"Je ne fais rien à part la mendicité et la drogue": plongée dans un fumoir d’Abidjan

© SputnikDes consommateurs de drogue avec les membres du Foyer du Bonheur
Des consommateurs de drogue avec les membres du Foyer du Bonheur - Sputnik Afrique, 1920, 07.11.2022
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Véritable fléau en Côte d’Ivoire, la consommation de drogue prend un tour angoissant, ruinant la vie et la santé des toxicomanes. Dans leur tentative d’éradiquer ce phénomène malsain, les autorités se sont mises à détruire les fumoirs, lieux typiquement ivoiriens où se retrouvent les divers consommateurs. Cette mesure a pourtant eu l’effet inverse.
À l’abri des regards, juste derrière une bâche à l’extrémité d’un mur dans une rue animée, sous un pont ou aux abords d’une voie de chemin de fer, ils se réunissent, encore et encore, pour s’adonner à cette habitude dangereuse. Baptisés fumoirs et typiques de la Côte d’Ivoire, ces endroits attirent, de jour comme de nuit, des milliers de consommateurs de cannabis, d’héroïne ou de crack. Il va sans dire qu'un tel mode de vie est lourd de conséquences.
Cette consommatrice de cocaïne et de chanvre indien le sait de première main, les substances psychotropes ayant "totalement" détruit sa vie. "Depuis 20 ans, je consomme de la drogue. C’est une connaissance qui m’a entraînée là-dedans. C’est un ami. Il est mort suite à une maladie liée à la drogue", a-t-elle témoigné au micro de Sputnik sous couvert de l’anonymat.
"La première fois, il m’a envoyée dans un ghetto et nous avons consommé de la cocaïne", se souvient cette habitante d’Abidjan qui n’arrête pas de consommer depuis lors.
Epuisée, elle souhaite abandonner cette habitude, sans succès jusqu’à présent. Sa volonté ne suffit pas.
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Des consommateurs de drogue avec les membres du Foyer du Bonheur - Sputnik Afrique, 1920, 07.11.2022
Des consommateurs de drogue avec les membres du Foyer du Bonheur
"Je n’arrive plus à dormir. Je ne fais rien de ma vie à part la mendicité et la drogue. Je mendie dans la rue et quand je gagne un peu d’argent, je vais au ghetto pour consommer", déplore-t-elle.
L’histoire de l’autre interlocuteur de Sputnik est tout aussi glaçante. Il consomme de la drogue depuis 26 ans. C’est également un ami qui a bouleversé sa vie.
"J’ai commencé avec le chanvre indien, le cannabis. Après, on m'a fait essayer la cocaïne et depuis lors, je suis resté dans la cocaïne. 26 ans maintenant. Je suis à la base un ouvrier. Je fais des petits boulots pour acheter de la drogue. Actuellement, je vis au ghetto", a-t-il raconté.

Effet inverse

D’après l’Office des Nations unies contre la drogue et le crime, 12% des Ivoiriens âgés de 15 à 64 ans étaient consommateurs de drogue en 2016. Les fumoirs, dont le nombre avait explosé après la guerre civile de 2011, se comptent par milliers à travers le pays. Déterminées à mettre fin à cette "gangrène", les autorités ont commencé à fermer massivement ces endroits. Mais la mesure semble aller à l’encontre du but recherché.
"Ces derniers mois, la politique de lutte contre la drogue est basée sur la destruction des fumoirs et ghettos. Mais quand un fumoir est détruit, il y en a 10 autres qui sont créés", explique à Sputnik Yahi Serge, secrétaire général du Foyer du Bonheur, une association communautaire de prise en charge des consommateurs de drogue en Côte d'Ivoire.

Une augmentation palpable

Le fléau de la consommation touche toutes les catégories de personnes de tous les âges. "Les hommes, les femmes, les adultes, les jeunes. Les différents niveaux sociaux: les riches, les pauvres, les travailleurs, les sans-emplois, les élèves et étudiants se retrouvent dans les endroits qu’on appelle ghettos", précise Yahi Serge.
© SputnikD'anciens consommateurs de drogue réintégrés dans la société
D'anciens consommateurs de drogue réintégrés dans la société - Sputnik Afrique, 1920, 07.11.2022
D'anciens consommateurs de drogue réintégrés dans la société
D’après lui, ces derniers mois, l’augmentation des cas est palpable. "On avait fait un travail avec l’organisation Médecins du monde par rapport aux personnes qui consomment de la drogue à Abidjan. Le mois de mars, on avait recensé 6.460 personnes usant de drogue et aujourd'hui, nous sommes 7.600 consommateurs dans la zone d’Abidjan", a indiqué M.Serge.

Quelles conséquences?

Les effets sur la santé sont désastreux pour les consommateurs. Les accros ont un taux de prévalence du VIH "très élevé", beaucoup sont atteints de la tuberculose.
Certains toxicomanes rapportent des maladies au sein de leur famille. "C'est une chaîne de maladie pour la société avec de graves conséquences. Je veux dire que la propagation des maladies est vraiment dangereuse pour la société ivoirienne", a souligné l’interlocuteur de Sputnik.

"La réinsertion est la meilleure solution"

Yahi Serge a partagé sa vision quant à la réduction du nombre de consommateurs. Pour lui, il faut tout d’abord renforcer les capacités et former les membres des ONG qui luttent contre ce fléau pour une meilleure assistance et prise en charge des toxicomanes, dont il faut ensuite faciliter la réinsertion dans la société.
© SputnikD'anciens consommateurs de drogue réintégrés dans la société
D'anciens consommateurs de drogue réintégrés dans la société - Sputnik Afrique, 1920, 07.11.2022
D'anciens consommateurs de drogue réintégrés dans la société

"Quand quelqu'un décide d’arrêter la drogue, on l’envoie dans un centre de désintoxication […]. Et on essaie de l’intégrer dans la société. On facilite l’apprentissage des métiers. On a plusieurs témoignages. Il y a des anciens consommateurs qui ont pu réintégrer la société. On se force pour les occuper. Un consommateur de drogue rentre dans la consommation à cause des difficultés de vie. La réinsertion est la meilleure solution", a résumé M.Serge.

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