Élections russes, «les médias occidentaux ont choisi leur principal opposant»

© Sputnik . Ramil Sitdikov / Accéder à la base multimédiaÉlections russes
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«Alexeï Navalny, principal opposant en Russie»! Les médias occidentaux reprennent en boucle le titre qu’ils ont décerné au blogueur libéral anticorruption. Le mérite-t-il? Entre la bulle médiatique occidentale qui l’entoure et la réalité russe, ce premier volet de notre analyse des présidentielles russes se penche sur le phénomène Navalny.

Drame dans les rédactions parisiennes! Le blogue d'Alexeï Navalny aurait été bloqué il y a quelques jours par les autorités russes! Drame parce que la mesure touche, selon l'AFP, qui a relaté la nouvelle, «l'opposant numéro un au Kremlin». Et avec un unanimisme touchant, qui pourrait presque sembler étrange, aussi bien Le Monde, que Le Figaro, RTL, Le Parisien, ou encore La Croix sont d'accord pour couronner Alexeï Navalny prince des opposants à Vladimir Poutine, à la politique de son gouvernement, aux élites au pouvoir en Russie.

Les choses sont-elles pourtant si simples? Plutôt que de se lancer dans des spéculations que nos confrères ne manqueraient pas de qualifier de partiales, Sputnik a préféré demander à Jean-Robert Raviot, professeur de civilisation russe et soviétique à l'Université Paris Nanterre, son analyse des opposants à Vladimir Poutine. La première partie de notre entretien porte donc sur le célèbre Alexeï Navalny et nous reviendrons demain sur les candidats à la présidentielle russe.

Sputnik France: Alexeï Navalny est-il le principal opposant à la politique du gouvernement russe et au pouvoir de Vladimir Poutine?

Jean-Robert Raviot: «Non, je pense qu'il n'est pas le plus grand opposant. Je pense qu'il est l'un des opposants. Comme tous les opposants, on ne peut pas considérer un véritable opposant au sens classique du terme, mais plutôt une des voix qui se fait entendre contre certains aspects de la politique de Poutine.»


Sputnik France: Alexeï Navalny ne pourra être candidat lors des futures élections présidentielles. Pour autant, pensez-vous qu'un grand nombre de Russes aurait pu voter pour lui? Pour ce qu'il représente, pour son charisme, pour ses idées?

Jean-Robert Raviot: «Je pense qu'Alexeï Navalny- qui ne peut pas se présenter pour des raisons judiciaires et sa candidature qu'il a plusieurs fois annoncée ne pouvait pas être réalisée et cela il le savait depuis juin 2017- est l'un des opposants, pas du tout le principal. Il n'y a pas de principal opposant à Vladimir Poutine.

Alexeï Navalny s'est fait connaître comme blogueur anticorruption et qui dénonce un certain nombre de faits de corruption dans l'élite suprême de la Russie et notamment, il s'est fait connaître dans un ouvrage sur Dimitri Medvedev. Son discours, essentiellement concentré sur les questions de corruption, n'a pas une portée générale. Un opposant, dans un système démocratique libéral, est quelqu'un qui s'oppose globalement à la politique du pouvoir et qui donc, dans son programme ou dans son discours, a un volet économique, un volet politique étrangère, un volet politique intérieure, etc.
Alexeï Navalny se focalise essentiellement sur les questions de corruption. Ce qui est très mobilisateur d'un certain électorat et d'une certaine catégorie sociale, mais à mon sens il n'a pas une portée très profonde en Russie, tout du moins pas pour l'instant.

S'il avait été candidat, je pense qu'il aurait probablement dépassé la barre des 5%, mais je ne pense pas qu'il aurait excédé 10%.
Je ne pense pas, par exemple, qu'Alexeï Navalny aurait pu devancer le candidat porté par le parti communiste, Pavel Groudinine, qui arrivera probablement en numéro 2, le 18 mars.»

Sputnik France: Comment jugez-vous son appel à l'abstention? Pense-t-il vraiment que la population russe va considérer que le score de l'abstention est celui qu'aurait fait Navalny s'il avait été éligible?

