8 décembre: «Nous avons eu la pression pour multiplier les gardes à vue»

© AFP 2024 JEAN-PHILIPPE KSIAZEKUne manifestation des Gilets jaunes à Lyon (8 décembre 2018)
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Alors que les Gilets jaunes ont défilé à travers le pays le 8 décembre pour le quatrième acte de leur mouvement, les forces de l’ordre ont procédé à près de 2.000 interpellations. Nombre d’entre elles l’ont été en amont des mobilisations. Plusieurs protestataires crient au viol de leurs droits. Sputnik fait le point.

1.939 interpellations, 1.709 gardes à vue à travers le pays, dont un millier dans la capitale. Des chiffres record pour la journée de tous les risques. Le 8 décembre marquait un nouveau jour de rassemblement national pour les Gilets jaunes de France. Une semaine après les violences qui ont ravagé certains quartiers de Paris, le gouvernement a sorti l'artillerie lourde. Au total, ce ne sont pas moins de 120.000 policiers, gendarmes et sapeurs-pompiers qui ont été mobilisés à travers le pays. Si plusieurs villes de province comme Bordeaux ou Toulouse ont été les théâtres d'émeutes et de violences, la situation à Paris était plus contrastée. Les images de guérilla urbaine étaient moins impressionnantes que celles prises le 1er décembre… au contraire des dégâts, d'après la mairie.«Il y aura beaucoup plus de dégâts suite à la journée d'hier qu'il y a une semaine», déclarait le 9 décembre Emmanuel Grégoire, 1er adjoint de la maire PS Anne Hidalgo.

Des arrestations préventives?

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Pourtant, dès les aurores, les forces de l'ordre ont multiplié les arrestations. Souvent avant même que les manifestants aient eu une chance d'atteindre la zone du rassemblement. Comme le relate Le Parisien, les gendarmes et policiers étaient présents dès 7 h 00 du matin, le 8 décembre au péage de Buchelay, dans les Yvelines. Ils passaient au peigne fin de nombreuses voitures venant de province et qui se rendaient à Paris.

«Entre 7 heures et 9 h 30, on a saisi des centaines de masques à gaz. On a aussi récupéré des boulons, des barres de fer, des bouteilles d'acide chlorhydrique et de l'aluminium dont les gens avaient l'intention de faire des bombes artisanales.» explique au quotidien de la capitale le capitaine Maignan, commandant du groupement de gendarmerie de Mantes-la-Jolie.

​Alors, justifié le dispositif? Pour Michel Thooris, secrétaire général du syndicat France Police —Policiers en colère, c'est plus compliqué. Il a livré son analyse à Sputnik France:

«Notre organisation syndicale tient à souligner l'extrême difficulté qu'ont rencontrée nos collègues officiers de police judiciaire dans le cadre de la mission qui leur a été confiée le 8 décembre. Ils sont soumis à deux autorités. La première est l'autorité administrative qui peut être exercée par le commissaire, le préfet ou le ministère de l'Intérieur. Or cette autorité a fait pression sur nos collègues afin qu'il y ait un maximum d'interpellations suivies de gardes à vue. La seconde autorité est judiciaire, en l'occurrence le procureur de la République. On ne met pas les gens en garde à vue n'importe comment. Il faut que la situation le justifie. Il se trouve que beaucoup des motifs d'interpellation donnés le 8 décembre étaient légers. Raison pour laquelle de nombreux individus s'en sont sortis avec un simple rappel à la loi.»

Ce sont ces interpellations pour des motifs jugés bien peu suffisants par certains observateurs et gardés à vue qui posent problème. Le Parisien relate le témoignage d'Éric*, un mécanicien de 45 ans qui a passé 14 heures en garde à vue avec sa femme et son fils sans avoir eu la possibilité de manifester. Il venait de se garer dans le VIIIe arrondissement de Paris quand les gendarmes ont entrepris de fouiller son véhicule.

«Nous n'avions rien de compromettant sur nous. Ils ont exigé que nous ouvrions notre coffre de voiture. À l'intérieur, il y avait trois masques de peintre encore dans leur emballage, et des lunettes de protection. On les avait laissés dans la voiture, car durant le trajet, on avait appris par la radio que c'était interdit», explique-t-il au Parisien.

Avant de poursuivre: «Les gendarmes nous ont parlé d'armes de première catégorie et nous ont placés en garde à vue pour participation à un attroupement en vue de commettre un délit ou un crime.»

​Nicole Belloubet, ministre de la Justice, refuse d'entendre parler «d'interpellations préventives» pour la journée du 8 décembre, un terme qui «n'est pas justifié» selon la Garde des Sceaux. Michel Thooris tient un discours… différent:

«Notre organisation avait demandé des interpellations préventives du moment où nous avions les éléments nécessaires afin d'être à peu près certains que les individus allaient se livrer à des violences. En revanche, un certain nombre de personnes ont été arrêtées pour simplement avoir été en possession de masques. La difficulté pour nos collègues était de répondre à la très forte demande de notre autorité administrative pour multiplier les arrestations quitte à composer avec un cadre légal et juridique contestable.»

Me Avi Bitton, avocat d'Éric et de sa famille, s'en est ému dans les colonnes du Parisien: «Je ne vais pas crier à la dictature, mais il y a une dérive autoritaire du gouvernement. Dès 8 heures du matin, avant même que la manifestation ne démarre, des interpellations arbitraires ont eu lieu en marge. Le gouvernement voulait dissuader les Gilets jaunes d'aller manifester, les chiffres des gardes à vue ont immédiatement été donnés. C'était une opération de communication. Le résultat c'est que 70% des gardes à vue se terminent sans poursuite. La justice est prise en otage. Les gardes à vue préventives, ça n'existe pas dans le Code pénal.»

«Nous ne pouvons pas accepter les arrestations préventives», a de son côté déclaré à 20 Minutes l'avocat et ancien président de la Ligue des droits de l'homme Henri Leclerc. «Il faut prouver que celui qui est arrêté sait que le groupe qu'il va rejoindre est violent avant même qu'il ne l'ait rejoint. C'est assez compliqué à prouver en somme. Je ne serais pas surpris que la plupart des procès pour cela aboutissent à des relaxes», a-t-il ajouté.

Au matin du 9 décembre, le parquet de Paris précisait que 396 gardes à vue avaient été levées dont 284 procédures classées. «Je rappelle qu'une réforme de la garde à vue a eu lieu il y a quelques années. Aujourd'hui, ce type de mesure doit être utilisé avec beaucoup de parcimonie. Cela doit être l'exception, car c'est très attentatoire au niveau des libertés individuelles. Très clairement, on constate que l'application de cette réforme et la vision de l'autorité administrative en termes de libertés publiques et notamment son approche des mesures de garde à vue sont très subjectives et peuvent rapidement différer en fonction des circonstances. Or elles devraient être assurées de manière constante», souligne Michel Thooris. Avant de poursuivre:

«Pour notre organisation, il est impératif de prendre des mesures qui permettent le maintien de l'ordre. Nous sommes en revanche très attentifs aux libertés individuelles et collectives: la liberté de circulation, la liberté de manifester. Nous n'acceptons pas que nos collègues officiers de police judiciaire puissent voir leur jugement et leur appréciation dans leur mission remis en cause par l'autorité administrative. Il est inadmissible et intolérable dans un État de droit que l'autorité administrative mette la pression sur nos collègues. Nous sommes clairement inquiets.»

 

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