Monnaie digitale des banques centrales, un «pouvoir démesuré et arbitraire»?

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Avec la diminution de l’utilisation du cash, les banques centrales sont désormais tentées de créer leur propre crypto-monnaie. Si les avantages seraient nombreux, la Banque des Règlements Internationaux (BRI) a publié un rapport en amont du G20 afin de les mettre en garde sur les possibles écueils d’une telle révolution technologique.

Bientôt la fin du cash? Les banques centrales pourraient en effet arrêter à terme de faire fonctionner la planche à billet au profit de monnaies digitales. S'il ne s'agit pour le moment que d'hypothèses de travail, la Banque des règlements internationaux (BRI) prend en tout cas le sujet au sérieux: elle a d'ores et déjà mis en garde les banques centrales sur les possibles impacts d'une telle révolution dans un rapport publié en amont du G20 qui doit se tenir les 19 et 20 mars à Buenos Aires.

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Dans une société où le paiement en espèce à tendance à se raréfier, encouragé notamment par les moyens technologiques déployés par accélérer cette disparition, les restrictions en matière de possibilité de paiement (disparition du billet de 500€, différents plafonds de paiement pour les professionnels et particuliers…), ou tout simplement les coûts de création de la monnaie, la tentation pour les banques centrales de recourir aux monnaies numériques est forte. Si les banques centrales se lançaient effectivement dans les crypto-monnaie, quelles incidences pour les banques privées et pour les ménages?

Pour Maël Rolland, Doctorant à l'EHESS sur les espaces monétaires et leurs structurations institutionnelles, la possibilité pour une banque centrale d'émettre une monnaie virtuelle est avant tout stratégique. «Un certain nombre de grandes banques, grâce à ces nouvelles technologies, peuvent créer des chambres de règlement et de compensation en dehors des circuits traditionnels. Cela représenterait un risque pour la banque centrale de voir s'effriter son pouvoir de contrôle sur la masse monétaire, puisque cette masse monétaire, sur laquelle elle a le contrôle, ne sera pas le moyen de règlement ultime qu'utiliseront les banques [privées, ndlr] et de fait les acteurs économiques utilisant les moyens de paiement émis par ces entités bancaires.»

«Les banques centrales ont bien compris que sur les crypto-monnaies décentralisées distribuées, de type Bitcoin, elles n'ont pas vraiment le contrôle. Elles vont pouvoir contrôler uniquement les personnes qui les utilisent, mais pas le protocole lui-même. Le pouvoir ayant horreur du vide, elles se rendent bien compte qu'en développant des technologies qui ne seront pas similaires, mais qui peuvent en avoir les atouts, elles peuvent permettre de faire une forme de concurrence aux développements de ces technologies» explique le chercheur.

Vers une disparition des banques privées?

De fait, elles pourraient créer une concurrence aux dépôts bancaires. «On aurait quelque chose d'assez nouveau: les banques centrales émettent une monnaie qui est concurrente à celle de la monnaie bancaire privée, mais de meilleure qualité puisque le bilan des banques privées sera qualitativement moins bon que le bilan des banques centrales en termes de qualité des actifs.»

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Peut-on y voir la fin du système bancaire tel qu'on le connait? Selon Maël Rolland, «on rentrerait dans un monde nouveau. Aujourd'hui, seules les institutions financières et quelques très grandes entreprises nationales ou internationales ont accès à un compte en banque centrale, cela reste pour l'instant l'exception, ce n'est pas la règle. A partir du moment où une banque centrale créée sa propre monnaie numérique, elle pourra décider d'ouvrir son bilan aux autres acteurs, faisant directement concurrence aux dépôts bancaires. […] On n'aura plus besoin d'avoir un compte dans une banque [privée, ndlr]. On préfèrera d'ailleurs un compte en banque centrale, car le volume et la crédibilité de son bilan garantira une confiance plus grande des acteurs.» Néanmoins,

«Cela lui donnerait aussi un pouvoir important, puisque d'une certaine manière, elle va assécher les bilans des banques privées et donc se constituer comme une très grande banque de l'économie de la nation.»

En outre, si la banque centrale venait à prendre un poids considérable, «cela amènerait un système de banque étroite. On sortirait du phénomène des banques "Too big to fail". Ça pourrait être un gros avantage. C'est-à-dire qu'en cas de problème dans une banque [privée, ndlr] cela serait bien moins grave du fait de l'absence de dimension systémique. En effet, les encours de cette banque seront assez faibles comparativement aux encours totaux. On pourrait donc la laisser faire faillite, les actionnaires auraient à payer les pots cassés, ça ne serait plus à la collectivité de venir palier aux défaillances de certains, ce qui les inciteraient d'ailleurs à diminuer leur appétence pour les risques», analyse Maël Rolland.

Les ménages victimes de cette révolution technologique?

En fonction des scénarios et du design choisi, et au-delà de la mise en concurrence avec les banques privées concernant les dépôts bancaires, la création d'une monnaie numérique Banque centrale permettra également «de rendre plus performantes et plus traçables les opérations financières.»

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De plus, il deviendrait possible de payer des taux d'intérêt sur de telles monnaies. En cas de politique monétaire très expansive, elles pourraient donc pratiquer des taux d'intérêts négatifs, ce que font déjà certaines banques privées. Une action qui impacterait les ménages. En effet, si la population ne possède qu'un compte en banque centrale et que celle-ci applique ce type de taux, si la population n'a plus accès au cash, elle ne pourra plus se protéger de cette politique en thésaurisant. Elle serait dans l'obligation de payer ces taux d'intérêts négatifs.

Par ailleurs, la disparition du cash au profit de monnaie digitale est-elle réellement souhaitable? Rien n'est moins sûr. Quel avenir pour les particuliers qui ne disposeraient pas de compte en banque ou d'outils informatiques? Maël Rolland nous rappelle aussi que ce basculement technologique ne doit se faire uniquement que si l'on «accepte que cette crypto-monnaie soit totalement anonyme, comme c'est déjà le cas de nos monnaies divisionnaires et fiduciaires, parce que si l'on rentre dans un monde où on a des crypto-monnaies de type bitcoin totalement traçable et que c'est la banque centrale qui les valide, on lui donne un pouvoir complètement démesuré et arbitraire sur la vie économique du pays.»

«Dans une optique Orwellienne, on pourrait vraiment avoir des conduites terribles: on serait pistés du café que l'on boit le matin à n'importe quelle autre activité moins valorisée socialement […] Il faut aussi laisser à la population un moyen d'avoir des opérations sur lesquelles on n'a pas le regard, parce que l'on est peut-être en droit de se dire qu'on n'a pas besoin d'être surveillés tout le temps.»

Pourtant un autre écueil n'est pas à écarter.

«Maintenant, on imagine bien qu'un certain nombre d'États-nations pourrait se dire qu'ils peuvent profiter de cette technologie pour pouvoir pister tous les flux économiques donc dans ce cadre-là, ils remplaceraient le cash par une crypto-monnaie traçable: ni anonyme, ni confidentielle. Cela m'apparait très dangereux en termes de libertés individuelles», conclut Maël Rolland.

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