En 2012, le Président russe nouvellement élu Vladimir Poutine et son prédécesseur à ce poste, Dmitri Medvedev, se sont rendus après le défilé du 1er Mai célébrer la Fête du Travail dans un pub moscovite. Les deux leaders politiques ont arrêté leur choix sur la bière non filtrée Jigoulevskoïe. Produite aujourd’hui dans des dizaines de brasseries, en Russie et dans plusieurs Républiques anciennement soviétiques, cette bière était en URSS la plus populaire.
Mais son histoire a commencé bien avant, sous l’Empire russe. En effet, c’est en 1880 que l’Autrichien Alfred von Vacano a fondé une brasserie près de la ville de Samara, près des monts Jigouli. On ignore quelle aventure l’avait conduit en Russie, mais on sait en revanche qu’il avait appris les bases de ce métier en Allemagne et dans des régions qui font aujourd’hui partie de la République tchèque.
Et voilà qu’en 1881 le premier lot de la bière qui recevra plus tard le nom Jigoulevskoïe et sera repris dans des films, des livres et des chansons soviétiques, a été produit. Elle s’appelait alors «Viennoise» en l’honneur de la partie de l’entrepreneur.
Son savoir-faire lui a permis de produire une boisson de qualité – et il faut avouer que la nature de la région de Samara n’y était pas pour rien– et de s’implanter confortablement sur le marché. Dès 1914, son entreprise, qui s’était développée au point de posséder plusieurs brasseries, produisait déjà 3,5 millions de tonneaux de bière par an et était troisième sur la liste des plus grands brasseurs de l’Empire. Ses entrepôts se trouvaient dans 59 villes du pays et la bière «Viennoise», décorée de 15 médailles lors d’expositions internationales, s’exportait aussi bien en Europe qu’en Perse.
Mais les nuages n’ont pas tardé à s’accumuler sur l’entreprise: la Première Guerre mondiale et l’adoption de la loi de prohibition lui avaient porté un premier coup. Son fondateur a ensuite été accusé d’espionnage, ce qui l’a contraint à fuir le pays.
Nationalisée par les Bolcheviks, l’usine de Samara a continué à fonctionner pour commencer une nouvelle étape de son histoire dès 1922, lorsque les fils d’Alfred von Vacano ont réussi à obtenir le bail de cette brasserie, qui avait jadis appartenu à leur famille, pour y relancer la production.
La bière «Viennoise» coulait de nouveau à flot jusqu’à ce qu’Anastase Mikoyan, à l’époque membre du Politburo de l’URSS, ne visite l’usine et, prétend-on, n’exprime son indignation du fait qu’une boisson destinée au prolétariat porte un nom « bourgeois ». C’est ainsi qu’au bout de près d’un demi-siècle d’histoire, la bière a été rebaptisée «Jigoulevskoïe». A l’époque soviétique, la boisson jouissait d’une popularité énorme et était produite dans 735 brasseries, nombre pourtant insuffisant pour satisfaire la demande.
Cette bière et l’usine de Samara ont survécu aussi à la chute de l’Union soviétique, aux tumultueuses années 1990 et à l’arrivée sur le marché russe d’une multitude de boissons importées. Aujourd’hui, elle reste une boisson populaire, même auprès des dirigeants!
L'abus d'alcool est dangereux pour la santé.