Sous les claviers, la surveillance… Longtemps vus comme des entreprises créatives et innovantes, les géants du Web que sont Google, Apple, Facebook, Amazon ou encore Microsoft, sont ces derniers mois sous le feu des critiques. Non seulement on reproche aux GAFA d'accumuler sans complexe les données personnelles de leurs utilisateurs, avec à la clé des scandales comme l'affaire Cambridge Analytica, mais les États cherchent par ailleurs à faire quelque chose contre le manque à gagner considérable que créent leurs stratégies d'évasion fiscale. Est-il possible de réguler ces colosses américains de l'économie dématérialisée?
Jacques Sapir reçoit Manon Laporte, avocate fiscaliste et conseillère régionale Île-de-France (LR), qui a récemment signé une tribune en faveur de la taxation des GAFA, et Benjamin Masse-Stamberger, journaliste économique et membre du collectif Les Orwelliens.
Selon Benjamin Masse-Stamberger, «il y a eu une prise de conscience récente, à l'occasion de l'élection de Donald Trump, mais le problème n'est en fait pas nouveau. Nos élites, qui auparavant trouvaient que tout cela était très bien, se sont mises à se dire que les GAFA pouvaient avoir des conséquences politiques qui n'étaient pas forcément celles auxquelles elles s'attendaient, par exemple via des communautés pro-Trump sur Facebook. Ça a remis en question un certain discours irénique, comme celui du mot d'ordre de Google "Don't be evil". Pourtant, on connaissait depuis longtemps les dangers, on avait les témoignages de nombreux lanceurs d'alerte qui nous expliquaient que ces grandes entreprises savaient tout sur nous et que "si c'est gratuit, c'est vous le produit".»
Jacques Sapir rappelle que cet impact politique des GAFA est assez ancien: «Barack Obama avait déjà largement utilisé les réseaux sociaux et les données dans sa campagne de 2008, où il avait réussi à accumuler des connaissances individuelles sur les électeurs potentiels, qui lui avaient permis de cibler certaines catégories d'électeurs.»
Pour adapter la fiscalité à cette économie dématérialisée qui fuit facilement l'impôt, Manon Laporte plaide pour une action à l'échelle transnationale: «L'objectif doit être européen, il faut harmoniser nos manières d'imposer les GAFA et créer des taxes spécifiques, par exemple une taxe au clic. Les masses de données ne sont pas taxables en France, donc le législateur français doit réfléchir à une taxation qui soit adaptée à la fiscalité du XXIe siècle. Mais on risque toujours d'être bloqués par l'obligation d'avoir l'unanimité de tous les États membres de l'UE.»