«En menant la bataille de Bizerte, Bourguiba était convaincu que son sort ne posait pas un grand problème. Dans un an ou deux, Bizerte finirait par être évacuée. Son but réel était les frontières du Sud: il voulait éviter d'en faire un problème tuniso-algérien. Il comptait donc exercer une pression populaire sur la France pour qu'elle accepte de négocier ce point avant son départ d'Algérie», raconte Hédi Baccouche dans ses mémoires, «En toute franchise» (Sud Editions, avril 2018)
«Les frontières du Su», ou toute la problématique de la borne 233. Aux fins d'agrandir le périmètre de l'Algérie française, les autorités coloniales avaient effectué un nouveau traçage frontalier, privant la Tunisie d'un prolongement naturel au Sahara. Pour Bourguiba, à mesure que les péripéties de la guerre d'Algérie annonçaient l'échéance inéluctable de l'Indépendance, obtenir la rétrocession de cette zone du Sud devenait «un objectif plus urgent qui ne pouvait pas attendre». D'autant plus que Bourguiba était convaincu que «les Algériens, même s'ils lui avaient consenti quelques vagues promesses, ne cèderaient jamais une partie du territoire qu'ils allaient hériter de la France et pour lequel ils avaient consenti des sacrifices énormes.»
«Si chance il y a pour rectifier les frontières du sud, il fallait la tenter avec la France, immédiatement, avant la proclamation de l'indépendance, même s'il (Bourguiba, ndlr) devait entrer en conflit armé avec elle. (…) A la veille de la guerre de Bizerte, Hassib Ben Ammar, chargé de la Jeunesse du Néo-Destour (parti nationaliste tunisien, ndlr), posait à Taïeb Mehiri, Ministre de l'Intérieur, la question de l'opportunité de cette guerre (de Bizerte, ndlr). Ce dernier lui répond: Une guerre avec la France, c'est préférable à une guerre avec l'Algérie», précise Hédi Baccouche dans son livre.
Dans le même temps, les Tunisiens s'engageaient dans la bataille de Bizerte et celle de la borne 233. Si la première a déclenché un processus politique qui aboutit à l'évacuation de la ville du Nord, le 15 octobre 1963, la borne 233, elle, est toutefois restée française, avant d'être remise à l'Algérie. «Bourguiba n'a pas arrêté de la revendiquer mais l'Algérie, attachée au principe du respect des frontières léguées par les puissances coloniales, refuse de satisfaire cette revendication», rappelle Hédi Baccouche.
Personnage ayant marqué tous les tournants délicats de l'histoire récente de son pays, Hédi Baccouche a d'abord milité pour l'indépendance de la Tunisie. Il a ensuite occupé les plus hautes fonctions diplomatiques, administratives et politiques, connu plusieurs traversées du désert, mais non moins systématiquement rappelé aux affaires. Il est considéré comme le véritable cerveau du «changement» du 7 novembre 1987, un «coup d'Etat médical» qui déposera le leader Habib Bourguiba, «sénile, malade et influençable», pour porter à la tête de l'Etat Zine El Abidine Ben Ali. Et à la chute de celui-ci, le 14 janvier 2011, on retrouvera le même Hédi Baccouche dans les coulisses de la Kasbah, siège de la présidence et du gouvernement intérimaires.