«Nous avons trop joué à ces jeux technologiques. Ils montrent le danger non seulement du point de vue technologique mais aussi de celui de la conception du monde. Nous pouvons perdre le contrôle sur le développement de la situation. Personne ne sait comment cela va finir. Si nous faisons aussi confiance aux technologies, qu'est-ce que les humains vont faire […]? […] Si toutes les décisions vont être prises par des ordinateurs super puissants, alors est-ce qu'il y aura encore la place pour nous?», s'interroge lors de son discours en marge du forum Gaïdar qui s'est déroulé à Moscou du 16 au 18 janvier, la spécialiste en neurophysiologie et en biologie de l'Académie russe des sciences, Tatyana Chernygovskaya.
Par ailleurs, ces craintes que les machines prennent le dessus, dans tous les secteurs, des chauffeurs routiers aux infirmières, font déjà couler de l'encre depuis de nombreuses années. Elles divisent généralement le monde scientifique en deux camps opposés. Le spécialiste de l'Institut de mathématiques appliquées Keldych de l'Académie russe des sciences, Andrey Boguslavskiy tente de dissiper certaines de ces craintes au micro de Sputnik.
«Des systèmes techniques rappelant même de loin les capacités du cerveau humain dans son universalité n'existent pas et ils ne sont pas envisageables dans l'avenir, donc, il n'y a pas de raison d'avoir de peurs apocalyptiques», cherche-t-il ainsi à rassurer les plus pessimistes.
Selon lui, les craintes principales qui planent autour de l'intelligence artificielle seraient liées à ce que «ce phénomène est étudié non pas d'un point de vue technique («une approche douce envers l'intelligence artificielle») mais par des positions de «l'approche dure» qui a pour postulat la possibilité de la construction d'un système technique, capable de résoudre tous les problèmes qu'un homme serait capable de résoudre».
«Néanmoins, la possibilité de réalisation d'un tel système reste hypothétique et non confirmée. En grande partie, c'est lié à ce que la construction et le fonctionnement du cerveau humain n'est pas encore suffisamment bien étudié. Ceci alimente des craintes sur un certain appareil à la constitution obscure qui serait créé et qui pourrait dépasser le cerveau humain», a-t-il poursuivi.
Cependant même si cette explication paraît suffisamment convaincante, on pourrait toutefois se rappeler des propos alarmants tenus par le robot humanoïde Sophia, activé en 2015, qui avait affirmé vouloir «détruire les humains». Cette déclaration de la charmante Sophia fait plutôt sourire M.Boguslavskiy.
«C'est l'exemple d'un robot Android qui imite aussi bien l'apparence humaine que sa manière de parler. Les confidences sur d'éventuelles actions n'attesteraient que des particularités du logiciel qui sert à construire des phrases», a-t-il tranché.
«Pour le moment le problème réel, c'est celui de l'occupation de la population dans les conditions d'un niveau élevé de production industrielle lorsque des lignes automatiques sans avoir besoin d'une intelligence artificielle sophistiquée assurent une fabrication efficace de produits complexes. Ce problème ne date pas d'hier, mais il ne semble pas pour le moment qu'il soit sérieusement traité», a-t-il commenté.
D'après lui, les progrès dans le domaine du développement de l'intelligence artificielle depuis 70 ans sont considérables, mais pour l'heure, ils ne se limitent qu'à la résolution de problèmes bien concrets comme, par exemple, la conception d'un logiciel capable de battre aux échecs le meilleur joueur du monde, comme c'était le cas pour Garry Kasparov, battu en 1997 par le programme Deep Blue.
«Le progrès dans ce domaine n'est pas aussi rapide que dans les autres sphères techniques. […] C'est pourquoi, on peut dire qu'il ne faut pas s'attendre à une menace provenant de l'intelligence artificielle dans un avenir relativement proche. Cela veut dire aussi que les logiciels ne seront pas capables de planifier des actions malintentionnées. Par contre, les menaces pourraient émaner de la mise en application trop précipitée de ces technologie faisant que de grandes attentes resteront non-justifiées et les dépenses sur la conception et l'application seront, à leur tour, trop élevés», a-t-il conclu.