Douala, c'est bien la ville de tous les extrêmes. Un labyrinthe urbain qui capte au quotidien un exode des populations venues de diverses contrées.
La ville étouffesous le poids de plus de 3 millions d'habitants, installés anarchiquement pour la plupart, et de ces milliers de motos-taxis, moyen de déplacement par excellence,dûà undéficit criant de voirie urbaineadaptée.
À l'entrée de la ville,même la gigantesque arène de béton et d'acier en cours de construction, en prélude à la coupe d'Afrique que le pays envisage d'organiser, a du mal à redonner un peu d'allure à ce décor lugubre. Ce mardi 16 octobre, plus d'une semaine après l'élection présidentielle et alors que le débat a étéhouleux lors de l'audience portant sur l'examen des recours post-électoraux devant le Conseil constitutionnel, le principal sujet de conversation dans les rues de la ville porte sur l'attente de la proclamation des résultats.
«Une chose est sûre, Paul Biya va gagner. Mais personne ne peut savoir ce qui va se passer, les populations de Douala sont imprévisibles»,
Sans attendre la proclamation des résultats, Jean Michel Nintcheu, député du principal parti de l'opposition SDF(Social Democratic Front) et bien connu à Douala, entend déjà organiser une marche, le 21 octobre prochain.L'objet de cette manifestation sera la dénonciation des «fraudes massives et honteuses» qui ont émaillé le scrutin du dimanche 7 octobre 2018. Une manifestation tout de suite interdite par les autorités.
«C'est toujours comme ça que ça commence. Je me rappelle des émeutes de la fin de 2008. Ça avait commencé comme rien et c'est devenu ingérable», nous confie Ernest Atya, étudiant à l'université de Douala.
Une inquiétude somme toute justifiée au regard de la tension perceptible dans les discours diffuséspar les réseaux sociaux. Pourtant, Hervé Emmanuel Nkom, l'un des porte-parole dans la ville de Douala durant cette présidentiellede Paul Biya,Président sortant,relativise.
«Quand Jean-Michel Nintcheu, qui n'a pour seule profession que d'organiser les manifestations, fait une demande pour contester les résultats d'une élection pas encore publiée, on appelle ça une erreur de raisonnement. Vous ne pouvez pas contester ce qui n'existe pas.»
Hervé Emmanuel Kom, militant du parti au pouvoir. Il condamne l'attitude des opposants qui appellent à la manifestation
L'homme politique est tout de même conscient du caractère particulier de cette ville réputée pour son ADNde ville frondeuse:
«Il y a des gens qui pensent que Douala est une cour de récréation et un laboratoire d'essai de ce qui n'a pas marché ailleurs. Je pense qu'il ne faut pas exagérer. Ce qui s'est passé dans les années 1992 ne se reproduira pas.»
Hervé Emmanuel Nkom parle de la spécificité de la ville de Douala.
La ville porte encore les stigmates des années de braise. Les troubles postélectoraux avaient fait de nombreuses victimes en 1992 après la victoire volée àl'opposition. Cette révolte a donné à Douala une réputation de chaudron de la contestation. Anicet Ekane, habitant de Douala et un des acteurs de cette époque chaude, analyse les contextes.
«Ça n'a rien avoir avec ce qui s'est passé en 1992.En 1992, le pays bruissait après l'élection parce qu'il yavait une perspective réelle de victoire. Quand nous allions aux élections, nous étions convaincus, parcequ'il yavait une coalition forte autour du mouvement que conduisait John Fru Ndi (opposant historique de Paul Biya). Après l'élection, la tension était vive parce qu'on attendait une victoire certaine. Aujourd'hui ce qui est particulier c'est qu'il y a une radicalisation du discours ethno-tribaliste. Ça crée une situation particulière et les gens se regardent en chiens de faïence.»
Pourtant, à Douala comme dans les autres villes du pays, les discours d'apaisement se font entendre. Les autorités multiplient les sorties pour dire non aux éventuelles violences. Le président du Mouvement africain pour la nouvelle indépendance et la démocratie met ceci sur le compte de la fébrilité du système:
«Le moindre bruissement leur fait peur. Les dirigeants sont fébriles par rapport à cette radicalisation et cette ambiance postélectorale qui a commencé par l'autoproclamation de Maurice Kamto. Ils multiplient les canaux par lesquels il [tentent de, ndlr] désolidariser les populations par rapport aux appels à la contestation. Mais il n'y aura rien du tout à cause de cette fragmentation de l'opposition en blocs ethniques.»
La situation sociopolitique au Cameroun inquiète tout de même. Dans une note publiée sur son site la semaine dernière, les États-Unis, par la voix d'un porte-parole du Département d'État,«réaffirment leur neutralité concernant le droit des Camerounais à choisir leur chef et les invitent à faire preuve de patience et éviter les discours de haine».
Avec le bras de fer qui s'annonce entre le Président sortant, Paul Biya, 85 ans dont 36 au pouvoir, et l'opposant Maurice Kamto, qui revendique la victoire, l'élection présidentielle de dimanche au Cameroun ouvre une brèche pour une nouvelle crise, dans ce pays déjà déchiré par deux crises régionales,notamment la guerre séparatiste dans sa zone anglophone et celle contre Boko Haram dans sa partie septentrionale.