Depuis 2011, le photographe autodidacte François Prost, passé notamment par la Fabrica (Italie), sillonne les routes de France et de Belgique à la recherche de discothèques. Le photographe réalise un inventaire schématique de ces endroits, objets de tous les fantasmes, où la jeunesse ressent son premier frisson de liberté. Baptisée «After Party», cette série photo récompensée par le prix Fidal Youth Photography Award en 2016 rend hommage à ces lieux nocturnes tout en les démythifiant. Et pour cause, François Prost les photographie… en plein jour.
Sputnik: comment est née cette idée de prendre des discothèques en photo durant la journée?
François Prost: Lors d'un voyage à vélo en province, je me suis retrouvé à devoir attendre un ami sur un parking de discothèque. J'ai décidé de prendre cet endroit en photo, un peu par hasard mais également parce qu'il m'avait fasciné de manière assez naïve. Il y avait encore des bris de glace au sol, on pouvait deviner qu'il y avait eu une fête la veille. Le fait d'être en tenue de sport et d'avoir 30 ans à l'époque, je me sentais en total décalage avec l'endroit. L'autre aspect fascinant du lieu, c'est qu'il était dépourvu de sa fonction initiale: la fête.
Quelques années plus tard, je suis retombé sur ce cliché et je me suis dit que c'était un sujet intéressant qui méritait d'être développé, car lorsque l'on analyse ces discothèques la journée, ce sont finalement des lieux assez quelconques.
On sent transparaître une forme de nostalgie dans cette série photo, quel rapport entretenez-vous avec les boîtes de nuit?
François Prost: Comme tout le monde, je suis sorti en discothèque. J'ai trouvé le sujet universel et révélateur. Finalement, on se construit en tant qu'adulte dans ces lieux, même si c'est souvent un peu moqué, il n'empêche que c'est l'endroit où on a ses premières sensations de liberté en tant qu'adolescent. Il y a tout un fantasme autour des discothèques, on a l'impression qu'il y a quelque chose de très subversif et qu'il s'y passe plein de trucs un peu fou. En prenant du recul, on se demande: «est-ce que j'ai vraiment besoin d'aller m'enfermer entre 4 murs, payer des consommations assez cher dans des lieux qui ne font pas forcément tant rêver que cela?» C'est étrange, car cela peut sembler être une critique mais faire cette sorte d'énumération des discothèques en France, c'est une forme d'hommage à ces lieux qui sont aussi remplis de charme d'une certaine manière.
Les discothèques que vous avez prises en photo se situent toutes en banlieue ou en zone péri-urbaine, pourquoi ce choix?
François Prost: J'ai commencé à faire ça à Paris, je me suis vite rendu compte que ce n'était pas très intéressant, car trop chargé. Etant donné que je souhaitais faire un inventaire, hyper schématique, quelque chose d'assez simple, en définitive. Je me suis donc concentré sur les endroits où les images me plaisaient. L'idée de base n'était pas que de montrer des lieux de province ou un peu perdus. Après, il est vrai que cela s'y prête bien. Plus les lieux sont reculés et esthétiquement marqués, plus photographiquement ils sont intéressants.
Quelle photo de la série «After Party» vous plaît le plus ou quelle est celle qui a une signification particulière pour vous?
François Prost: C'est celle de la «Fiesta Club Privée». Je la trouve réussie, car les éléments qu'elle montre sont assez folkloriques, il y a des palmiers en plastique, il y a tout un univers féérique et onirique qui est fascinant. On se demande si c'est un vrai lieu ou si c'est un décor. Le spectateur de cette photo est projeté vers quelque chose de presque surnaturel, c'est ce que j'aime bien.
Il y a également une photo que j'ai réalisée récemment qui s'appelle «La Nuit», dans l'Aveyron. Je trouve que c'est un lieu assez parlant de par son architecture et son accessoirisation.
Dans ces deux images, ce que je trouve marrant c'est que l'on ne sait plus trop si on est en France. En effet, de nombreuses personnes, en regardant ces photos, ont l'impression qu'elles ont été prises aux États-Unis.
C'est intéressant, car cela dit aussi quelque chose sur le paysage français. La France est connue pour son côté traditionnel: le petit village, le clocher d'église ou encore la mairie avec son drapeau tricolore. Néanmoins, depuis 50 ans, la France, c'est également beaucoup de zones industrielles, de zones péri-urbaines et de préfabriqués.
Quand on voyage un peu en France, on se rend compte que tous ces endroits représentent une grande partie du territoire. Ces lieux s'inscrivent bien dans cette zone un peu floue entre la ville et la campagne. Tout le monde trouve ça moche mais c'est une réalité et il y en a beaucoup. Cela soulève également une question en filigrane: que va-t-il advenir de ces territoires dans 50 ou 100 ans?
François Prost expose son travail chez Superette, dans le Xème arrondissement de Paris jusqu'au 16 novembre 2018.