Dès les premières images, on plonge dans un univers à tel point reconnaissable que l'on a envie de se cacher de cette réalité, éloignée de nous de plusieurs dizaines d'années, mais qui nous rattrape encore et encore… Un convoi, tiré par une locomotive, arrive dans un nuage de vapeur à une gare misérable, en pleine nature. Grisaille automnale, grisaille d'habits, grisaille des visages… Mélancolie, résignation, crainte, peur, indifférence. Et cette image cinématographique d'un chemin de fer qui se termine en impasse traduit la vérité du moment: leur vie en impasse.
Seule couleur vive: le rouge primaire des bannières verticales nazies sur la façade.
On a entendu des centaines des fois cette question: pourquoi? Pourquoi ces milliers de gens, entassés dans des wagons pendant des jours entiers, ne sont-ils pas lucides sur le fait que le fil de leur destin se brise là, dès qu'ils descendent du train? Pourquoi croient-ils toujours aux propos mensongers des hommes en uniforme nazi, affirmant qu'«il ne s'agit que d'une station provisoire»? Pourquoi ne se jettent-ils pas sur les gardes, dans un dernier élan de désespoir? Pourquoi ne pas tenter cette dernière chance?
Oui, il y a eu des révoltes dans les camps d'extermination. Mais elles ont toujours été réprimées dans le sang, la cruauté et la torture. Et il a eu l'insurrection de Sobibor, ce camp d'extermination, presque à la frontière entre la Pologne et l'Ukraine. Ce camp où presque 250.000 Juifs ont été tués en seulement un an et demi d'existence, à compter de mars 1942. Ce camp où seulement un petit nombre de prisonniers ont été épargnés pour quelque temps, leur vie suspendue à un fil et aux corvées. Ce camp où presque tous les nouveaux arrivants ont été exterminés dans l'heure.
C'est cet univers sans pitié et sans compassion, l'immonde machine nazie, qui a écrasé des milliers des destins, que découvre le lieutenant de l'Armée rouge prisonnier Alexander «Sacha» Petcherski, fin septembre 1943. Il découvre également qu'un noyau de révolte existe déjà au sein du camp. Comme le décrit dans ses mémoires Petcherski lui-même, l'idée d'organiser une évasion lui est venue dès sa toute première nuit à Sobibor. Le groupe de conspirateurs était des prisonniers survivants d'un autre camp, avec qui Sacha avait passé huit mois et à qui il faisait confiance.
La personnalité forte et décidée de Sacha a séduit l'acteur Constantin Khabenski, qui est également le réalisateur du film. Et «Sobibor» est plus qu'un film. C'est une percée. C'est le premier grand film sur l'Holocauste en Russie. Une grosse production et un travail remarquable du chef opérateur. «Constantin Khabensky n'a pas encore beaucoup d'expérience dans la réalisation, mais il a fait preuve de courage, ayant décidé sans aucun compromis de se pencher sur cet abîme du mal, qu'il n'a pas d'explication exhaustive», a écrit Andrey Plakhov dans le journal «Kommersant».
Ne cherchez pas de similitude exacte entre la réalité historique du camp de Sobibor et l'action du film. Il s'agit d'une fiction, mais d'une fiction qui reflète une vérité historique: un homme, un seul homme, avec sa volonté et son esprit de décision, peut renverser la situation même la plus désespérée. Cet homme, c'était Alexander Petcherski.
Mais à quel point le personnage créé par Khabenski correspond-il à la réalité du caractère et de la personnalité du protagoniste?
«Constantin Khabenski est tombé juste dans l'interprétation de son personnage», déclarent d'une seule voix la fille et la petite fille du leader de l'insurrection de Sobibor.
Le plan de l'évasion et de l'insurrection était audacieux: il fallait éliminer les officiers allemands un par un, et rapidement, en une heure, afin qu'ils n'aient pas de temps de donner l'alerte. «On doit s'évader tous. Tuez les officiers dans les ateliers, où nous les appellerons sous divers prétextes», décrit Petcherski.
Le soulèvement a commencé le 14 octobre à environ 14 h 40 heure locale. Douze gardiens allemands [onze suivant certaines sources, ndlr] ont étés tués et une foule de plusieurs centaines de prisonniers a foncé vers la sortie… sans être certains de leur survie. Cent cinquante ont péri pendant la course, en se faisant sauter sur-le-champ de mines. Cent cinquante évadés ont étés dénoncés par les populations locales. Seule une cinquantaine a survécu jusqu'à la fin de la guerre.
Sobibor est un cas unique d'évasion réussie d'un camp d'extermination. Une réussite au goût amer, puisque tous ceux qui sont restés ont été exterminés. Mais Alexander Petcherski a été ce grain de sable qui a cassé les rouages de la machine bien huilée d'extermination des Juifs par les nazis. Ce fut une cuisante défaite du système: après avoir liquidé la révolte, les SS ont dissimulé toute trace du camp en plantant de nombreux arbres sur son site et en y construisant une ferme d'aspect anodin.
Une réussite au goût amer aussi, puisqu'Alexander Petcherski a également passé par toutes les étapes quasi-obligatoires d'un destin de prisonnier militaire soviétique: contrôle de véracité de son parcours lors de la captivité, envoi dans un régiment spécial de «chtrafbat», un bataillon disciplinaire, persécutions d'après-guerre en URSS dirigées contre les populations juives soupçonnées de «double jeu» avec l'étranger…
Désormais, le nom de Sacha a été donné à plusieurs rues à travers le monde, une fondation à son nom a été créée dans sa ville de Rostov-sur-le-Don, et maintenant, ce film, «Sobibor». Ce film que le spectateur français pourrait voir dès novembre prochain en vidéo, distribué par WildSide.
Sobibor — camp d'extermination, était situé près du village de Sobibor, dans le district de Lublin. Il a été établi en mars 1942, dans le cadre de l'opération Reinhard, et a cessé d'exister à la fin de 1943 après le soulèvement des prisonniers. Les Juifs les plus forts physiquement qui sont venus à Sobibor ont été envoyés dans des équipes de travail. Leurs fonctions consistaient à garder le camp, à accueillir de nouveaux prisonniers, à brûler des corps et à manipuler les affaires des défunts. Dans ces équipes, il y avait environ 1.000 prisonniers. Les premières victimes des chambres à gaz de Sobibor furent 25 Juifs de Krycev, près de Lublin, où les chambres à gaz furent testées à la mi-avril 1942. La première extermination de masse des Juifs à Sobibor a eu lieu le 1er mai 1942. Les victimes du camp étaient des Juifs des villes de Lublin, de Lviv et de Galicie, et plus tard dans d'autres régions de Pologne occupée. De nombreux Juifs d'Allemagne, de France, des Pays-Bas, de Tchécoslovaquie et de certaines régions de l'URSS ont également été tués dans le camp. Selon diverses estimations, entre 200 et 250 mille personnes ont été tué à Sobibor.