport et une branche énergie. Ils ont commencé par dépecer cette entreprise en revendant la branche énergie à l'américain General Electric. Une fois Alstom amoindri, nos dirigeants nous expliquent que le groupe est trop faible et qu'il faut fusionner avec l'allemand Siemens. C'est incroyable. Je suis pour une fois ravi de la décision de la Commission européenne. De manière très cynique, mais je prends le résultat.»
Sputnik France: Vous êtes un défenseur du protectionnisme. Or, il semble que le patronat français, mais pas que, opère un virage sur ce point. La Fédération allemande de l'industrie (BDI) a publié le 10 janvier un rapport demandant à Berlin, mais aussi à Bruxelles de durcir la politique européenne face à la Chine. Cela va-t-il dans le bon sens selon vous?
Florian Philippot: «Je ne peux que m'en réjouir. Il serait bien qu'après tant d'années, un peu de lucidité revienne chez le grand patronat. Nous sommes habitués à ce qu'il évolue dans ses petits rêves de libre-échange généralisé, où moins de frontières égal bonheur. Non. C'est le bonheur pour quelques-uns et le malheur pour le plus grand nombre. J'espère qu'avant qu'il soit trop tard, avant que l'on n'ait plus du tout d'industrie en France, il y aura une prise de conscience similaire à celle qu'a eue le peuple. Quand le grand patronat aura compris qu'il faut une forme de protectionnisme qui est impossible avec l'Union européenne, ils s'apercevront qu'il faut le Frexit.»
Sputnik France: Vous militez pour la sortie de l'euro. Pourtant le MEDEF le défend parlant d'«une monnaie unique forte et stable» qui bénéficie aux entreprises françaises…
Florian Philippot: «Le MEDEF, c'est le summum de la ringardise. Ils défendent des causes vieilles de 20 ans. Aujourd'hui, de nombreux économistes sérieux vous disent que l'euro est un échec. Et beaucoup affirment qu'il faut en sortir tout de suite. Les dirigeants du MEDEF sont des idéologues et pas des gens qui ont les mains dans le cambouis. Les petits entrepreneurs qui sont pénalisés par cette monnaie beaucoup trop forte pour notre économie savent que l'euro est une mauvaise chose. Des entreprises n'arrivent plus à exporter. Nous voyons l'Allemagne nous prendre des parts de marché tous les jours dans certains secteurs, car pour eux l'euro est sous-évalué alors qu'il est surévalué pour nous. Pour toutes ces raisons, je suis pour sortir de l'euro et de l'Union européenne.»
#MercilEurope | Stéphane Bidamant @Stephanefdj président du Medef Finistère (@UEF29): "Grâce à l'#Europe, nous avons un port de #Brest qui a su se développer et qui va continuer à se développer dans les années à venir" 🇪🇺
— MEDEF (@medef) 14 février 2019
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Sputnik France: Le MEDEF veut inciter les Français à voter pro-européen pour lutter contre les «populistes», un terme qui colle parfois aux souverainistes. Des souverainistes qui en France —contrairement à l'Italie- sont très divisés, avec de nombreuses listes, auxquelles s'ajoutent dorénavant des listes de Gilets jaunes. Tout cela bénéficie aux défenseurs de l'UE. Que préconisez-vous pour sortir de cette situation et mener votre camp à la victoire?
Florian Philippot: «J'appelle tous ceux qui se disent souverainistes à faire leur examen de conscience et à cesser de raconter des carabistouilles, car c'est un facteur d'affaiblissement. Il faut une ligne claire et une ligne dure. C'est le Frexit. Tous ceux qui disent qu'ils veulent modifier l'Europe, qui veulent l'Europe sociale, qui protège ou que sais-je, ne sont pas souverainistes.
La question est aujourd'hui claire: restons-nous dans l'UE avec Macron et le MEDEF ou en sortons-nous? Je pense que les souverainistes seront d'autant plus forts et unis quand ils seront clairs sur leur position et leur doctrine. On ne peut pas faire les choses à l'envers. L'union n'est pas possible si les gens ne sont pas d'accord. Aujourd'hui, il n'y a qu'un choix à faire: le Frexit ou l'UE.»