Matignon s'inquiète de «la faiblesse» du secteur de l'Intelligence Economique (IE) en France depuis ces quinze dernières années. Dans un article du 22 mai, la lettre d'information confidentielle quotidienne La Lettre A se fait l'écho d'une décision à ce propos du Secrétariat Général de La Défense et de La Sécurité Nationale (SGDSN), «qui assiste le Premier ministre Edouard Philippe en matière de sécurité et défense». Le SGDSN préconiserait ainsi de s'en remettre à la promotion Clemenceau de l'ENA pour mettre un terme à «l'éparpillement des moyens alloués à l'intelligence économique».
«C'est une bonne initiative», estime Christian Harbulot, directeur de l'École de guerre économique, qui a rencontré deux de ces élèves: «Ils ne peuvent qu'avoir un regard neuf, ils ne sont pas encore rentrés dans un système en ayant pris les habitudes de ce système.»
Leur mission: établir un rapport destiné à analyser 15 ans de faiblesse dans ce secteur. «Quand on parle de faiblesse, on parle des gros dossiers qui ont défrayé la chronique, comme Alstom et General Electric», explique Marc German, spécialiste en intelligence compétitive et en cyberdéfense.
«Constater qu'il y a des faiblesses, c'est une bonne chose. Ce qui est plus problématique, c'est qu'on fait appel à un corps qui a produit des responsables politiques et économiques qui ont failli, notamment dans ces domaines», déplore-t-il.
«Quand on analyse les tenants et les aboutissants de ses affaires, ce n'est pas du ressort de l'ENA, mais du ressort de la DSGI», analyse Marc German, avant de pointer du doigt les vrais responsables selon lui:
«Il y a des décisions politiques, ou des absences de décisions politiques, qui sont de véritables crimes économiques. Et aujourd'hui, aucun arsenal législatif ne permet de sanctionner ce genre ce comportement.»
«L'organisation de l'État est marquée par une instabilité qui nuit profondément à l'efficacité de son action. En effet, les changements fréquents de responsables s'accompagnent systématiquement d'une modification du rattachement de la structure chargée de la sécurité économique», pointe le SGDSN, peut-on lire dans La Lettre A. S'ajoute à cela «l'accroissement des risques de déstabilisation étrangères» et «le manque d'efficacité des réponses».
«La Haute administration, depuis des décennies, évolue dans un cadre précis qui est celui de l'ENA […] Ça me paraît impossible de ne pas tenir compte de cette réalité, qu'on soit pour ou contre. […] Ce n'est pas si mal que ce soit à l'intérieur du système qu'on pose un certain nombre de questions», poursuit M. Harbulot, estimant que l'initiative arrive à point nommé.
«On a à combler beaucoup de lacunes […]», poursuit-il. Pendant des années, «de nombreux observateurs ont tourné le dos à la réalité, c'est-à-dire l'affrontement économique». L'évolution du monde et «la posture de Donald Trump obligent un pays comme la France à revoir sa copie.»
L'État est bien décidé à réformer les instances de 1ER. En avril dernier, le député LREM de Chartres, Guillaume Kasbarian, avait remis un rapport recensant une liste de dix commandements, dont l'objectif est «de garantir le développement et la préservation des fleurons industriels nationaux».
Le rapport «ne sera surement pas rendu public», mais il aura le mérite de créer «suffisamment d'écho interne pour voir si l'éléphant a accouché d'une souris ou si, enfin, de petites réformes commencent à voir le jour et aller dans le bon sens», poursuit M. Harbulot.
Le ministre de l'Économie et des Finances, Bruno Le Maire, avait déclaré en avril, lors de la remise du rapport: «Nous travaillons sur une réorganisation en profondeur de l'outil de l'IE, qui doit être évidemment placé sous l'autorité du Président de la République et qui doit reposer sur des instruments plus efficaces où chacun prend ses responsabilités.»
Espérons que cette mise sous tutelle élyséenne de l'IE ne sera pas le seul résultat des cogitations gouvernementales autour de cet outil stratégique.