Jean-Robert Raviot: «Bien sûr que non. Mais je pense qu'il a adopté une stratégie que je considère comme intelligente, puisqu'en appelant à boycotter les élections, il va se positionner pour capitaliser sur un éventuel différentiel de participation.

Rappelons qu'aux dernières élections, il y avait une participation de 65%, elle sera plus basse cette fois-ci. Et donc, en appelant à boycotter les élections, par anticipation, il capitalise sur la baisse de participation en disant "regardez, il y a eu 6 ou 10% de moins de participation, donc cela veut dire que ce sont autant de gens qui suivent mon appel à boycotter". Donc sur le plan de la communication politique, chapeau, c'est une très bonne opération.

Est-ce qu'il va convaincre les Russes? Non! Parce que je pense qu'Alexeï Navalny a une popularité, un crédit et une aura dans une certaine catégorie de la population, souvent jeune d'ailleurs et venue des grandes villes, mais pas sur l'ensemble du territoire.

Mais par contre, il va probablement, avec cette stratégie, capitaliser sur l'image qu'il s'est faite dans les médias occidentaux qui reprennent tous en boucle: "Alexeï Navalny est le principal opposant à Vladimir Poutine".

Si par exemple, on a 10% de participation de moins, il est clair que Navalny va faire une campagne de communication politique très active autour de cela. Cela va être repris et donc cela va, en quelque sorte, permettre aux médias occidentaux de présenter les résultats des élections sous un jour moins favorable à Poutine.

C'est une bonne stratégie de communication, mais je ne pense pas que les Russes soient très dupes.»


Sputnik France: Pourquoi, Alexeï Navalny est-il présenté par les médias occidentaux comme le principal opposant à Vladimir Poutine? Pourquoi lui plutôt qu'un autre?

Jean-Robert Raviot: «Tout d'abord parce que c'est un opposant qui se réclame des valeurs libérales et démocratiques, qui sont celles des gouvernements occidentaux. Donc il y a une espèce de proximité idéologique. En tout cas, on suppose qu'elle existe.
En réalité, Alexeï Navalny, certes se positionne comme un libéral démocrate, mais ses positions sont beaucoup plus complexes. C'est quelqu'un, qui par exemple sur le terrain de la question nationale en Russie, se positionne comme un nationaliste presque ethnique: à plusieurs reprises, il a eu un discours presque xénophobe —on se souvient de la campagne "ça suffit de nourrir le Caucase"- plutôt hostile à l'immigration ou à la migration intérieure venue du Caucase Nord. Donc déjà, c'est quelqu'un qui est faussement étiqueté comme libéral-démocrate! Son positionnement est beaucoup plus complexe que cela, mais les médias occidentaux aiment bien le noir et le blanc, donc Navalny est plutôt blanc parce qu'il se réclame des valeurs libérales-démocrates.

D'autre part, il attaque de manière directe l'entourage de Poutine avec des arguments anticorruptions et donc, il ne remet pas en cause, si vous voulez, le système, non pas Poutine, mais le système libéral occidental, contrairement à Groudinine qui, lui, appelle à sortir de l'OMC.
Alexeï Navalny a en réalité un discours politique très basique, je dirais presque très primitif, qui consiste à dénoncer la corruption des puissants. Après cela, il n'a pas d'autres discours. Donc c'est l'opposant presque à l'état pur.

Autre raison pour laquelle il plaît aux rédactions occidentales, c'est qu'il est jeune, c'est qu'il est beau, il a un certain look, une certaine allure, un certain discours, une certaine présentation de soi, qui en font un candidat moderne, branché, qui aime bien aussi se montrer dans les manifs avec sa femme, avec qui il forme un couple charmant et sympathique.

Donc, il y a aussi une question d'image: montrer Navalny à la télévision, c'est beaucoup plus intéressant et beaucoup plus parlant. On montre Navalny, puis on montre Poutine. Un Poutine un peu prisonnier de son image et de ses fonctions officielles, d'une autre génération, avec une espèce de raideur, etc. Puis un Navalny, décontracté dans les manifs, cela présente une opposition, non seulement d'hommes et de programme, qui n'existe en réalité pas, mais d'image et de style. Et, je pense, c'est la raison pour laquelle Navalny est aimé par tous ces preneurs d'images occidentaux qui veulent présenter une image alternative de la Russie. »

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